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L’ambivalence des microbes, une inconnue multimillénaire

Certaines bactéries lactiques sont responsables d'arômes négatifs dans le vin, alors qu'elles sont indispensables au bon goût du beurre. Viacheslav Rubel / Shutterstock

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


La microbiologie correspond à l’étude des micro-organismes, c’est-à-dire de tout ce qui est petit (généralement invisible à l’œil nu) et vivant (autonome et capable de se reproduire). Si cette science est relativement récente (XIXe siècle) comparativement à la médecine ou aux mathématiques, le lien qui unit les humains avec les microbes remonte à la nuit des temps. Mais il a fallu les travaux d’Anthony Van Leeuwenhoek au XVIIe siècle et l’invention du microscope pour révéler l’extraordinaire profusion de ce petit monde fascinant.

Quand on parle de micro-organismes, on pense immédiatement aux maladies épidémiques (peste, choléra, etc.). Mais ces micro-organismes ont bien d’autres effets, fort heureusement plus positifs, sur notre santé, notre alimentation et plus globalement notre environnement.

Par microbes, de quoi parlons-nous ? Il existe cinq catégories de microbes : les algues microscopiques, les champignons (levures et moisissures), les bactéries, les protozoaires, et les virus. Au niveau alimentaire, ce sont surtout les bactéries et les champignons qui nous intéressent. Non pas que les autres n’aient aucun intérêt, mais, soit ils interviennent dans des contextes particuliers (les eaux de piscine ou industrielles par exemple), soit leur influence reste encore largement sous-évaluée (les virus).

Une contribution ambivalente à l’alimentation

En quoi les microbes interagissent-ils avec les produits alimentaires ? Généralement, on leur prête deux types d’influence, l’une positive et l’autre négative – encore que la neutralité soit également possible. Les microbes positifs interviennent dans les processus de transformation alimentaire en tant qu’agents technologiques. Ils permettent ainsi d’obtenir des produits fermentés (fromage, vin, pain, etc.). Ils contribuent aussi à protéger les aliments d’autres contaminants, ce qui permet la conservation sur de longues périodes de matières premières agricoles périssables (lait, viande). Ils peuvent par ailleurs détoxifier certaines matières premières (manioc), participer à leur enrichissement nutritionnel (production de vitamines), réduire le temps de cuisson, ou encore apporter des goûts et des arômes originaux. D’autres microbes ont aussi la possibilité de contribuer positivement à la santé des consommateurs (les yaourts) : ce sont les probiotiques.

À côté de ces micro-organismes bénéfiques coexiste une flore microbienne beaucoup moins positive, voire franchement négative. Certaines bactéries sont susceptibles d’entraîner des intoxications alimentaires sévères (Escherichia coli, Listeria, Salmonella). D’autres sont impliquées dans les processus d’altération des aliments : pourrissement et putréfaction.

Une incertitude qui nourrit l’innovation

L’humain a « apprivoisé » les microbes à des fins alimentaires, il y a environ 8 000 ans, à partir des microflores naturellement présentes sur les produits agricoles. Ceci a permis la production de pain, de bière, ultérieurement de vin, ou encore de miel. Si la contribution des micro-organismes était pilotée par le savoir-faire des technologues, elle était toutefois implicite : personne ne savait qui était à l’origine des transformations permettant de faire passer un lait d’un état liquide à un fromage solide. L’aliment était une sorte de boîte noire. Si tout allait bien, tant mieux ! Si, au contraire, le résultat était impropre à la consommation, il était impossible de revenir à la source pour effectuer les actions correctives adéquates.

Toutefois, cette incertitude était – si l’on met de côté les pathogènes – un extraordinaire moteur pour l’innovation. En effet, le monde microbien n’est pas aussi dichotomique que l’on pourrait le croire. C’est toute son ambiguïté. Une bactérie placée dans un contexte de transformation particulier peut se révéler néfaste dans un contexte différent. Par exemple, certaines bactéries lactiques (totalement inoffensives) sont indispensables pour conférer au beurre ou à la crème leur arôme typique (une crème de lait, si elle n’est pas fermentée, a une odeur de lait, jamais de crème). Dans le vin ou la bière, ces mêmes bactéries lactiques sont en revanche responsables d’arômes jugés négatifs.

D’autres bactéries peuvent apparaître généralement comme négatives lorsqu’elles se développent de manière anarchique. C’est le cas par exemple des Pseudomonas, des contaminants courants des laits crus. En quantité élevée, ces bactéries verdissent le lait et sont à l’origine de goûts amers et d’arômes de savon ou de carton. Or, dans un fromage, leur présence contrôlée, à bas niveau, permet d’enrichir le pool aromatique du produit, lui conférant des caractéristiques inimitables.

En conséquence, ce qui est néfaste pour un substrat peut tout à fait être extrêmement positif pour un autre. Ce constat permet d’envisager d’explorer le développement de nouveaux produits, soit en sortant des bactéries de leur contexte habituel d’utilisation, soit en ajoutant des germes a priori responsables d’altération, mais de manière contrôlée.

Des boîtes de Pétri au génome

C’est ainsi que l’humanité a exploré l’univers des produits fermentés, découvrant et redécouvrant en différents endroits des procédés de transformation par fermentation. Ceci permet de penser qu’il n’existe probablement pas de matières alimentaires qui n’aient été, à un moment ou un autre, testées pour être fermentées. Et cela pour notre avantage immédiat : sensoriel, nutritionnel, etc. ; mais également pour des raisons anthropologiques (les fermentations ont toujours été rattachées à la Vie et l’Éternité), symboliques et religieuses (le pain chez les chrétiens), politiques (l’usage du pain et du vin pour contrôler la plèbe chez les Romains).

L’industrie agroalimentaire doit désormais s’accommoder de cette ambivalence des micro-organismes, surtout lorsqu’elle a plusieurs technologies à gérer. Or, la réglementation repose encore exclusivement sur l’usage des approches pasteuriennes, fondées sur l’étalement sur boîtes de Pétri, avec ou sans enrichissement.

Boîte de Pétri. Wikimedia

Les résultats obtenus, s’ils ont le mérite d’être quantifiables, sont différés dans le temps (au mieux 24 heures). En outre, les observations ne permettent généralement pas – si l’on excepte la recherche des bactéries pathogènes – de savoir exactement à quel micro-organisme nous avons à faire. Et si tant est que ce soit le cas, nous n’avons jamais d’information sur ses aptitudes technologiques. Il est alors très difficile de déterminer ce qui est favorable de ce qui ne l’est pas. Cette difficulté est encore aggravée par le fait que tout micro-organisme évolue au cours de son développement, sous la contrainte de son environnement et des relations qu’il entretient avec les autres micro-organismes. Il est alors impossible de savoir si une bactérie lactique observée sur une boîte de Pétri va contribuer positivement à la transformation alimentaire ou, au contraire, la perturber.

Désormais, de nouvelles approches sont disponibles pour étudier les produits fermentés. Elles reposent sur l’étude des génomes microbiens ; elles nous apportent donc une profondeur d’étude exceptionnelle. Mais elles ne permettent pas encore de résoudre cette ambiguïté associée à l’usage des micro-organismes, soulignée ci-dessus : ils sont en perpétuelle évolution et peuvent ainsi tantôt exercer un effet positif (dans la plupart des situations), tantôt exercer un effet délétère. Seule l’intégration des différents outils analytiques associée à une connaissance des matrices alimentaires, de leur histoire et des savoir-faire, peut nous permettre de préserver une relation multimillénaire, source d’innovation sensorielle et de bien-être.


Le laboratoire de microbiologie de l’ISARA (Equipe BIODYMIA) a mis au cœur de sa thématique de recherche, les produits fermentés et alimentaires. L’équipe étudie l’influence des micro-organismes tant positifs que négatifs, sur la spécificité sensorielle des fromages, du pain et du saucisson sec. Des recherches qui ont permis d’acquérir une réelle expertise, mise au service des entreprises de l’agroalimentaire, des centres de formation et des étudiants de l’ISARA. Leur participation à la Fête de la Science chaque année s’inscrit dans cette logique de transmission de connaissances.

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