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La République islamique d’Iran face au défi sanitaire

Désinfection du sanctuaire de Masumeh à Qom le 25 février 2020. Mehdi Marizad/Fars News Agency/AFP

Si les autorités de Téhéran ont décidé au début de l’année iranienne 1399 (depuis le 20 mars 2020) d’intensifier leurs efforts pour relever le défi sanitaire auquel le pays est confronté, la République islamique semble avoir été, depuis le début de l’épidémie, dans une stratégie de réaction face aux alertes de la société civile plutôt que d’anticipation des risques.

Selon les chiffres officiels, le 30 mars 2020, le Covid-19 touche désormais plus de 40 000 personnes en Iran, le nombre de décès s’élevant à 2 757. L’annonce de restrictions dans les déplacements et de l’affectation de 20 % du budget de l’État à la lutte contre le virus ne feront pas oublier la lenteur de la réaction initiale pour préserver les manifestations de commémoration de l’anniversaire de la Révolution (11 février 2020) et pour organiser le premier tour des élections législatives (21 février 2020).

Téhéran, le 21 février 2020 : un Iranien portant un masque facial montre son doigt taché d’encre, ce qui signifie qu’il vient de voter lors des élections législatives. Atta Kenare/AFP

Dissensions internes

Il faut toutefois souligner que, au cours des premières semaines, un débat a eu lieu au sein du clergé chiite iranien sur l’impératif de fonder la politique de santé sur des critères scientifiques, et sur la nécessité de donner la priorité à la politique sanitaire par rapport à l’idéologie politico-religieuse. Là aussi, on a vu que l’État était en retard par rapport à une société civile dont les exigences en termes de politique de santé sont fondées sur des critères scientifiques et non des croyances religieuses.

Se pose par ailleurs le problème de la fiabilité des statistiques, ce qui s’explique par la politisation des questions de santé et par les luttes de pouvoir internes à la République islamique qui grèvent la capacité du système (Nezam) à répondre de manière efficace et cohérente à une crise sanitaire de cette ampleur.

De plus, il existe une dimension de propagande interne et externe à cette crise sanitaire dont les dimensions sont à la fois locales, nationales, régionales et globales. On retrouve sur la question du Covid-19 la guerre des récits qui oppose l’Iran aux États-Unis depuis plus de quarante ans. Il y a donc un double problème de fiabilité s’agissant de la situation en Iran : fiabilité des chiffres, d’abord, des sources médicales en Iran estimant que les [chiffres officiels des décès causés par l’épidémie seraient inférieurs à la réalité][businessinsider.fr/us/iran-coronavirus-covid19-deaths-cases-updates-2020-3] ; fiabilité de la présentation des événements, ensuite, en raison de l’inscription de la politique de santé dans le cadre de la propagande de Téhéran, qui fait sans cesse référence aux martyrs de la guerre Iran-Irak (1980-1988) et accuse l’Administration Trump d’utiliser l’épidémie pour affaiblir la République islamique.

Ainsi la République islamique présente-t-elle les personnels de santé comme les héritiers des combattants de la guerre Iran-Irak et leur confère le rôle de nouveaux sauveurs de l’Iran. Quant à la théorie du complot promue par le guide Khamenei, qui met en avant la prétendue responsabilité américaine dans la création du virus, on observe ici des similarités avec la version officielle chinoise : le virus serait, selon ces perceptions, un moyen géopolitique pour Washingtonn d’affaiblir ses rivaux

Le 18 mars 2020, au Grand Bazar de Téhéran. AFP

L’Iran et l’aide internationale

Le problème est que ce climat de confrontation médiatique a des effets sur la capacité de l’Iran à bénéficier de la coopération internationale pour combattre la pandémie. En effet, du fait de ces théories complotistes, la République islamique refuse toute aide américaine – en principe du fait de la nature hostile des actions américaines. Téhéran a même créé des complications pour le déploiement d’une équipe de l’ONG Médecins sans frontières en Iran, accusant MSF d’être une « force étrangère ». Il y a donc des contradictions apparentes dans la vision qu’ont les autorités iraniennes de la nécessité ou non de recourir à l’aide internationale.

D’un côté, le gouvernement de Rohani appelle à la coopération pour relever le défi sanitaire : demande d’un prêt au FMI, demande de l’aide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Union européenne, acceptation de l’aide de MSF, demande d’une levée des sanctions américaines. Ces demandes de Rohani ont peu de chance d’aboutir au niveau du FMI, par contre l’Union européenne soutient l’idée d’une coopération avec l’Iran dans cette crise sanitaire. Mais ces obstacles externes ne sont pas les seuls que doit surmonter le gouvernement Rohani. En effet, le Guide suprême et les Gardiens de la Révolution dénoncent les influences étrangères et le risque d’infiltration si l’Iran s’ouvre à l’aide internationale.

Dans ce contexte délétère, c’est la question de la survie économique du pays qui est posée. Rappelons que l’Iran a connu une récession de près de 10 % en 2019. En conséquence, les hésitations du gouvernement sont d’abord liées à ces préoccupations économiques alors que pour le Guide et les Gardiens de la Révolution les questions identitaires et les principes politico-religieux doivent être déterminants dans la définition des priorités sanitaires du pays.

Le résultat de ces dissensions est la mise en œuvre d’une politique confuse et erratique de gestion du désordre. Dans ces circonstances, il est difficile d’imaginer comment un ordre sanitaire stable et pérenne pourrait être établi.

On retrouve cette même division sur la question de la relation entre science, superstition et religion. Le gouvernement aurait voulu donner la priorité aux questions sanitaires au détriment des principes religieux mais dans un régime théocratique il a fallu attendre de nombreuses semaines pour parvenir à l’annulation des prières du vendredi, à la fermeture des principaux lieux de pèlerinage et, finalement, à la mise en quarantaine des villes du pays. C’est pourquoi un mouvement émerge de la société civile, illustré notamment par cette vidéo où le père de Pouya Bakhtiari, tué lors des manifestations de novembre 2019, exige que les priorités politiques de l’Iran soient déterminées sur des fondements scientifiques et non sur l’idéologie politico-religieuse.

Rassemblement devant les portes closes du sanctuaire de Fatima Masumeh dans la ville sainte de Qom, en Iran, le 16 mars 2020. L’Iran a fermé quatre sites de pèlerinage chiites clés à travers la République islamique le 16 mars. Mehdi Marizad/AFP

La dimension régionale de la crise sanitaire iranienne

Cette crise de crédibilité interne a aussi une dimension régionale pour l’Iran, qui est perçu par les pays voisins comme l’un des principaux foyers de diffusion du virus. On note que l’Arabie saoudite et le Royaume du Bahreïn ont désigné la République islamique comme responsable de la propagation du virus dans leur pays. Manama a même accusé Téhéran d’« agression biologique ». À l’inverse, le Qatar, les Émirats arabes unis et le Sultanat d’Oman privilégient la voie de la coopération avec l’Iran sur cette question. Le risque le plus important est pour les sociétés irakienne et afghane en raison des liens multiples qui unissent leurs populations avec l’Iran et de la faiblesse de leurs systèmes de santé respectifs.

Ce défi sanitaire est donc aussi un rappel : les liens entre les sociétés de la région ne se réduisent pas aux fractures géopolitiques régionales.

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