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Écoliers devant un bâtiment.
Élèves du Pensionnat indien de Metlakatla, en Colombie-Britannique. (William James Topley. Bibliothèque et Archives Canada, C-015037)

L’action collective réglée, il ne faut pas oublier les histoires des survivants des pensionnats autochtones

Le 31 mars a marqué la conclusion de la plus importante action collective de l’histoire du Canada. C’est donc après 14 ans de travaux que se termine officiellement le Processus d’évaluation indépendant (PEI) — qui règle toutes les réclamations pour les maltraitances physiques, sexuelles ou psychologiques subies dans les pensionnats autochtones.

Le PEI demeure peu connu du public, même s’il indemnise plus de 38 000 survivants des pensionnats.

Or, notre mémoire collective de cette affaire — si souvenir il y a — sera teintée par le préjugé colonial du fait de la destruction des témoignages et des dossiers du PEI ordonnée par les tribunaux et des reportages biaisés et superficiels des grands médias, notamment quant aux coûts et au montant des indemnités.

Ce regard découle de la perspective qui a encadré tout le processus, mais aussi de ce qui a été omis ou explicitement valorisé, et donc de l’histoire retenue : un récit colonial privilégié et une voix autochtone limitée.

Notre étude nationale — intitulée « Reconciling Perspectives and Building Public Memory : Learning from the Independent Assessment Process » — examine comment s’est articulé le PET, notamment la destruction des dossiers, et comment se sont orientées les perspectives et les connaissances du public. L’étude analyse les documents gouvernementaux, notamment la transcription des débats aux Communes, la couverture médiatique et les retranscriptions des entretiens et groupes de discussion avec des survivants, des travailleurs de la santé, des arbitres, des juges et des avocats. Les résultats présentés ici sont préliminaires.

Un peu de contexte

Sur les 38 000 survivants qui ont présenté une demande dans le cadre du PEI, près de 27 000 ont participé à un processus extrajudiciaire appelé « adjudication ».

Le processus d’adjudication permettait aux survivants de raconter leur histoire de maltraitance à un adjudicateur représentant le gouvernement, avec le soutien facultatif d’un avocat, d’un travailleur de la santé, d’un aîné, d’un traducteur ou d’un parent.

En 2017, la Cour suprême s’est prononcée sur l’avenir des 800 000 documents et dossiers découlant de ces témoignages. Elle a entériné la position du « Secrétariat d’adjudication des pensionnats indiens », administrant le PEI, qui demandait que les témoignages soient détruits sauf pour les survivants qui réclamerait leurs dossiers, qui pourraient alors décider de le partager ou non.

À l’heure actuelle, seule une poignée de survivants ont demandé leur transcription ou en ont publié une version (parfois expurgées) à travers le Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR). En 2027, les témoignages et dossiers non réclamés seront détruits.

En janvier 2020, un jugement de la Cour supérieure de l’Ontario a bloqué la création de statistiques détaillées sur les pensionnats. Ces rapports dits « statiques » regroupent des données recueillies au cours du PEI, telles que l’âge et le sexe de l’enfant, les particularités des pensionnats, les types d’abus et les répercussions sur la communauté. Le CNVR a fait appel de cette décision et le jugement de la Cour d’appel de l’Ontario est en attente.


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Le travail des médias : colonialiste et déficient

La couverture médiatique du PEI est pauvre. Selon les résultats préliminaires de notre étude, le travail médiatique s’est concentré sur les vicissitudes d’un processus bureaucratique qui tentait de concilier le droit en matière d’actions collectives avec des pratiques de réconciliation. Ce traitement a rendu quasi inaudibles les récits des survivants et voilé l’objectif de guérison et de réconciliation du PEI.

Notre étude établit les facteurs qui ont joué un rôle clé dans la guérison : pouvoir témoigner et être soutenu, cru et attesté. Cette perspective a été largement oubliée par les médias et leurs reportages se sont plutôt concentrés sur la crédibilité des témoignages de maltraitance, sur le montant des compensations financières et sur les procès. Toutefois, le rapport final du PEI est venu recentrer le propos.

Des élèves sont assis en classe dans un pensionnat indien.
Des élèves cris au Pensionnat indien All Saints à La Ronge, en Saskatchewan, mars 1945. Bud Glunz/Bibliothèque et Archives Canada, PA-134110

Le récit dominant a amalgamé succès du PEI et indemnités. Par exemple, le Secrétariat présentait un règlement en espèces obtenu par un demandeur comme une « réussite » (taux de réussite de 89 % pour une indemnisation moyenne de 91 000$). Pourtant, même si l’indemnisation est certainement un indicateur de succès, il aurait fallu valoriser l’expérience des survivants telle que racontée par eux, en conformité avec l’objectif du PEI.

Plus récemment, le gouvernement fédéral a également adopté une posture défensive. En réponse aux critiques formulées par des survivants et des responsables comme l’ancien sénateur Murray Sinclair et le député Charlie Angus, le gouvernement a demandé un réexamen indépendant des réclamations, notamment celles du Pensionnat indien de Sainte-Anne, en Ontario.

Les députés fédéraux auraient eu l’occasion de contribuer à la mémoire collective pour une réconciliation authentique, mais la politique partisane a vite pris le pas. L’examen de retranscription des débats des députés nous a permis de vérifier que le PEI n’a été discuté que 28 fois entre 2004 et 2019.

La gravité des violences commises, les dommages aux familles et aux communautés et le total des indemnités versées s’expliquent par la longue histoire du mépris des droits des hommes et des femmes autochtones au Canada.

Le fait que le Canada ait abandonné un système de violence explicite pour adopter des structures tacites de domination ne constitue nullement une « réconciliation ». Ce qui devrait être considéré, c’est la façon dont les droits des autochtones progressent ou reculent, de manière explicite ou implicite. Par exemple, une étude antérieure au PEI révélait que, même si les pensionnats enseignaient les tâches domestiques aux filles, leur travail non rémunéré consistant à s’occuper des enfants n’était ni reconnu ni compensé dans le cadre du PEI.

Honorer la mémoire vers un avenir commun

Nous redoutons qu’il soit impossible de prévenir de nouvelles tragédies en l’absence de données quantitatives quant aux facteurs de maltraitance et son impact sur les générations et la communauté. Ces données permettraient de faire le compte de l’horreur des pensionnats et seraient un puissant rappel des conséquences d’une politique d’État raciste. Car une telle politique ne touche pas que des individus ; elle affecte la conscience collective et celle des communautés.

Les archives publiques sont précieuses pour comprendre comment se crée la mémoire collective et comment on l’oriente. Si l’on ne prête pas attention à la manière dont les médias et le Canada continuent de repousser les voix et les expériences autochtones aux marges, le regard colonial perdurera.

La façon dont on se souviendra des pensionnats et du PEI est pertinente non seulement pour l’identité canadienne, mais aussi pour les relations des Autochtones avec le gouvernement et le public, aujourd’hui et demain.

This article was originally published in English

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