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L'accès (physique) aux soins : petit détours par les couloirs des hôpitaux parisiens

Couloir d'hôpital. Quentin Verwaerde/Flickr, CC BY

Du point de vue académique, l’accès aux soins est défini comme la facilité plus ou moins grande avec laquelle une « population » peut s’adresser aux services de santé dont elle a besoin. Dans les publications académiques, les difficultés d’accès aux soins sont étudiées à grande échelle – on y parle de « population » – et aux moyens d’enquêtes statistiques, la production de chiffres étant aujourd’hui l’ultime critère de la scientificité.

Vues du point de vue statistique, les difficultés d’accès aux soins sont expliquées par une insuffisance de l’offre médicale dans un pays, par unemauvaise répartition géographique de cette offre, ou par l’existence de barrières économiques, géographiques ou culturelles qui empêchent les populations accéder à l’offre médicale disponible.

Cette approche statistique est utile. Elle nous rappelle à quel point les habitants de certaines parties du monde, surtout les plus pauvres, sont privés d’accès aux services de santé les plus élémentaires, mais elle a aussi ses points aveugles.

En principe, une habitante de la ville de Paris âgée de plus de 90 ans et bénéficiant d’une prise en charge à 100 % des frais médicaux suite à une longue maladie devrait faire partie des privilégiées en matière d’accès aux soins. Sur le papier, oui. Dans la réalité, non.

Que se passe-t-il dans la réalité ? À proximité de cette dame, il y a d’excellents médecins, d’excellents laboratoires d’analyse médicale, d’excellents appareils d’imagerie médicale, d’excellents hôpitaux capables de mener avec succès les opérations les plus délicates… Mais l’intendance ne suit pas.

Affiche placardée dans la salle d’attente d’un hôpital parisien (2016). Author provided

Il manque toute une chaîne logistique entre la dame et les soins dont elle aurait besoin. Notre aimable patiente, aussi patiente soit-elle, ne parvient pas à obtenir ce dont elle a besoin, même au péril de sa vie. L’accès aux soins est pour elle un véritable parcours du combattant, pour ne pas dire un chemin de croix. C’est la pire des aventures qu’elle doit encore affronter, la plus dangereuse, la plus risquée. Pour chaque nouvelle rencontre avec un médecin, elle joue sa peau et fait l’expérience humiliante de sa fragilité et de sa dépendance.

Chaîne de décisions et chaîne logistique

Tout commence par le médecin traitant qui vient à domicile pour prescrire d’aller à l’hôpital Saint-Louis pour une consultation spécialisée et repart bien vite, en laissant la prise de rendez-vous à la charge de la veille dame. Commence alors la longue litanie des vains appels téléphoniques. Quel est vraiment le bon numéro ? Finalement, cet hôpital ne répond plus au téléphone, il faut faire obligatoirement une réservation par Internet, un système auquel la dame n’a pas accès. Un proche fait une tentative, mais le système bug.

Suivant les conseils avisés d’un proche, la dame se reporte sur l’hôpital militaire Bégin, parce que, paraît-il, « les militaires ont encore du personnel et que l’on peut espérer qu’une opératrice vous réponde ». C’est le cas en effet, après quelques appels sans suite. Espoir.

À la date fixée, un proche conduit la vieille dame à l’hôpital. Il est interdit aux particuliers d’entrer en voiture dans le site de l’hôpital alors que les consultations sont à plus de cinq cents mètres de l’entrée, au bout d’une vaste esplanade. Le chauffeur bénévole doit palabrer et supplier pour obtenir l’autorisation de faire un aller et retour rapide pour déposer la dame. Ensuite, il faut ressortir et chercher en ville une place de stationnement introuvable à moins d’un kilomètre. C’est une grande demi-heure pendant laquelle la vieille dame est livrée à elle même en territoire hostile et inconnu. Pourtant, la place pour garer les voitures des malades sur le site de l’hôpital ne manquerait pas et les esplanades sont vastes. Dans la salle des admissions, la foule est compacte et malheur à qui a la vue basse et n’a pas compris qu’il fallait prendre un ticket. Encore une demi-heure de perdu, et la vieille dame s’épuise et s’inquiète d’arriver trop tard devant le médecin avec lequel elle a décroché un rendez-vous, là-bas, dans d’autres couloirs inconnus.

Enfin, le médecin, charmant et compétent recommande une opération dans la région du foie. Au préalable, des examens sanguins et un IRM seront nécessaires. Il conseille de réaliser cet examen en ville parce que, dit-il, « l’unique appareil de l’hôpital est saturé et qu’on ne peut obtenir de rendez-vous avant trois mois ».

Après bien de vains appels téléphoniques, il apparaît que la vieille dame, équipée d’une double prothèse de hanche ne peut passer d’IRM. Un scanner suffira-t-il ? Oui. Changement d’adresse et de fournisseur, nouveau rendez-vous, deux mois plus tard, enfin, une nouvelle consultation permet d’envisager l’éventualité d’une opération qui paraissait a priori plutôt urgente et qu’il reste à programmer… Bref, l’accès au soin est difficile lorsqu’on n’est pas bien portant. Il est étonnant que personne ne s’en préoccupe.

Parcours de soins, parcours du combattant

D’inquiétants détails montrent qu’il reste des progrès à faire en ce domaine.

Devant plusieurs hôpitaux parisiens, il est impossible de stationner, le comble étant l’installation d’un vaste parking à vélo juste devant l’entrée – comme si l’on venait en vélo lorsqu’on est malade ! Lorsqu’on arrive en voiture particulière, rien n’est prévu. Impossible de se garer, impossible d’entrée pour déposer le malade, impossible donc d’accompagner le malade qui se retrouve seule à errer dans les couloirs…

Pourquoi y a-t-il des concierges et des voituriers à l’entrée des grands hôtels et aucun service d’accompagnement à l’entrée des grands hôpitaux ?

Pourquoi n’y a-t-il aucun fauteuil roulant en libre service là où l’on dépose les malades, alors qu’il y a des caddys à l’entrée de n’importe quel supermarché ?

Pourquoi le malade isolé doit-il faire la queue devant le bureau administratif, puis passer de service en service tout seul sans possibilité d’être accompagné et guidé lorsqu’il est trop faible pour rester autonome, alors qu’un malade ou un vieillard peut se faire accompagner à l’avion dans les aéroports, s’il l’a demandé au moment de réserver son vol ?

Pourquoi faut-il en dernier recours, ruiner la sécurité sociale en demandant une ambulance, ou pire, une hospitalisation en urgence, seuls moyens actuels de résoudre, tant bien que mal, les problèmes ci-dessus ?

Des services de « conciergerie d’hôpital » existent déjà (par exemple à l’hôpital de Pontoise), mais il s’agit d’améliorer le confort de vie des personnes hospitalisées et non pas de faciliter le parcours difficile des personnes – de plus en plus nombreuses- qui viennent et reviennent pour diverses consultations et examens et se perdent dans la jungle de l’hôpital de jour.

La « conciergerie d’hôpital » qui répondrait aux problèmes de la vieille dame dont nous avons suivi le parcours serait un métier nouveau. C’est, me semble-t-il, un champ d’expérimentation pour l’hôpital, une opportunité de création d’entreprise pour des start-up, une voie d’amélioration du service rendu aux malades, une source d’économie pour la sécurité sociale et une mine d’emplois pour des jeunes peu diplômés.

Répondre aux besoins logistiques de chaque patient, proportionner l’assistance aux difficultés, la tâche paraît à la fois utile et difficile à organiser. La réponse ne saurait relever du bricolage. Améliorer la logistique du point de vue des malades est un véritable métier qui reste à inventer.

La logistique du patient : un métier

Un des premiers obstacles à surmonter est l’établissement d’une coopération imaginative entre l’administration de l’hôpital et la start-up innovante susceptible de concevoir et de tester un tel service. Le cadre juridique existe : la concession du domaine public pour l’exploitation d’une entreprise dans le périmètre de l’hôpital. Ce type de contrat est déjà utilisé pour l’installation d’une cafétéria, par exemple.

Pour détecter les besoins des malades, il faudra s’intégrer au système informatique des prises de rendez-vous. Il faudra aussi répondre souplement à la diversité des besoins, de la simple mise à disposition d’un fauteuil roulant (pour les personnes accompagnées d’un proche), jusqu’à la prise en charge d’une personne de son domicile aux divers lieux d’examen et de soins et retour, sans rupture de charge.

On peut douter que l’hôpital soit en état de financer ce genre d’innovation et de fournir le personnel nécessaire. D’ailleurs, ce n’est pas son métier. Aux innovateurs de trouver ailleurs les sources de financement possibles (sans doute en collaboration avec les mutuelles) et de trouver des formes de facturation adaptées.

Considérant le coût d’une demi-journée de travail perdu par l’accompagnant, on peut imaginer ce que serait un tarif raisonnable pour une prise en charge complète, du domicile au domicile, avec accompagnement à toutes les étapes du parcours.

L’option « start-up » dans la forme d’une « conciergerie d’hôpital » n’est pas la seule possible. On peut imaginer d’autres dispositifs pour accompagner utilement la trajectoire des malades à travers le dédale des services de santé. Quelle que soit l’option retenue, il paraît urgent de prendre mieux en compte les difficultés rencontrées par ces usagers de l’hôpital qui sont des malades affaiblis et des personnes âgées dont l’état ne requiert pas l’hospitalisation mais qui fréquentent assidûment les services hospitaliers.

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