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Des manifestants visés par un canon à eau de la police lors d'une récente manifestation anti-gouvernementale à Santiago, au Chili. Plusieurs pays d'Amérique du Sud ont connu d'importants troubles sociaux ces derniers mois. AP Photo/Esteban Felix

L’Amérique du Sud en ébullition : les raisons de la colère

La démission, hier, du président bolivien Evo Morales, qui est accusé de fraude éléctorale et affirme pour sa part avoir fait l'objet d'un coup d'État, n'est que le dernier en date d’une série d’événements qui bouleversent l’Amérique du Sud.

Ces dernières années le continent a accompli de grands progrès économiques. Avec plus de 425 millions d’habitants, ses pays comptent parmi les plus grands producteurs et exportateurs mondiaux de bœuf et de soja (Brésil), de pétrole (Venezuela), de café (Colombie), de vin (Argentine et Chili), de cuivre (Chili et Pérou) et de gaz naturel (Bolivie). Mais l’Amérique du Sud est aussi connue depuis longtemps pour son instabilité politique et ses tensions sociales.

Au cours du siècle dernier, la plupart des pays sud-américains ont connu des coups d’État, des dictatures militaires et des soulèvements sociaux. Les derniers mois ont montré que la tourmente n’est pas de l’histoire ancienne.

Vague de protestations

Outre le Venezuela, où les crises politique et économique ont provoqué une véritable catastrophe humanitaire, des turbulences ont éclaté ailleurs en Amérique du Sud.

Le Paraguay s’est massivement soulevé contre le président Mario Abdo. Les Paraguayens réagissent avec colère à la signature d’un accord avec le Brésil sur la centrale hydroélectrique d’Itaipu, considéré comme préjudiciable pour le petit pays.

Avec un taux de désapprobation du gouvernement de 69 %, l’opposition a entamé un processus de destitution contre Abdo et son vice-président, qui va connaître son dénouement ces jours-ci. Il y a à peine sept ans, l’ancien président Fernand Lugo avait lui-même connu le même sort dans un contexte marqué par des conflits fonciers ayant provoqué 17 morts.

Au Pérou, le président Martín Vizcarra a dissous le Congrès afin de provoquer de nouvelles élections législatives. Ses actions ont entraîné plusieurs manifestations dans tout le pays. Des citoyens ont notamment bloqué l’accès à une mine de cuivre et interrompu la production.

Vizcarra était vice-président jusqu’à l’année dernière, après la démission de l’ancien président Pedro Pablo Kuczynski en raison d’un lien possible avec un scandale de corruption impliquant l’entreprise de construction brésilienne Odebrecht. Un autre président péruvien, Alan García, s’est suicidé en avril dernier lorsque la police est venue l’arrêter pour son implication dans la même affaire.

Résultats électoraux contestés

La Bolivie a également connu une vague massive de manifestations. L’opposition n’a pas accepté les résultats des récentes élections, qui a donné la victoire, pour un quatrième mandat, à Evo Morales, au premier tour de scrutin.

Evo Morales pendant une conférence de presse à La Paz, en Bolivie, le 10 novembre 2019. Il appelle à de nouvelles élections présidentielles et à une refonte du système électoral. AP Photo/Juan Karita

Dirigeant le pays depuis 2006, Morales a accepté le verdict de l’Organisation des États américains (OEA), qui a constaté que les résultats des élections d’octobre ne pouvaient être validés en raison de « graves irrégularités ». Il a annoncé qu’il démissionnait pour « le bien du pays ».

Depuis l’élection, de nombreuses routes ont été fermées dans tout le pays et les émeutes quotidiennes sont monnaie courante. Santa Cruz, la province la plus riche de Bolivie, est en grève générale.

En Équateur, le président Lenín Moreno a retiré une subvention sur le carburant en place depuis les années 1970, dans le cadre d'un accord avec le Fonds monétaire international (FMI). Depuis, le prix du carburant a grimpé en flèche, provoquant des protestations massives qui ont paralysé certaines régions du pays en octobre.

Des manifestants antigouvernementaux escaladent la façade d’une résidence lors d'affrontements avec la police à Quito, en Équateur, en octobre 2019. AP Photo/Dolores Ochoa

Moreno a accusé son prédécesseur, Rafael Correa, et le président vénézuélien Nicolás Maduro d’être derrière les manifestations, qui se sont poursuivies même après le retour de la subvention sur le carburant.

La situation n'est guère meilleure au Chili : le pays d’Amérique du Sud qui affiche le plus haut indice de développement humain et l’un des PIB par habitant les plus élevés de la région est confronté à la plus grande vague de protestations depuis le retour de la démocratie en 1990. Les facteurs déclencheurs ont été les augmentations des tarifs de transport en commun et d’électricité au début du mois d’octobre.

Éducation, pensions de vieillesse

Les questions relatives à l’éducation, majoritairement privée et chère, et au régime des retraites sont pour beaucoup dans les turbulences au Chili, en particulier chez les jeunes et les personnes âgées.

Les manifestations ont fait au moins 20 morts et des milliers de blessés. L’État a été accusé d’avoir donné son aval à ce déchaînement de violence.

Heureusement, le Brésil et l’Argentine, les plus grands pays d’Amérique du Sud, ne sont actuellement pas confrontés à des troubles similaires, même si les récentes élections présidentielles qui s'y sont déroulées ont révélé une profonde division chez les électeurs.

Le président brésilien Jair Bolsonaro sourit lors d’un événement à Brasilia, Brésil, en octobre 2019. (AP Photo/Eraldo Peres)

En octobre 2018, le Brésil a élu l’ancien capitaine de l’armée Jair Bolsonaro, un homme de droite. L’ancien membre du Congrès a battu le candidat de gauche, ce qui a entraîné la première défaite du Parti des travailleurs depuis 1998. Malgré la défaite et l’usure causées par plusieurs scandales de corruption, les partis de gauche brésiliens contrôlent encore un grand nombre de sièges au parlement et gouvernent plusieurs États.

En Argentine, l'élection d’Alberto Fernandez le 27 octobre dernier a ramené au pouvoir le parti de gauche de l’ancienne présidente Cristina Kirchner, devenue vice-présidente. Même défait, l’ancien dirigeant Mauricio Macri a obtenu 41,7 % des voix, ce qui montre que, tout comme au Brésil, l’opposition est forte.

Conséquences possibles

La résurgence des troubles en Amérique du Sud présente certaines similitudes d’un pays à l’autre.

La plupart ont commencé pour des raisons mineures, comme l’augmentation du prix des billets d’autobus ou de métro, mais se rapportent à des problèmes de politique publique plus vastes comme la corruption, l’accès à l’éducation, aux soins de santé ou aux pensions de retraite. Les questions économiques sont fondamentales dans l’insatisfaction généralisée.

Les indicateurs économiques, solides lors des dernières années, se sont affaiblis. De nombreux pays sont aujourd’hui confrontés à une faible croissance et à un taux de chômage élevé.

Même le Chili, considéré comme le pays le plus développé d’Amérique latine connaît une détérioration de ses perspectives économiques. Il est un peu tôt pour dire si les événements récents pourraient changer la donne.

Les troubles en Amérique du Sud sont déjà comparés au printemps arabe, la vague de manifestations pro-démocratie qui a secoué l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient en 2010 et 2011, provoquant la chute des autocrates au pouvoir en Égypte, en Tunisie et en Libye, et générant une guerre civile au Yémen.

Bien qu’il existe des similitudes, les pays d’Amérique du Sud sont largement démocratiques, même si certaines de ces démocraties sont fragiles. Les dernières élections sud-américaines ont d'ailleurs vu des électeurs osciller entre partis de gauche et de droite.

Les prochaines semaines permettront de mieux appréhender l'impact des récents mouvements. Malgré la richesse naturelle de la région, les crises économiques en Amérique du Sud provoquent souvent une instabilité qui, à son tour, donne lieu à des manifestations massives comme celles que nous connaissons actuellement.


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This article was originally published in English

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