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La prévention, seule arme efficace contre les méga-incendies en Indonésie

Incendies dans le sud de Sumatra en octobre 2015. Abdun Qodir/AFP

L’incendie géant qui a ravagé près de 600 000 hectares de forêts dans la région de Fort McMurray au Canada a suscité une émotion partagée dans le monde par ses ravages écologiques et les déplacements massifs de population qu’il a entraînés. Aujourd’hui, les émanations de gaz toxiques et la forte présence de particules dans l’air retardent encore le retour de près de 10 000 habitants.

S’ils trouvent souvent leur origine dans des phénomènes naturels (foudre, sècheresse), certains de ces incendies géants sont aussi d’origine anthropique ; ils peuvent parfois résulter d’un mélange des deux, comme en Australie ou en Indonésie.

Devant l’impact considérable de ces catastrophes, naturelles ou non, et le gigantisme des surfaces en jeu, les moyens de lutte même les plus sophistiqués semblent dérisoires. C’est sur la prévention que doivent converger les efforts de recherche et les politiques publiques de gestion des espaces naturels, agricoles et industriels.

Récurrence inquiétante en Indonésie

En Indonésie, pays tropical technologiquement moins avancé que le Canada et géographiquement plus fragmenté (on y compte 13 000 îles), les incendies géants surviennent de manière régulière depuis des décennies dans les îles de Sumatra et Bornéo, au pic de la saison sèche, en juillet.

Au cours de l’été 2015, un phénomène El Niño – d’une amplitude et d’une durée exceptionnelles – a accentué la durée et l’étendue (et donc les effets) de ces incendies, qui provoquent désormais des problèmes récurrents de santé publique et des dommages naturels considérables. Selon le ministre indonésien de l’Environnement et des Forêts, les incendies ont brûlé environ 1,7 million d’hectares de terres à Sumatra et à Bornéo. La Banque mondiale évalue à près de 2 % du produit intérieur brut (PIB) du pays en 2015, le montant des dégâts estimés à 14 milliards d’euros, soit plus du double des dépenses de reconstruction après le tsunami dévastateur de 2004.

Déterminer les causes et responsabilités, et donc les solutions à apporter aux incendies indonésiens, est un défi considérable auquel s’attellent le gouvernement, les ONG, les secteurs agricole et forestier et l’ensemble de la société civile, non seulement en Indonésie, mais aussi dans les pays riverains (Singapour, Malaisie), victimes directes des fumées et de leurs conséquences.

L’air de Singapour pollué par les incendies en Indonésie (vidéo Euronews, septembre 2015).

Brûler pour nettoyer

Tous les agriculteurs du monde savent que le feu reste l’outil le moins cher et le plus efficace lorsqu’il s’agit de nettoyer un terrain après une culture ou de défricher des espaces naturels.

La culture itinérante sur brûlis est encore pratiquée par de nombreuses communautés paysannes dans le monde intertropical. Elle est le plus souvent maîtrisée par les agriculteurs : les incendies sont déclenchés pour une raison précise (chasse, écobuage, recyclage des déchets agricoles) et à une période déterminée de l’année, généralement à la fin d’une saison sèche.

Toutefois, des évènements météorologiques exceptionnels associés aux changements climatiques, comme la persistance d’une saison sèche exceptionnellement liée à El Niño, rendent délicate la maîtrise de cette pratique traditionnelle et viennent alors perturber un équilibre fragile entre espaces naturels et terres agricoles.

Sur cette image satellite du 24 septembre 2015, on distingue la fumée des incendies sur les côtes de Bornéo et de Sumatra. NASA Earth Observatory

Pas de solution durable sans cartographie précise

Même si les outils satellitaires atteignent désormais une précision amplement suffisante pour pouvoir détecter et dater les débuts d’incendies et fournir des cartes en temps réel, ils demeurent insuffisants, en l’absence d’un relevé cadastral national actualisé et partagé, pour renseigner sur l’identité des propriétaires fonciers comme sur les limites légales des parcs naturels ou des concessions agricoles, minières ou forestières.

Les cartes accessibles dans le domaine public sont issues de différents ministères ou autorités régionales/locales et leurs limites ne se superposent pas toujours. En outre, bien peu de ces cartes disponibles vont pouvoir donner des informations réactualisées sur la nature de la couverture végétale : il importe pourtant d’être capable de différencier les forêts primaires ou faiblement perturbées par l’activité humaine des forêts dégradées ou des recrus forestiers très anthropisés.

Une image satellite, aussi précise soit-elle, ne pourra renseigner à elle seule sur la valeur de conservation ou le stock de carbone constitué par un périmètre forestier donné.

Cartographie participative en 3D. Gaillard, Author provided

Aussi, de nombreuses ONG sociales et environnementales – comme Greenpeace ou Forest People Program – et des projets de développement agricole s’impliquent dans la « planification du paysage » en accord avec les communautés locales, avec la cartographie participative comme premier outil de conservation et de développement agricole durables.

Un moratoire sur les extensions de plantations ?

La planification communautaire du paysage prévoit de préserver des espaces protégés, identifiés et précisément cartographiés, dont la valeur de conservation en matière de biodiversité ou de stockage du carbone est établie et acceptée.

D’autres espaces vont être dédiés à l’exploitation agricole écologiquement intensive, en créant un paysage en mosaïque. Contraindre ou proscrire l’exploitation agricole n’aura pas forcément d’effet direct sur la fréquence et l’importance des incendies, qui éclatent souvent au sein de zones déforestées depuis longtemps et n’abritant pas d’activité agricole.

Attirer les investissements destinés à l’expansion des plantations forestières, d’hévéas ou de palmiers à huile vers des zones très dégradées (plus de 10 millions d’hectares en Indonésie) pour éviter d’empiéter sur les espaces forestiers protégés offre sans doute une solution. L’idée va toutefois se heurter à de complexes problèmes de droit du sol : une concession peut être abandonnée depuis des décennies, mais toujours avoir un propriétaire légalement enregistré.

Le feu est aussi un outil bien pratique pour se débarrasser de déchets agricoles et industriels, augmentant d’autant le risque de déclenchement d’incendies géants lorsqu’il échappe à tout contrôle. Les projets de valorisation de la biomasse sous forme d’agrocarburants (biogaz, éthanol) vont donner, en les intégrant dans une économie circulaire, une valeur marchande à ces déchets (paille de riz, déchets de scieries) : il devient alors plus rentable de les collecter pour les transformer que de les brûler à ciel ouvert.

Une approche forcément pluridisciplinaire

La recherche agronomique doit proposer aux décideurs publics et privés des initiatives conciliant développement agricole durable et préservation des zones à haute valeur de conservation. Toutefois, ces solutions n’impliqueront pas l’achat d’avions bombardiers d’eau ou le recrutement massif de soldats du feu : le problème est bien trop vaste pour être traité par la seule lutte anti-incendies…

Étant donnée la complexité de la situation, il est indispensable de mettre en place des recherches pluridisciplinaires associant agronomes, forestiers, spécialistes du foncier et des exploitations familiales, chercheurs en sciences sociales, experts en télédétection, etc. Celles-ci devront s’appuyer sur des partenariats multilatéraux alliant acteurs privés des filières, société civile et pouvoirs publics, condition sine qua non pour étouffer les feux qui continuent à couver en Indonésie.

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