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Le budget de la zone euro, une initiative utile mais déjà bien compromise

Les propositions d'Olaf Scholz et de Bruno Le Maire, respectivement ministres de l'Économie allemand et français, n'ont pas entièrement convaincu leurs partenaires européens. John Thys/AFP

Le 19 novembre 2018, les ministres des Finances de l’Eurogroupe se sont réunis pour examiner les modalités d’un budget de la zone euro proposées par la France et l’Allemagne. Celles-ci ont été l’objet d’un communiqué publié avant la réunion. Il est opportun de préciser le contexte et d’apprécier quelle serait l’efficacité réelle de ces mesures pour régler les problèmes de la zone euro.

Les propositions de Meseberg

La démarche s’inscrit dans le contexte d’une initiative commencée il y a quelques mois. Les propositions franco-allemandes de Meseberg du 19 juin 2018, se donnaient pour objectif « d’établir un budget de la zone euro, dans le cadre de l’Union européenne, afin de promouvoir la compétitivité, la convergence et la stabilisation dans la zone euro, à partir de 2021 ». Il était précisé que les « décisions sur le financement devraient prendre en compte les négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel » et que les ressources proviendraient à la fois des contributions nationales, de l’affectation de recettes fiscales, et de ressources européennes.

D’après les gouvernements concernés, le « but du budget de la zone euro est la compétitivité et la convergence, qui seraient assurées à travers des investissements dans l’innovation et le capital humain ». Le communiqué expliquait également que le budget de la zone euro pourrait financer de nouveaux investissements en remplacement de dépenses nationales. La France et l’Allemagne proposaient également l’installation du fonds de stabilisation de l’assurance chômage, pour l’éventualité de graves crises économiques, mais entièrement basé sur le principe de prêts, avec obligation pour les pays en crise de rendre l’argent ultérieurement. Il avait été décidé que la France et l’Allemagne travailleraient ensuite à des modalités précises. C’est donc le résultat de cet effort qui a été présenté, quelques mois après, à l’Eurogroupe.

Les conséquences d’une erreur essentielle de construction de la zone euro

L’idée d’un budget de la zone euro est présentée comme une manière de réparer une erreur essentielle de construction de la zone euro. Presque tous les experts admettent maintenant que l’absence d’un minimum de fédéralisme fiscal est un défaut essentiel de construction de la zone euro. La perte de l’instrument de la dépréciation compétitive de la devise nationale aurait dû être compensée par un partage des risques avec des versements automatiques au bénéfice de pays qui subissent un choc asymétrique, en provenance des autres. Il eût fallu également organiser d’emblée l’émission d’un actif sans risque commun à toute l’union monétaire, sous la forme d’obligations émises conjointement par les pays de la zone euro, et que leurs banques auraient pu acquérir, au lieu de rester exposées spécifiquement au risque des dettes de leur propre gouvernement national.

Cette objection avait déjà été soulevée lorsque l’on préparait le lancement de l’euro, sans qu’on en tienne compte, et fut ensuite largement confirmée par la crise financière qui, après le premier effondrement de 2009, commun à tous les pays avancés du monde, a entraîné une deuxième récession pour la zone euro, contrairement aux États-Unis.

Une autre erreur s’est ajoutée à l’absence de fédéralisme fiscal, et fut inspirée par les mêmes conceptions erronées : l’absence de prêteur en dernier recours dans la zone euro, puisque le traité de Maastricht interdit le principe du financement monétaire des dettes publiques des pays de l’union monétaire sur le marché primaire. Un règlement du Conseil interdit également que les achats d’obligations publiques sur le marché secondaire soient utilisés pour contourner les objectifs de la clause du traité, évoquée ci-dessus.

Bien sûr, tout le monde admet que le financement monétaire doit être utilisé avec une prudence et une parcimonie extrêmes pour éviter l’inflation excessive et la dépréciation de la monnaie. Mais l’existence de la possibilité légale d’un financement monétaire suffit à empêcher la spéculation sur un défaut des gouvernements sur leur dette, sans qu’il soit nécessaire de l’utiliser réellement. Au contraire, tout se passe comme si les pays de l’union monétaire qui empruntent en euros s’endettaient en monnaie étrangère, et cela ouvre la porte à la spéculation. Ironiquement, le président de la BCE a été obligé d’admettre lui-même cette erreur de construction puisqu’il n’a pu sauver l’euro en 2012 qu’en proclamant le principe des OMT (programme d’achats « illimité » de titres de dette publique – outright monetary transactions), et donc que, quoi qu’en dise le traité et les règlements, il était prêt à acheter sélectivement et massivement, sur le marché secondaire, les obligations de pays en détresse, sous certaines conditions.

Il fallait donc bien un prêteur en dernier recours ! Il n’y a même pas eu besoin d’activer les OMT pour arrêter la spéculation en 2012. Le problème est que, par la suite, les conditions mises par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour de Karlsruhe (cour constitutionnelle allemande) ont été telles qu’elles rendraient très difficile d’appliquer les OMT si on en avait besoin, ce qui réduit la crédibilité du mécanisme pour affronter la spéculation.

Quelle serait l’efficacité des nouvelles propositions franco-allemandes ?

L’objectif affiché par les propositions franco-allemandes à l’Eurogroupe est de promouvoir la convergence et la compétitivité des pays de la zone euro, et de stabiliser ceux-ci. Le budget de la zone euro renforcerait la convergence et inciterait aux réformes, par un cofinancement de dépenses publiques qui favorisent la croissance, comme les investissements, la recherche, l’innovation et le capital humain.

Clairement, l’accent est mis bien davantage sur les aspects structurels, avec le renforcement du potentiel de croissance à long terme, que sur l’objectif de stabiliser les économies par un partage des risques en cas de chocs. C’est une concession évidente de la France à l’Allemagne. Il est bien sûr nécessaire d’investir pour promouvoir la croissance potentielle à long terme, mais il y a déjà des outils communautaires pour cela, comme les fonds structurels et le plan d’investissement de la Commission, plan Juncker, lancé récemment. Il y a donc moins besoin d’un outil pour cela. En revanche, le problème d’absence d’un mécanisme de solidarité pour stabiliser à court terme des pays qui subissent une récession ou un choc asymétrique se pose toujours.

La note publiée par la France et l’Allemagne juste avant la réunion de l’Eurogroupe se défend vaguement sur ce point en expliquant que les mesures proposées renforcent également la stabilité dans la mesure où les dépenses publiques d’investissement ont tendance à être toujours réduites lorsque leur situation budgétaire se dégrade à la suite d’un choc récessif. Le budget de la zone euro permettrait ainsi à un pays en récession de continuer à réaliser des investissements publics, ce qui soutiendrait la demande domestique. C’est vrai, mais c’est très loin de suffire si l’on veut vraiment être à même de stabiliser les pays de la zone euro en cas de nouvelle crise.

Il convient d’observer que l’idée d’un budget de la zone euro, à condition d’être suffisamment ambitieuse, ce qui est loin d’être le cas, pourrait apporter une solution à la nécessité d’un certain partage des risques budgétaires, mais que l’absence de prêteur en dernier recours reste sans solution.

Les propositions de la France et de l’Allemagne indiquent que le soutien du budget de la zone euro aux pays membres et à leurs programmes serait conditionnel à la poursuite par ceux-ci de politiques en conformité avec leurs obligations qui résultent de la coordination européenne des politiques économiques, y compris la régulation budgétaire. Cette concession à l’Allemagne exclut donc toute possibilité que le budget de la zone euro puisse permettre à certains pays en crise de se libérer des contraintes du pacte de stabilité. La France et l’Allemagne estiment donc que, contrairement à ce qu’affirme l’Italie par exemple, la réforme du pacte de stabilité, qui se concentre maintenant sur le déficit structurel, qui tient compte du cycle de l’activité, apporte une flexibilité suffisante. Le problème est que la réforme a diminué quelque peu le caractère procyclique des contraintes du pacte de stabilité, mais qu’il garde quand même encore des propriétés procycliques. Il est donc illusoire d’espérer pouvoir stabiliser entièrement les pays de la zone euro en cas de nouvelle crise.

Obstacles politiques

D’autres problèmes se posent du point de vue du financement et de la gouvernance du budget de la zone euro. La France et l’Allemagne proposent que le budget de la zone euro soit d’abord alimenté par des revenus externes dédiés, qui seraient des contributions des pays de l’union monétaire, collectées et versées au budget de l’Union européenne d’après un accord intergouvernemental à sceller. Cet accord intergouvernemental serait conclu entre les pays de la zone euro et comprendrait les modalités qui régiraient la détermination des contributions des différents pays et leur plafond, ainsi que les principes qui guideraient le mécanisme de décision pour l’affectation de ce budget. Les revenus externes pourraient provenir en partie de nouvelles taxes comme celle sur les transactions financières souhaitée par la France. En complément à ces ressources externes, le budget de la zone euro pourrait aussi être alimenté par des ressources européennes, comme celles de l’outil d’aide à la mise en place de réformes proposé par la Commission en mai 2018, qui porterait sur 22 milliards d’euros accessibles à tous les pays de l’UE. On peut supposer que l’idée soit que les pays de l’union monétaire dirigent ce à quoi ils auraient droit dans le cadre de ce mécanisme, vers le budget de la zone euro.

Le budget de la zone euro serait donc une partie du budget de l’Union européenne. La note de la France et de l’Allemagne justifie ce choix par un souci de cohérence avec l’ensemble de la politique de l’UE et la nécessité d’une bonne gestion, avec un contrôle budgétaire et une supervision parlementaire. Ce choix entraîne cependant de gros problèmes liés à l’implication des pays de l’UE hors zone euro. Le budget de la zone euro serait un instrument limité aux 19 pays de l’union monétaire. Toutefois, tous les 27 pays de l’UE, après le Brexit, voteraient au Conseil sur les propositions législatives ayant pour objet d’établir un budget de la zone euro. L’Eurogroupe proposerait ensuite des programmes à financer par le budget de la zone euro. Ces programmes auraient à être approuvés par la Commission où siègent des représentants issus de pays hors zone euro. Tout cela ouvre la voie à beaucoup d’obstacles politiques. La négociation sur le budget de la zone euro va s’intégrer à celle sur l’ensemble du prochain budget de l’UE, qui va être très difficile suite à la réduction des ressources en conséquence du Brexit. Il faudrait des années avant qu’un accord permette que le budget de la zone euro puisse être mis en place.

Les nouvelles propositions franco-allemandes ont été, de toute manière, reçues avec beaucoup de réserves par une partie des pays qui participent à l’Eurogroupe, lors de la réunion où elles ont été présentées. Il a été décidé que du travail restait à réaliser à ce propos et que le sujet continuerait à être abordé ultérieurement à l’Eurogroupe. Ce manque d’enthousiasme illustre l’immobilisme de la zone euro alors que ses défauts de construction restent encore à corriger.

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