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L’action publique mise à mal par les clivages politiques

Manifestation à Paris contre le port du masque
Manifestation à Paris contre le port du masque le 29 août 2020 et la gestion de la crise par le gouvernement. Christophe ARCHAMBAULT / AFP

On ne compte plus les prises de position pour ou contre certaines politiques liées à la crise sanitaire : pour le masque dès la primaire, pour une limitation des rassemblements privés ou pour le soutien au secteur aérien. En voilà quelques-unes publiées cette semaine.

La crise sanitaire que nous traversons met à l’épreuve nos systèmes politiques dans toutes leurs dimensions. Les experts, mais aussi les citoyens questionnent la pertinence de l’action publique, des choix politiques ou la compétence des décideurs. Et il est vrai que cette crise peut d’abord être comprise comme une crise de politique publique.

Face à un défi sanitaire sans précédent, les autorités publiques ont dû agir dans l’urgence. Rapidement, une série de problèmes se sont enchaînés exposant des difficultés de coordination, des problèmes de communication ou encore des problèmes de moyens. Qui plus est, les réponses politiques ne pouvaient être efficaces que dans la mesure où elles parvenaient à changer effectivement le comportement des citoyens.

Le soutien à l’action publique ne va pas de soi

Ce type de changement présuppose une adhésion aux mesures proposées, elle-même fondée sur la confiance en l’action publique. Or cette crise a montré que ce type de soutien ne va pas de soi.

La relative sobriété avec laquelle ont été acceptées les mesures de confinement adoptées après le 16 mars semble révolue. Dans certains pays comme l’Allemagne et, surtout, les États-Unis l’opposition aux mesures de confinement a été bruyante dès le tout début.

En France, au contraire, si la discipline n’a sans doute pas été parfaite, le soutien aux mesures de confinement et la confiance dans le gouvernement n’ont pas semblé poser problème.

La perspective d’un « reconfinement » semble aujourd’hui remettre en cause ce comportement vertueux comme en témoignent les prises de position de plus en plus virulentes sur les réseaux sociaux d’une partie de la population. Cette crise cristallise potentiellement les fractures existantes dans nos sociétés.

Qu’est-ce qui détermine l’opinion des citoyens sur l’action publique ?

Pour comprendre lien entre opinion et action publique, il faut partir de la sociologie politique des préférences politiques comme nous le montrons dans une discussion récente.

Pour faire simple, il existe deux grandes écoles pour expliquer ces processus, l’une fondée sur l’idée que les citoyens sont avant tout rationnels, l’autre sur l’idée qu’ils sont déterminés par l’identification partisane.

Le citoyen rationnel

Dans sa « théorie économique de la démocratie », le politologue et économiste américain Anthony Downs montre que l’électeur va valoriser la bonne gestion politique.

Cela implique que l’électeur soit en mesure d’apprécier les enjeux politiques de son époque et la qualité de l’action entreprise par les responsables politiques. Il va sans dire que cette approche est très exigeante vis-à-vis de l’électeur.

Un client dans une pharmacie parisienne.
Les réponses politiques ne pouvaient être efficaces que dans la mesure où elles parvenaient à changer effectivement le comportement des citoyens. Martin Bureau/AFP

Ainsi, si l’enjeu principal pour 2022 était la santé publique, un électeur rationnel devrait être en mesure de faire le bilan du gouvernement sortant en la matière. Il devrait ensuite anticiper la performance des différents candidats pour 2022. Et il devrait enfin mettre tous ces éléments dans la balance pour mettre le bon bulletin dans l’urne.

Le citoyen partisan

À l’opposé de l’approche rationnelle, on trouve l’approche fondée sur l’identification partisane (voir la discussion d’un ouvrage de référence récent). Ici, les opinions politiques résultent de la socialisation politique : le poids des parents, des amis ou du contexte social et politique au moment de la prise de conscience politique. La rationalité n’est pas absente dans ce modèle, mais elle est sujette à des biais cognitifs. Et cela risque de biaiser la perception de l’action publique.

L’électeur percevra plus facilement les réussites chez « son » candidat et plus facilement les failles chez ses opposants. Inversement, il va résister à reconnaître les échecs de son candidat et les réussites de ses opposants.

Pour compliquer l’équation encore peu, il faut tenir compte du fait que les situations de crise sont en général des moments de rassemblement, favorables aux responsables politiques en place.

Bande annonce du film « des hommes d’influence » de Barry Levinson, 1997 mettant en scène la « fabrication » d’une crise.

Ainsi, un acte de guerre, des attentats, une catastrophe naturelle ou, encore, une crise sanitaire, devraient renforcer à court terme le soutien au gouvernement en place. Cet effet est souvent appelé « rassemblement autour du drapeau » (en anglais : « rally-round-the-flag »). On a d’ailleurs souvent reproché aux responsables politiques de « fabriquer » des crises pour les sortir d’une mauvaise passe politique.

La crise sanitaire et l’appréciation de l’action publique

La crise sanitaire actuelle voit ainsi s’affronter plusieurs logiques : le rassemblement, le choix rationnel ou l’identification partisane. Le rassemblement devrait accroître le soutien au gouvernement dans toute la population, le choix rationnel devrait varier en fonction de la performance des gouvernements face à la Covid-19alors que l’identification partisane devrait entraîner une appréciation de cette action fortement teintée par la proximité partisane.

Le graphique ci-dessous résume le jugement sur l’action des gouvernements face à la Covid-19 pour plusieurs pays. Il s’agit de données de sondage provenant d’un sondage Ipsos-Mori, réalisé pour l’Université de Southampton entre le milieu et la fin du mois de mai 2020, pour l’Australie, les États-Unis, l’Italie et le Royaume-Uni et d’un sondage Ifop, réalisé le 28 et le 29 mai pour le Journal du Dimanche, pour la France.

Jugement porté sur l’action des gouvernements. Données de sondage Ipsos-Mori et Ifop. E.Grossman

Pour rappel, à la fin du mois de mai, les mesures de confinement avaient été allégées dans la plupart des pays ; dans certains pays, les écoles avaient rouvert et le point culminant de la pandémie semblait avoir été dépassé. Sur nos cinq pays, seule l’Australie pouvait être considérée fin mai comme faisant partie des bons élèves. En effet, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et les États-Unis font partie des cas les plus préoccupants parmi les pays industrialisés.

Or on voit que le différentiel entre les proches des partis de gouvernement et ceux de l’opposition varie assez fortement. Il est franchement inquiétant aux États-Unis (-63), au Royaume-Uni (-52) ou en Italie (-63). Le différentiel est le plus petit en Australie (-37), là où la performance est a priori la meilleure. On peut aussi supposer qu’il y a un effet de rassemblement en France (-43), peut-être aidé par la présence d’un président centriste. Il est vrai que le différentiel est bien plus important avec la France insoumise (-64) et le Rassemblement national (-63) qu’avec le PS (-46) ou les Républicains (-35).

Il reste que l’identification partisane est le meilleur prédicteur de la confiance en l’action gouvernementale dans tous les cas.

Un danger pour l’efficacité de l’action publique

La polarisation politique croissante, la montée des populismes sont craintes avant tout pour l’instabilité politique croissante. Mais il y a d’autres dangers que la crise sanitaire a révélés : c’est l’efficacité de l’action publique qui risque d’être mise en péril.

Plus nos sociétés seront polarisées, plus nous soupçonnerons des manipulations derrière toute mesure prise par « l’autre camp », moins l’action publique parviendra à réguler les comportements.

Cela risque d’être particulièrement problématique en matière de santé publique ou d’environnement, peut-être les deux enjeux les plus importants de notre époque. La communication gouvernementale et les responsables politiques en général feraient bien d’en prendre conscience et de réfléchir à des remèdes possibles.

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