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Expliquer pour mieux agir

L'avertissement Trump

Ni les sondeurs ni les médias n'avaient vu venir la vague Trump. Gage Skidmore/Flickr, CC BY-NC-ND

L’élection de Donald Trump a mis en cause les sondages et les médias américains, qui pour la plupart – mais pas pour tous néanmoins – ne l’avaient pas vu venir. Ce que l’on sait du personnage a pu être lu en France à la lumière de ce que cette victoire implique pour les États-Unis et pour le monde, mais aussi avec l’idée que le succès de Trump pourrait susciter ou encourager dans notre pays une montée en puissance du populisme et une probabilité accrue de voir Marine Le Pen l’emporter à la prochaine présidentielle. Un scénario que j’explore dans ma fiction parue en avril dernier sous le titre Le séisme.

Sondages et médias, populisme et national-populisme : derrière ces deux questions se profilent des phénomènes complexes et qui ne sont pas sans liens.

Les limites du modèle vertical de l’information

Les carences des sondeurs et les errances de journalistes hors-sol constituent une explication encore superficielle de l’effet de surprise causé par l’élection de Donald Trump. On peut certes gloser sur les erreurs quasi techniques des premiers, et sur l’aveuglement des seconds, quand ils confondaient leurs désirs et le réel. Mais comment ne pas voir, beaucoup plus profondément, que les uns et les autres appartiennent à un même ensemble, une nébuleuse qui inclut aussi les acteurs politiques et quelques intellectuels « people » et dont le ciment est assez largement constitué par la « com » ?

Ce système, avec d’innombrables variations internes, certes, a pour caractéristique principale de fonctionner de haut en bas, verticalement. Il fixe la nature des questions dont il faut parler, hiérarchise l’information, propose les catégories, les mots mêmes, tout simplement, qu’il convient d’adopter dans le débat. Il formule à sa façon les questions qui lui semblent dignes d’intérêt, souvent d’ailleurs sur un mode suiviste – dans les rédactions des chaînes de télévision, le matin, Le Parisien donne le ton, l’après-midi, c’est Le Monde

Ce système maîtrise, à bien des égards, le calendrier, et il définit l’actualité. Il la définit, il en est aussi le serviteur, tant il s’inscrit dans le « présentisme » que critiquent les historiens. Et si ceux qui jouent un rôle dans cette nébuleuse ne sont pas ignorants d’un certain passé, il s’agit pour l’essentiel de la somme actualisée des actualités antérieures, telles qu’il les a définies auparavant. La mémoire ici est largement autoréférentielle : ce qui n’était pas, hier, dans l’actualité ne fait pas partie des références de ceux qui fabriquent l’actualité contemporaine, ou bien peu.

Ce système a été affaibli par Internet et les réseaux sociaux, même s’il sait aussi les utiliser. Il est mis en cause par la circulation horizontale des opinions, des affects, des informations, réelles ou non. Et le succès de Trump est venu dire qu’il n’est pas au-dessus de la mêlée, qu’il peut faillir, gravement. Mais ne nous y trompons pas : il saura se relancer, une fois les critiques digérées. Toujours est-il que nous voyons mieux, aujourd’hui, ce qui est en cause : non pas des difficultés techniques, non pas un certain dévoiement, mais un modèle d’information qui atteint ses limites.

Effet de démonstration

Considérons maintenant le thème du populisme et du national-populisme. Il faut noter que l’élection de Trump est venue signifier la crise des deux grands partis américains, l’un et l’autre incapables de se doter d’un candidat incontestable. De plus, elle ne constitue pas un phénomène isolé. Partout, dans le monde, les partis classiques rencontrent de graves difficultés, peut-être plus encore à gauche qu’à droite : dans certains cas, ils disparaissent, ou presque ; dans d’autres cas, ils se fragmentent, ne laissant émerger réellement qu’un bloc radicalisé et minoritaire ; dans d’autres encore, ils se dissolvent dans des formules populistes improbables, commele mouvement 5 étoiles en Italie. Les voies de la décomposition sont multiples, mais l’horizon est partout – pour l’instant – le même.

Dans ces conditions, l’espace s’ouvre pour des forces politiques du type de ce qu’incarne le FN, avec d’importantes différences d’une expérience à une autre. Ainsi, certaines droites radicales peuvent promouvoir une certaine violence, d’autres non : Aube Dorée, en Grèce, est bien différente, par exemple, de l’UKIP britannique. Il en est qui sont ouvertes à une certaine modernité culturelle : par exemple, aux Pays-Bas, des leaders comme Pim Fortuyn, puis Geert Wilders ont défendu les droits des homosexuels. Mais d’autres forces d’extrême droite sont beaucoup plus réactionnaires culturellement.

Marine Le Pen, le 15 novembre à Paris, lors de l’inauguration de son QG de campagne. Alain Jocard/AFP

La victoire de Trump n’est pas en elle-même la source de phénomènes d’extrême droite, ou plutôt populistes. Mais à l’évidence, elle contribue à les galvaniser, en montrant qu’il est possible de remporter démocratiquement une élection avec des propos sulfureux, racistes, xénophobes, machistes, et sans programme stabilisé. Venant après le Brexit, qui a démontré qu’il est possible d’obtenir par référendum la sortie de l’Union européenne, elle est venue dire que l’action de Marine Le Pen et de son parti n’était pas nécessairement utopique.

Le problème n’est donc pas tant un effet d’imitation, qu’un effet de démonstration, ou d’avertissement : nous savons que les forces d’extrême droite peuvent l’emporter, et que le populisme, qui n’est pas la même chose, mais qui peut s’y lier, a de beaux jours devant lui. Et nous savons que nous avons besoin pour y réfléchir, et peut-être s’y confronter, d’autres outils de connaissance, d’information et d’analyse politique que ceux qui relèvent de logiques top down arrogantes. La contribution des sciences humaines et sociales devrait ici être décisive.

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