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Le capital-risque : un simple phénomène de marché ?

Sensome, une start-up issue de l’École polytechnique et du CNRS, soutenue par la société de capital-risque Kurma Diagnostics. Ecole polytechnique / Flickr, CC BY-SA

L’émergence du capital-risque est liée à la nécessité de mettre au point des formes de financement de l’innovation permettant d’explorer les sentiers technologiques prometteurs. Les capital-risqueurs lèvent des fonds auprès d’investisseurs institutionnels (banques, fonds de pension, compagnies d’assurance, etc.) au moyen de véhicules appelés fonds de capital-risque.

Ces fonds ont en général une durée de vie de dix ans, ils investissent dans des projets technologiques à haut risque dans le but de générer des revenus financiers. L’écosystème de financement entrepreneurial par l’apport de fonds propres est encastré dans des institutions qui définissent le cadre juridique, fiscal et opérationnel, en quelque sorte les règles du jeu influençant ce mode de financement.

Les contraintes de financement sont ici très spécifiques. L’innovation est un processus intrinsèquement incertain. Les rendements de l’innovation sont extrêmement biaisés, ce qui nécessite des intermédiaires spécialisés qui mobilisent des connaissances instrumentales et interprétatives pour formuler des jugements favorables ou non à l’investissement dans un projet.

Les asymétries d’information sont importantes, l’historique des firmes entrepreneuriales n’existe pas et elles ont un pourcentage élevé d’actifs intangibles, la connaissance étant localisée dans le capital humain et les brevets.

Quel type de marché ?

Dans ce contexte, parler de marché ne doit pas faire référence à ses propriétés d’équilibre, mais plutôt à des comportements d’agents orientés vers la création et l’acquisition de nouvelles connaissances pour comprendre et réaliser des apprentissages.

Il semble difficile de définir un marché du capital-risque uniquement à partir d’une structure contractuelle d’ordre privé, dans lequel les pouvoirs publics ne sont et ne doivent être que des investisseurs passifs, parce que leur intervention risquerait de biaiser le processus de sélection en attirant les bons investisseurs.

Plus fondamentalement, comment imaginer un marché au sens traditionnel du terme lorsqu’il s’agit d’échanger un apport de fonds propres accompagné de la fourniture de services à valeur ajoutée contre une connaissance susceptible de se transformer dans le temps en produit ou en service commercialisable ?

En fait, l’émergence et la consolidation de ce marché sont le résultat de processus d’apprentissage individuels et collectifs qui ont suscité la formation de réseaux de soutien entrepreneurial (Kenney et Patton, 2004). Aux États-Unis, les réseaux de soutien entrepreneurial reposent sur une division du travail assez complexe : cabinets juridiques d’avocats conseils, capital-risqueurs, experts individuels, spécialistes de la propriété intellectuelle, banques d’investissement, groupes de consultants spécialisés, etc.

Cette structure organisationnelle repose sur la coopération. Elle est une forme d’interaction sociale qui facilite non seulement la communication et la coordination, mais aussi l’apprentissage. Elle a permis d’identifier les fonds de capital-risque possédant connaissances et expériences qui soutiennent et assistent les entrepreneurs.

La création de ces structures organisationnelles est une façon de reconnaître que les barrières à l’entrée dans l’entrepreneuriat ne sont pas simplement financières ou informationnelles, mais aussi sociales et psychologiques.

La démarche d’investissement est suffisamment complexe pour nécessiter l’intervention de plusieurs partenaires financiers et la mise en place de processus d’expérimentation et de sélection.

L’implication des grandes entreprises

Une transaction en capital-risque implique très souvent plusieurs partenaires financiers. On parle alors de syndication.

Prenons le cas du « corporate venture capital ». Une étude récente (Paik et Woo, 2017) montre que la grande entreprise qui investit dans une startup de façon majoritaire va influencer les décisions stratégiques de R&D de l’entreprise investie en mettant en œuvre trois mécanismes d’influence. Un effet de gouvernance direct gonfle les dépenses de R&D de la startup parce qu’elles s’inscrivent dans un horizon temporel d’investissement allongé, notamment si le projet en cours peut renforcer les compétences centrales de la grande entreprise.

À ce premier mécanisme s’ajoute un effet d’interaction qui signifie que la startup peut accéder à des actifs complémentaires ou à des informations pertinentes et un effet d’approbation de la technologie qui réduit l’incertitude puisque l’adoption par la grande entreprise de la technologie nouvellement créée certifie la qualité de l’innovation.

Au total, ces effets modifient les décisions stratégiques d’allocation des ressources en déplaçant la frontière des dépenses de R&D et en ne jouant qu’au travers de mécanismes internes à la relation entre la grande entreprise et la startup.

Ces relations non marchandes permettent à la startup de profiter des retombées de connaissance provenant directement de la grande entreprise ou indirectement de son réseau de relations : développeurs, experts juridiques, conseillers en marketing, etc.

Expérimentation et sélection

Le processus d’expérimentation s’est amplifié pour trois raisons (Kerr, Nanda et Rhodes-Kropf, 2014). D’abord, il s’agit de tester la pertinence de différents engagements financiers et leur mise à l’échelle ultérieure (les TIC par exemple).

Ensuite, les coûts d’expérimentation ont fortement baissé dans les secteurs high-tech (TIC, logiciel, simulation numérique, etc.) et les connaissances sur de nouveaux produits ou services s’accumulent rapidement.

Enfin, la démarche d’expérimentation conduit à l’idée que les firmes de capital-risque ne constituent pas simplement un portefeuille de startups face à un risque qu’elles cherchent à réduire, mais elles conduisent un certain nombre de tests à partir de concepts hautement incertains.

Les capital-risqueurs se comportent avant tout comme des investisseurs « séquentiels » qui ont la possibilité d’investir davantage sur un projet à des dates ultérieures. Le financement par étapes fait donc partie de la démarche globale d’expérimentation.

Dans ce contexte, les auteurs cités indiquent que les mécanismes de marché ne peuvent servir de guide dans les phases d’expérimentation. Les « survivants » ne sont pas choisis par les consommateurs et la concurrence comme dans le contexte darwinien de sélection par le marché.

La décision de continuer ou d’arrêter d’investir dans un projet est prise par les capital-risqueurs, bien avant que les startups entrent en concurrence sur le marché ou qu’elles aient réalisé un cash-flow positif.

Nous ne devons pas oublier que le capital-risque est un mode de financement coûteux. Dans une étude américaine portant sur des données de dix accélérateurs de startups, il s’avère que sur 100 startups localisées dans les TIC, 92 échouent.

« Dans le monde de l’entrepreneuriat américain, plus de 25 % des startups finissent en liquidation et la proportion qui ne rembourse pas la mise totale est beaucoup plus élevée encore ; en bref, quelques réussites brillantes compensent une grosse majorité d’échecs » (Ekeland, Landier et Tirole, 2016).

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