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La réforme du dialogue social et le fantasme de l’exception française

La vision traditionnelle du dialogue social : le défilé du 1er mai. Blandine Le Cain/Flickr, CC BY

On le dit irréformable, trop éloigné des entreprises, trop soumis au pouvoir écrasant des syndicats. Et si les traits que l’on prête bien volontiers au dialogue social en France et qui servent en grande partie de justification à la réforme actuelle du code du travail correspondaient davantage à une image fantasmée qu’à la réalité ?

Une synthèse de travaux comparatifs internationaux nous aide en effet à dessiner les contours d’un paysage français bien différent de l’image d’Épinal qu’on aime à entretenir.

Ces travaux tendent tout d’abord à souligner que via la succession de réformes menées depuis 35 ans, le dialogue social en France s’est déjà très largement transformé. Ils démontrent également que l’entreprise est devenue un niveau central du dialogue social dans l’hexagone. Ils mettent enfin en évidence que les représentants des salariés dans les entreprises sont bien moins puissants en France que dans les pays où la cogestion est une réalité (pays germaniques et nordiques). Au point que plusieurs spécialistes considéraient – dès avant sa réforme par ordonnances – que le dialogue social en France était déjà l’un des plus décentralisé et les plus libéralisé de l’OCDE.

Un dialogue social irréformable ?

La méthode des ordonnances employée par le gouvernement se justifierait tout d’abord par l’urgence qu’il y aurait à faire changer la France, une société souvent perçue comme « bloquée », voire même carrément figée lorsqu’il s’agit de dialogue social.

Néanmoins, l’analyse de l’évolution de notre système de dialogue social fait apparaître une capacité de réforme bien plus importante qu’il n’y paraît. La France est en effet loin d’être imperméable au mouvement de libéralisation du dialogue social qui concerne la quasi-totalité des pays de l’OCDE depuis la fin des années 1970, mouvement encouragé et soutenu par les associations d’employeurs de ces différents pays.

Après le changement de paradigme initié par les lois Auroux en 1982, la France a ainsi connu de nombreuses réformes (notamment 1999, 2004, 2008, 2010, 2013, 2015) qui, de manière incrémentale, ont fini par profondément modifié le dialogue social. Et Baccarro et Howell (2016 :157) de suggérer :

« Contrairement à l’image de la France véhiculée à l’international d’une société figée, incapable de se réformer, les récentes années ont vu à l’œuvre des remarquables transformations néo-libérales du marché du travail et des institutions de régulation des relations professionnelles. »

Un dialogue social trop centralisé ?

La France a ainsi connu de nombreuses réformes au cours des 30 dernières années. Mais nous pourrions penser que notre pays part de tellement loin qu’un effort supplémentaire – notamment pour décentraliser le dialogue social – ne serait pas superflu.

Or, là encore, les comparaisons internationales contredisent le poncif voulant que le dialogue social en France soit trop éloigné de la réalité des entreprises. La France figure en effet déjà parmi les pays où l’entreprise est dans une large mesure le barycentre du dialogue entre partenaires sociaux, comme le démontre – entre autres – l’indice élaboré par Baccaro et Howell.

Indice de centralisation du dialogue social. Baccaro et Howell, 2016

La France figure donc en « bonne place » dans le mouvement de libéralisation et de décentralisation du dialogue social qui, depuis une trentaine d’années, concernent l’essentiel des pays de l’OCDE.

Mais la France possède une autre spécificité pour le moins paradoxale qui tend à brouiller l’image du dialogue social « à la française ».

Un dialogue social soumis à la toute-puissance des syndicats et représentants du personnel ?

La toute-puissance syndicale en France est un troisième thème que les médias et commentateurs aiment à invoquer. Le nombre de jours de grève moyen par salarié est, dans cette optique, le chiffre le plus souvent agité pour prouver – et dénoncer – le pouvoir des syndicats et représentants des salariés en France.

Certes, les salariés français tiennent effectivement le haut du pavé lorsqu’il s’agit de le battre. Mais cette tendance à la mobilisation des syndicats français pourrait davantage être perçue comme un aveu de faiblesse de leur part que comme un signe de leur force en entreprises. En d’autres termes, ce que le cadre institutionnel ou le rapport de force ne leur permet d’obtenir par le dialogue, les syndicats tenteraient de le conquérir dans la rue.

Car ici encore, les comparaisons internationales tendent toutes à converger pour souligner la relative faiblesse des syndicats et représentants des salariés dans les entreprises françaises (Gazier et Boylaud, 2015). Le cadre institutionnel du dialogue social ne leur attribue en réalité que peu de prise sur la marche globale de l’entreprise, notamment quand on le compare à celui des pays nordiques et germaniques (Vitols, 2010).

Indice de participation des salariés aux décisions de l’entreprise. Vitols, 2010

Alors que la nouvelle « loi travail » vise à libérer de toute urgence le dialogue social de sa sclérose structurelle, une analyse historique et comparative montre que le système de relations professionnelles français est sans doute bien plus facilement réformable, plus décentralisé et bien moins noyauté par de puissants syndicats que la représentation qu’on en fait communément. Dans cette perspective, alors que le gouvernement entend via ces réformes construire « une véritable codécision à la française », il semble plus probable que celles-ci nous éloignent encore un peu plus des pays où la cogestion est une réalité.

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