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Territoire dévasté par les feux de brousse de 2019-2020 en Australie. Shutterstock

L'argent ne sauvera pas la planète, la philanthropie doit s'adapter

Le bilan des feux de brousse qui ont ravagé l’Australie de septembre 2019 jusqu’au début de 2020 donne le vertige : plus d’un milliard d’animaux ont péri dans les flammes, 33 vies humaines ont été fauchées, 2500 bâtiments détruits et plus de 80 000 Km2 de territoires ont été incendiés.

Devant l’ampleur de cette tragédie écologique et humaine, les réponses de solidarité ont été immédiates. Nous avons vu éclore des pétitions et des collectes de fonds partout dans le monde, sur différentes plates-formes. Cet élan de générosité n’est pas sans rappeler ceux qui ont suivi les catastrophes en Asie du Sud-Est (Tsunami de 2004) ou en Haïti (Séisme de 2010).

Cet appel aux dons fut également relayé par des célébrités des milieux culturel et sportif. L’histoire la plus virale étant sans contredit celle de Celeste Barber, comédienne australienne parvenue à amasser, en quatre jours, plus de 44 millions de dollars pour le NSW Rural Fire Service.

Mais cet afflux d'argent est-il encore pertinent à la lumière des changements climatiques ? Notre groupe de recherche, le Phi-Lab, le Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie, s'est penché sur cette question.

Le don d’urgence, un don émotif

Les dons motivés par l’urgence et les émotions visent, en premier lieu, à arrêter ce qui est considéré comme insoutenable. Il faut faire cesser les images d’horreur. Le don immédiat en capital, dans ce contexte, tente de fournir des moyens techniques et humains pour mettre fin à la crise. À plus long terme, le don issu du soutien philanthropique servira aux projets de reconstruction.

Nous sommes donc en présence d’une philanthropie dite « classique », comprise ici comme un don en argent réalisé dans l’objectif de répondre à des besoins immédiats.

Des troupes des Forces armées canadiennes aident un hélicoptère de la marine américaine à décharger sa cargaison d’aide à l’aéroport de Jacmel, en Haïti, après le séisme de janvier 2010. LA PRESSE CANADIENNE/Adrian Wyld

Cette forme de philanthropie soulage des conséquences générées par une situation problématique, comme celle de l’Australie, qui apparaît suffisamment exceptionnelle pour que l’émotion humaine prenne une place centrale dans la décision de donner.

Sans remettre en cause les bonnes intentions à la base des gestes de solidarité en situation d’urgence, la question que nous posons est la suivante : dans un contexte où les catastrophes naturelles sont et seront de plus en plus liées aux changements climatiques, la philanthropie classique est-elle aussi pertinente qu’autrefois ?

Nous identifions trois limites inhérentes à cette forme de philanthropie : elle ne peut pas tout reconstruire, elle peut amener à se déresponsabiliser, elle soutient une économie non durable.

L’argent n’achète pas tout

Peut-on racheter un écosystème détruit ? Si l’on peut aider les citoyens et citoyennes à reconstruire leurs maisons emportées par les flammes, il en va autrement de la revitalisation d’écosystèmes naturels réduits en cendres. Quand les dommages affectent la biodiversité, il y a des choses qui sont malheureusement irremplaçables.

Dès lors, devant les destructions qu’engendrent ce type de catastrophes, force est d’admettre l’impuissance du don classique de la philanthropie. Le capital ne « reconstruit » pas une espèce vivante comme il restaure une cathédrale, quelle que soit sa portée symbolique.

Le capital ne « reconstruit » pas une espèce vivante comme il restaure une cathédrale telle Notre-Dame de Paris, ici en flammes, le 16 avril 2019.

La situation récente, liée à l’incendie de Notre-Dame de Paris, a donné lieu à une mobilisation philanthropique internationale d’une grande intensité, laquelle a largement dépassé les Parisiens ou les catholiques. En vingt-quatre heures, 850 millions d’euros ont été offerts aux autorités concernées par quelques milliardaires internationaux : soit en leur nom, soit par l’intermédiaire de leur entreprise ou de leur fondation. Ce faisant, des dons individuels ont été amassés partout dans le monde.

S’acheter une bonne conscience

Face à l’aggravation des catastrophes dites naturelles, les réactions philanthropiques, bien que sincères, se présentent souvent comme une voie de contournement de nos responsabilités.

Autrement dit, nous sommes confrontés au syndrome du pollueur-payeur, à l’image de la taxe carbone. Si je m’acquitte d’une taxe financière, je m’achète alors un droit : celui de ne pas changer d’attitude. Ce concept s’apparente à celui du commerce des Indulgences du XVIe siècle. Nous avons tendance à réagir émotivement en choisissant une solution compensatoire qui nous dispense d’assumer nos responsabilités.

En se limitant à la compensation par la réparation et non à la prévention par la conscientisation et l’adoption de réglementations appropriées, la philanthropie classique apparaît comme une réponse incompatible avec les problèmes engendrés par la crise climatique. Destiné à éteindre les flammes, le don étouffe en fait un autre incendie : celui des responsabilités humaines face aux dérèglements climatiques et aux grandes inégalités sociales.

Soutenir une économie non durable

Au plus fort de la crise, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a exhorté les Canadiens à faire un don pour aider l’Australie en guise de solidarité. Cette situation peut paraître en soi adéquate.

Toutefois, est-ce le rôle du politique de faire appel au grand public pour colmater les brèches d’un système économique mondial à la déroute ? Ne devrait-il pas plutôt proposer une révision de notre mode de vie et de notre rapport à la Nature ? Écouter la population et en particulier les jeunes, qui revendiquent des changements en profondeur dans notre rapport à l’environnement ? Où sont les politiques responsables, les normes et les règlements en cohérence avec l’élan de solidarité internationale démontré par les mobilisations pour l’Australie ?

Marche pour le climat à Montréal, le 27 septembre 2019. Shutterstock

Pour relever le grand défi écologique, les décideurs politiques devront faire preuve de courage en proposant et en soutenant les changements qui s’imposent. De cette façon, il sera possible de concilier l’aide philanthropique d’urgence à une philanthropie du changement social, combinant dons financiers et actions responsables. Ce basculement de perspective doit advenir maintenant, c’est un impératif.


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Par exemple, l’Australie comme le Canada peuvent mieux faire en matière de protection de leur patrimoine naturel. L’Australie abrite le plus grand nombre de sites classés en périls, naturels ou mixtes, et n’a pourtant pas beaucoup de fondations philanthropiques (seulement 5 000). Les vieilles habitudes coloniales de revente des ressources sur lesquelles le pays s’est construit, comme les activités minières ou d’extraction, sont encore très présentes aujourd’hui.

Si l’Australie ne fait pas tous les efforts pour préserver son patrimoine naturel, il n’en demeure pas moins que ce dernier fait partie de l’équilibre global de la planète. À l’image des institutions internationales qui se sont donné pour mission d’opérer dans le cadre d’une « commune humanité » afin de permettre le déploiement d’une « commune dignité », la philanthropie a le devoir de s’adapter aux défis et aux combats qui dépassent les dimensions caritatives.

Nous avons la responsabilité de préserver le patrimoine mondial. Sur ce point, la philanthropie peut aider à condition de se définir et de se présenter comme un outil citoyen au service des changements durables à opérer et non comme un geste porteur d’une pensée magique. L’idée n’est pas de freiner cet élan de solidarité qui redonne de l’espoir lors de moments de crise. Toutefois, le caractère particulier de la catastrophe australienne exige une réflexion franche et critique par rapport aux mouvements philanthropiques spontanés.

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