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La réalité virtuelle : le retour ?

Un visiocasque au Mobile World Congress 2016. Kārlis Dambrāns/Flickr, CC BY

Il est étonnant de voir la réalité virtuelle de nouveau à la Une des journaux, après un quart de siècle de R&D et d’usages. Depuis 15 ans, les techniques de ce domaine fournissent des applications professionnelles exploitées quotidiennement. L’effervescence actuelle n’est due qu’au lancement de la vente de visiocasques (casques immersifs) pour tout public. Avec cette nouvelle interface visuelle, l’utilisateur va être immergé dans un environnement virtuel, coupé du monde réel.

L’histoire se répète puisqu’il y a 20 ans certaines entreprises de jeux vidéo (Nitendo, Sega…) proposaient déjà des visiocasques. Mais sans succès, les petits écrans de l’époque n’ayant pas une densité de pixels suffisante. Grâce au marché actuel des smartphones, générant des écrans de plus haute densité, des entreprises, telles qu’Oculus et HTC Valve, proposent cette année des visiocasques avec une résolution partiellement satisfaisante (25 pixels par degré) et à prix relativement abordable (de 400 à 800 d’euros). La réalité virtuelle va se « démocratiser », tout en étant déjà en usage auprès des professionnels.

Mais au fait, que propose la réalité virtuelle ? Elle n’est pas simplement réduite à l’utilisation d’un visiocasque, une interface spécifique parmi d’autres, créant une immersion visuelle importante… Sans rentrer dans des définitions techniques, la finalité de la réalité virtuelle est de « permettre à une ou plusieurs personnes une activité sensorimotrice (physique) et cognitive dans un monde artificiel, créé numériquement ». Ce dernier peut être une simulation partielle du monde réel ou totalement imaginaire.

Jeux vidéo en RV

Cela concerne deux domaines : celui des applications professionnelles, développées par des chercheurs et des entreprises, regroupés en France au sein de l’Association française de réalité virtuelle, et celui des jeux vidéo, même si dans la plupart des jeux, les actions sensorimotrices sont limitées à de simples actions manuelles sur des joysticks ou des boutons de consoles de jeux. Mais avec l’arrivée des visiocasques, certains jeux vidéo vont devenir plus physiques, le joueur plus actif se levant enfin de son siège… Cette évolution explique pourquoi l’industrie des jeux vidéo s’accapare l’expression « réalité virtuelle », si porteur auprès du grand public.

En 1996, quand j’ai rédigé la finalité de la réalité virtuelle, le monde artificiel était obligatoirement créé par des images de synthèse. Mais le secteur évolua grâce à une communauté qui a souhaité exploiter aussi la réalité virtuelle : les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. Ces derniers utilisent les visiocasques pour immerger un spectateur dans un monde artificiel, mais ce dernier est créé à partir d’images issues d’une caméra 360° : un ensemble de caméras (de 3 à 15) filmant une scène réelle dans toutes les directions. Le monde artificiel n’est dans ce cas qu’une copie du monde réel. L’effet d’empathie est garanti pour toute personne testant cette nouvelle manière de voir un film. Mais ce n’est pas basé sur les techniques RV puisque l’usager n’agit pas, restant toujours un spectateur, qui a pour seule possibilité de regarder de lui-même dans toutes les directions. C’est néanmoins une différence essentielle par rapport au cinéma classique car le réalisateur n’est plus maître du point de vue de la caméra, perdant la notion de cadrage.

Jeu vidéo « Rock of Ages » disponible sur Xbox 360. ACE Team/Wikipédia, CC BY-SA

Pour avoir une « activité physique » dans de tels environnements filmés, il faut que le sujet puisse (inter)agir. Les deux notions, Immersion et Interaction, sont les deux mots-clefs de la RV. Tant que les « vidéos 360° » ne feront appel qu’à l’immersion visuelle et auditive du spectateur, il sera incorrect de parler de RV.

Mais certains réalisateurs veulent passer à l’étape suivante pour exploiter les véritables potentialités de la RV. Ils désirent produire des « VR vidéos » dans lesquelles le « spec-acteur » pourra agir physiquement sur l’environnement. Il est aussi prévu qu’il puisse décider du déroulement du scénario. Ce n’est plus du cinéma où « l’on raconte une histoire » mais un nouveau média où « l’on vit une histoire », une nouvelle expérience culturelle.

Les challenges de la R&D

Scientifiquement, il en découle un challenge de R&D important : modéliser, même partiellement, cet environnement filmé si on veut interagir avec cet espace créé à partir d’images de caméras. Les techniques de reconstruction 3D d’environnements(de villes, de bâtiments, de lieux naturels…) sont à exploiter dans ce but.

Le « spec-acteur » pourra alors manipuler des objets, se déplacer librement, ce qui n’est pas le cas avec les « vidéos 360° » actuelles. Un autre défi important est de pouvoir incorporer dans le monde artificiel des personnages imaginaires ou réalistes. Ils devront pouvoir être autonomes et dialoguer avec l’utilisateur, que ce soit dans les « VR vidéos », dans les jeux vidéo ou dans les applications professionnelles. Il faudra faire appel aux techniques d’intelligence artificielle(IA) pour obtenir de tels mondes peuplés d’entités autonomes. Dans le futur, on peut prévoir que les trois domaines vont se rapprocher, les R&D faisant appel à des concepts similaires. Demain, la différence sera faible, du point de vue de l’usager, entre un jeu vidéo culturel aux images très réalistes et une « VR vidéo » issue d’un monde filmé.

Ce que l’on voit sur l’écran d’Oculus DK2. Ats Kurvet/Wikipédia, CC BY-SA

Techniquement, la résolution des écrans est loin d’être satisfaisante : 25 pixels par degré au mieux, c’est peu satisfaisant par rapport à l’acuité visuelle humaine (0,5’ d’angle) qui exigerait une densité de pixels 20 à 50 fois plus élevée. De plus, le champ de vision horizontal de ces interfaces visuelles est limité à 100°, sauf celui du « Star VR » proposant un champ de 210°, correspondant aux capacités de la vision humaine. Cet innovant visiocasque est l’œuvre d’une start-up française qui a dû rechercher des financements internationaux. A ce propos, concernant le développement des dispositifs matériels high-tech, une évolution est certaine : ils vont être de plus en plus conçus et commercialisés par les grandes entreprises : les « GAFA » et autres Microsoft, Samsung… Seules ces sociétés peuvent investir des centaines de millions de dollars dans les développements de produits low-cost. Il va être de plus en plus difficile pour des petites entreprises de se lancer dans la fabrication de tels dispositifs, sans se faire, au mieux, racheter en cas de succès de leurs produits.

Mais il serait illusoire que la R&D en RV ne concerne que le développement de matériels et de logiciels associés. J’ai milité assez tôt pour convaincre les chercheurs en sciences cognitives de s’emparer d’une des problématiques de la RV : étudier le comportement humain, sensorimoteur et cognitif, dans ces mondes artificiels aux lois physiques différentes du monde réel.

Bouleversement des sens

Concernant l’usage des visiocasques qui peuvent créer inconfort et malaise, il est opportun que les concepteurs d’applications connaissent le fonctionnement des sens proprioceptifs et extéroceptifs humains, en particulier la vision. L’usager va percevoir un monde artificiel via un visiocasque, une innovation invasive. Le sujet en déplacement dans l’environnement virtuel pourra être soumis à des incohérences sensorimotrices, tel que le conflit visuo-vestibulaire provoquant un « mal de RV » identique au mal des simulateurs de transports.

Malgré les affirmations de certains, il n’y a pas un seul « mal de la RV », mais un ensemble de maux dus à toutes les incohérences sensorimotrices (voir mon livre) qui peuvent être générées si on ne suit pas certaines règles, comme celles pour l’incohérence accommodation-vergence créée par les images stéréoscopiques.

Questions de confort et de santé

Il reste bien des recherches à mener par les physiologistes et les neuroscientifiques pour connaître les règles d’exploitation des techniques RV sans créer d’inconfort et de malaise, voire d’impacts sur la santé de l’usager : quel est le comportement de l’homme, équipé d’un visiocasque (ou de toute autre interface visuelle), confronté à des incohérences sensori-motrices dans un monde virtuel ? Quelles sont les solutions pour limiter la nuisance de ces artefacts ? Tous les développeurs ont-ils bien conscience des difficultés et des règles à respecter pour que leurs applications soient efficaces ? Les utilisateurs auront-ils la capacité d’adaptation suffisante à cette immersion dans un monde artificiel ? Les visiocasques ouvrent de nouveaux horizons puisque le virtuel permet d’aller au-delà du réel, mais posent des problèmes d’inconfort et de santé, d’où cet appel aux chercheurs en neurosciences.

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