Menu Close

La science économique, mauvaise élève de l’égalité hommes-femmes aux États-Unis

L’actuelle secrétaire d’État au Trésor américain, Janet Yellen, reste l’une des rares femmes parmi les économistes les plus influentes au monde. Jessica McGowan / Getty Images North America / Getty Images via AFP

Les disciplines académiques où sévit le sexisme ne manquent pas. C’est le cas notamment des STEM – science, technologie, ingénierie et mathématiques – qui sont régulièrement critiquées pour leurs cultures misogynes. Certaines études suggèrent également que la science économique serait particulièrement concernée par le phénomène.

Les conséquences de cette situation ne sont pas seulement ressenties par les femmes qui travaillent dans ce domaine et doivent supporter un cadre sexiste et des comportements hostiles. En effet, les politiques gouvernementales seraient probablement très différentes si davantage de femmes participaient à leur élaboration.

Les chiffres ne mentent pas

Pourtant, si cette sous-représentation des femmes est connue, il semble que l’on soit peu conscient de la gravité de la situation dans cette discipline et de la lenteur avec laquelle elle évolue.

Le domaine de l’économie reste en effet dominé par les hommes, tant au niveau du corps enseignant que des étudiants, avec un nombre extrêmement faible de femmes et de membres – historiquement sous-représentés – de minorités raciales et ethniques par rapport à la population globale et aux autres disciplines académiques.

Aux États-Unis, les femmes représentent ainsi moins de 15 % des professeurs titulaires dans les départements d’économie et 31 % des professeurs assistants, selon une enquête menée l’année dernière par l’American Economic Association. Seulement 22 % au total des professeurs titulaires et voie de titularisation dans le domaine de l’économie sont des femmes.

À bien des égards, l’écart entre les sexes en économie apparaît comme le plus important de toutes les disciplines universitaires. Par exemple, les femmes ont obtenu environ 30 % des doctorats et des licences en économie en 2014 – soit le même pourcentage qu’en 1995 – contre 45 à 60 % des diplômes en commerce, en sciences humaines et dans les domaines des STEM (il s’agit de la dernière année pour laquelle des chiffres comparables sont disponibles).

À l’échelle américaine, il y a environ trois hommes pour chaque femme qui se spécialise en économie, et ce ratio n’a pas changé depuis plus de 20 ans. Les femmes restent même sous-représentées dans les manuels d’économie, que ce soit dans des exemples réels ou imaginaires.

Dans le secteur technologique et le comité de l’industrie cinématographique qui décerne les Oscars – deux groupes critiqués ces dernières années pour leur manque de diversité –, les femmes sont ainsi mieux représentées que le domaine de l’économie.

Manque de modèles et sexisme

Il peut sembler étrange que ce domaine présente un tel fossé entre les sexes alors que des femmes comme Janet Yellen, actuellement secrétaire au Trésor américain et ancienne présidente de la Réserve fédérale (Fed) de 2014 à 2018, ou encore Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, font partie des économistes les plus influents dans le monde. Mais il s’agit là d’exceptions.

Seuls huit des 140 présidents de la Fed et de ses entités locales nommés depuis 1914 sont des femmes, tout comme à peine un cinquième des membres actuels du National Bureau of Economic Research – l’un des plus influents think tanks sur la politique économique des États-Unis.

Cela se traduit également par la rareté des prix liés à l’économie décernés aux femmes, dont seulement deux « Nobel » dans ce domaine depuis 1969. Ce manque de modèles pour les étudiantes apparaît comme l’une des raisons pour lesquelles moins de femmes étudient l’économie à l’université.

La Française Esther Duflo fait partie des deux femmes ayant reçu le prix « Nobel » d’économie. Jonas Ekstromer/Tt News Agency/AFP, CC BY-SA

Cependant, la raison principale de l’écart entre les hommes et les femmes pourrait être le sexisme généralisé dans les départements d’économie qui a été bien documenté. Par exemple, une enquête menée en 2019 par l’American Economic Association, qui a recueilli 9 000 réponses de membres actuels et anciens, a révélé que près de la moitié des femmes avaient déclaré avoir été victimes de discrimination sexiste, ou ne pas avoir pris la parole lors de conférences et s’être tenues à l’écart des événements sociaux pour éviter un éventuel harcèlement et un traitement irrespectueux.

Une équipe de chercheurs a récemment tenté de quantifier l’ampleur du sexisme auquel les femmes sont confrontées lorsqu’elles présentent des articles et des données de recherche à leurs pairs. Ils ont constaté que, non seulement les femmes se voient poser plus de questions que les hommes pendant leurs présentations, mais que ces questions étaient plus susceptibles d’être condescendantes ou hostiles.

De plus, une étude de 2018 a révélé les nombreuses références sexuelles explicites contenues dans les messages échangés entre économistes masculins lorsqu’ils évoquent leurs collègues féminines. L’étude a également démontré que les messages concernant des femmes contenaient 43 % moins de termes académiques ou professionnels et étaient plus susceptibles de contenir des termes liés à des informations personnelles ou à des attributs physiques.

Malgré ces preuves de sexisme, le nombre d’économistes masculins ne semblent pas penser que l’hostilité sexiste a un effet sur la sous-représentation des femmes dans la profession ou même qu’elle existe. Cela pourrait s’expliquer par un phénomène de « gaslighting » qui désigne un comportement de remise en cause psychologique de la personne pour la déligitimer. Les économistes masculins auraient ainsi tendance à expliquer aux femmes qu’elles sont trop sensibles, qu’elles réagissent de manière excessive ou qu’elles prennent les choses trop à cœur lorsqu’elles soulèvent un problème.

Le problème de la diversité en économie

Atteindre une plus grande diversité de genre et d’autres types de diversité en économie n’est pas seulement une question de politiquement correct. La diversité permet d’obtenir de meilleurs résultats et de meilleures politiques en modifiant la dynamique de groupe et la prise de décision.

Les gouverneurs du Fonds monétaire international posent pour une photo lors d’une réunion annuelle.
Peu de gouverneurs du Fonds monétaire international sont des femmes. FMI, CC BY-NC-ND

Des décennies de recherches menées par des spécialistes de l’organisation, des psychologues, des sociologues, des économistes et des démographes, montrent que le fait de côtoyer des personnes différentes de soi – et pas seulement par le sexe, mais aussi par la race, la classe, l’origine ethnique et l’orientation sexuelle – rend les gens plus créatifs, plus diligents et plus travailleurs. Et la profession d’économiste n’a pas seulement un problème de genre. Elle a également de terribles antécédents en matière de représentation des minorités ethniques.

Ce manque de diversité sexuelle et raciale a des conséquences sur la politique. En termes de genre, par exemple, les femmes économistes semblent beaucoup plus susceptibles de croire que les réglementations aux États-Unis ne sont pas excessives, que la distribution des revenus devrait être plus égale et que les opportunités d’emploi ne sont pas les mêmes pour les hommes et les femmes, alors que les politiques de ces dernières décennies ont généralement favorisé des objectifs opposés.

Si le but ultime de la recherche économique reste de développer et de communiquer des idées durables, ces preuves suggèrent que la valeur et l’impact de la profession d’économiste ne sont pas seulement un échec pour les femmes en économie, mais pour tout le monde.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,000 academics and researchers from 4,940 institutions.

Register now