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Des militants de Greenpeace accrochent une bannière au Stade olympique de Montréal, en juillet 2018, pour protester contre l'expansion du pipeline Trans Mountain. Les Canadiens sont divisés sur le sujet, comme sur plusieurs autres. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Le Canada est-il vraiment un pays divisé?

Le Canada est-il vraiment un pays divisé?

Plusieurs premiers ministres canadiens prétendent que la péréquation est injuste pour leur province.

La Colombie-Britannique et l'Alberta se disputent autour de la construction d’oléoducs. Les tenants albertains et les opposants britanno-colombiens au projet Trans Mountain s'affrontent avec vigueur.

Des critiques anglo-canadiens dénoncent le traitement réservé aux minorités par le Québec et l’adoption d’une loi restreignant le port de symboles religieux.

Les tensions entre les régions du pays semblent exacerbées.

Et ce ne sont que les exemples les plus récents de nos conflits nationaux. Depuis la Confédération, les premiers ministres et les commentateurs se sont plaints fréquemment de mauvais traitements à l’égard de leur province. Notre histoire est caractérisée par des tensions interprovinciales et intergouvernementales.

Ces querelles politiques créent une impression de division. Les Canadiens, semble-t-il, ne peuvent s'entendre sur rien. Est-ce que les citoyens canadiens des différentes régions du pays sont si différents ?

La réponse est à la fois oui et non. Une étude réalisée en 2017 révèle que l’attitude des Canadiens à l’égard des politiques publiques découlent rarement de leur appartenance à une région plutôt qu’à une autre.

Il y a certes des problématiques régionales notables. Les intérêts économiques importent et se reflètent dans le fait que certains résidents de l'Alberta et de la Saskatchewan voient les oléoducs et les taxes sur le carbone d'une manière différente des résidents d'autres provinces.

La protection de la culture importe également et les craintes d'érosion du patrimoine culturel québécois peuvent contribuer à l'attitude des résidents de cette province à l'égard de la liberté religieuse.

La géographie importe cependant moins

Ces facteurs régionaux, cependant, ont des effets modestes. L'étude de 2017, signée par les professeurs Éric Montpetit, Erick Lachapelle et Simon Kiss, montre que les positions politiques des Canadiens reflètent un ensemble de valeurs. Et on les retrouve dans chacune des régions du Canada. Il y a bien quelques variations dans leur distribution, mais les différences régionales de valeur, et donc les différences de positions politiques, sont modestes. La géographie compte moins que ne le suggère la rhétorique politique.

Si les Canadiens d'une région à l'autre sont plus semblables que différents, pourquoi semblons-nous aussi divisés?

Une partie du problème réside dans la façon dont nous parlons des attitudes du public. Les commentateurs usent souvent d’un langage qui associent « opinion majoritaire » à « opinion provinciale ». Lorsque l’on glisse vers un tel langage, il est facile de perdre de vue la diversité des opinions présentes dans une province.

Par exemple, certains Québécois s'opposent à la restriction des symboles religieux - tout comme certains résidents d'autres provinces appuient de telles restrictions. En effet, l’étude a montré que sur 18 enjeux de politique - y compris les oléoducs et les symboles religieux – existe les mêmes différences d’opinions d’une province et d’une région à l’autre. Les positions politiques généralement associées à une seule province bénéficient également de soutiens significatifs dans les autres provinces. On sait que le Canada contient une pluralité d’opinions, mais il en va de même pour les provinces.

Des manifestants protestent contre la loi 21 sur la laïcité, à Montréal, en avril 2019. Certains Québécois s'opposent à la restriction des symboles religieux, tout comme certains résidents d'autres provinces appuient de telles restrictions. La Presse Canadienne/Graham Hughes

De plus, les débats populaires sont généralement représentés dans les médias par les positions les plus éloignées. Les discours rationnels sont souvent ignorés au profit d’une rhétorique conflictuelles.

Lorsque les positions politiques sont présentées d’une telle manière, il n’y a qu’un pas à franchir pour que le débat devienne personnalisé. Lorsqu'une Albertaine entend l'opposition catégorique d'un politicien québécois à la construction d'un oléoduc, elle pourrait supposer que personne au Québec ne se soucie de la prospérité économique de sa famille. Lorsqu'un critique anglo-canadien soutient que les politiques québécoises relatives aux symboles religieux sont intolérantes, un Québécois francophone peut interpréter cela comme une déclaration selon laquelle il est lui-même intolérant.

Sentiments de manque de respect

Un tel langage contribue à créer un sentiment de manque de respect à travers le pays. Ce sentiment n’est pas nouveau en politique canadienne. Ce qui est nouveau, c’est comment les médias sociaux et les fausses informations exacerbent les réflexes de simplification et de diabolisation.

Que les médias et les politiciens provinciaux ont tout à gagner des divisions régionales n’aident en rien.

Alimenter les tensions régionales est en effet une stratégie rationnelle qui porte ses fruits. Les reportages médias sur les frictions régionales attirent l’attention dans un contexte de concurrence médiatique accrue. Les politiciens provinciaux tirent profit de l'indignation régionale. Les premiers ministres et leurs adversaires peuvent réaliser des gains politiques significatifs en «se tenant debout» pour leur province, comme l'a bien expliqué le professeur Jared Wesley au sujet des élections de 2019 en Alberta.

Des manifestants bloquent la circulation alors qu'ils transportent un faux oléoduc lors d'une manifestation à Montréal, en août 2016. Est-ce que les manifestants représentent tous les citoyens dans la province ? Probablement pas. La Presse Canadienne/Graham Hughes

En somme, les différences entre les provinces sont exagérées dans le discours public. La rhétorique politique suscite un sentiment de manque de respect, et les politiciens et les médias gagnent à alimenter ce sentiment. Il n’est donc pas étonnant que les tensions interrégionales soient devenues une caractéristique de la politique canadienne.

Doit-on s’en préoccuper ? Est-ce vraiment important ?

Nous ne le pensons pas. Bien sûr, les conflits provinciaux sont souvent sources de malaises. Mais la réalité est que, selon diverses mesures, le Canada fonctionne bien malgré ces conflits. Le Canada tire son épingle du jeu plutôt bien en comparaison à d'autres pays de l'OCDE en ce qui concerne son économie et son environnement, selon plusieurs indicateurs environnementaux.

Contrairement à beaucoup d'autres pays, et sans nier les difficultés, le Canada a réussi à protéger sa diversité culturelle et linguistique.

Malgré des décennies de querelles et de bagarres, le Canada continue à progresser. Les tensions nationales, en elles-mêmes, ne nous amènent pas à adopter de piètres politiques publiques. Si les tensions entre les provinces devaient se transformer en soif de séparation, le problème serait évident. Mais sans cela, les divisions régionales ne sont que le sous-produit naturel d'une société pluraliste au sein d'un système fédéral.

This article was originally published in English

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