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Le déclin des droits de l’Homme, un mouvement qui vient de loin

Au siège des Nations unies à Genève, la salle où se réunit le Conseil des droits de l'Homme. Ludovic Courtès/Wikimedia, CC BY-SA

L’abandon par les États-Unis de leur participation au comité des Droits de l’Homme des Nations-Unies met au grand jour une évolution discrète observable depuis quelques années. Que Donald Trump suive en cela les idéologues les plus durs de son courant (Steve Bannon est resté dans l’ombre), qu’il s’affranchisse de toute contrainte légale opposable au niveau internationale dans l’optique de sa politique migratoire et, plus encore sans doute, prive d’une gamme de possibilité de recours son opposition interne est évident. Mais les États-Unis ne font finalement que prendre un train déjà lancé.

Les promesses non tenues des années 2000

Le recul progressif de l’importance de la Déclaration universelle s’observe en fait au moins depuis les années 80 et la consolidation politique des ex-colonies occidentales. Il s’est renforcé au fur et à mesure de la perte d’hégémonie de l’Occident sur le corpus de normes du droit international. L’émergence économique (et son instrumentalisation politique) de la Chine et d’autres a accéléré le mouvement.

Pour preuve, l’évolution de la formulation des stratégies du développement au sein même des Nations unies. Lors du lancement des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), en 2000, ceux-ci sont affichés comme ayant comme conditions et comme but le renforcement des droits humains. La mention figure dans tous les paragraphes, rappelant que le développement ne peut pas être qu’économique et que sa réalisation implique la mise en œuvre des principes de la Déclaration Universelle.

Les années 2000 sont une époque de promesses. Les émergents sont perçus comme convergents vers les standards européens, et beaucoup pense que cette convergence dans les modes de vie et de consommation initie une démocratisation généralisée.

Le réveil progressif d’une vieille critique

Les textes finaux du programme sont d’une autre nature. Lors de la clôture du programme en 2015, et dans les textes annonçant la stratégie suivante (affichant une priorité plus grande pour le développement responsable), les droits de l’Homme se font plus discrets. En cause ? L’influence croissante de la Chine, de la Russie, de l’Inde et des coalitions de pays du Sud dans les négociations, la prise de leadership de la CNUCED (plus influencée par les Sud) sur le PNUD dans l’élaboration des stratégies, et le réveil d’une vieille critique quant à la Déclaration universelle : celle de véhiculer une vision occidentale colonialiste, ignorante des réalités et des valeurs sociales en dehors de la vieille Europe et de l’Amérique du Nord.

Ce n’est d’ailleurs pas tant le principe des droits de l’Homme qui est rejeté que sa formulation dans la Déclaration universelle. L’Organisation de la Conférence islamique en propose, dès les années 70, une autre version, et le Mali revendique dans les années 2000 l’antériorité des sociétés africaines dans la définition d’une philosophie des Droits de l’homme, se basant sur un texte du XVème siècle dont on ignore s’il a eu, à l’époque, une réelle influence.

Dans la même période, Monique Ibundo, ministre du Développement du Burkina Faso, affirme dans une interview, en février 2007, que « le premier des droits de l’Homme, c’est le développement », rejetant en bloc toute idée d’une conditionnalité de l’aide (néanmoins plus ou moins mise en œuvre par les donateurs).

L’usure du temps

L’affaiblissement de la norme des droits de l’Homme n’est cependant pas uniquement le fruit d’une géopolitique des normes dans le champ de laquelle se joue aussi la compétition pour le leadership mondial, mais dans sa relative usure avec le temps.

Ecrit en réponse aux abus de l’absolutisme monarchique, le texte est aujourd’hui interprété à l’aune exclusive de l’individualisme moderne, déviant de plus en plus de sa signification première. Celle-ci, rappelons-le, cherche à fonder les droits des communautés de colons américains face à la Grande-Bretagne. Etendue au-delà de ses intentions initiales, mobilisée par tout un ensemble d’organisations dans un processus de recours croissant à la justice en son nom, la charte est devenue envahissante et le consensus qu’elle incarnait s’est perdu parmi les multiples interprétations particulières.

L’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, Nikki Haley, le 14 mars 2018 au Conseil de sécurité. Spencer Platt/AFP

L’abandon (sans doute momentanée) par les États-Unis d’un comité chargé de mettre en œuvre un texte dont ils sont l’origine marque aussi ce constat d’une dérive. Ne simplifions pas, quitter le comité des droits de l’Homme de l’ONU n’est pas abandonner toute prétention à incarner les principes du texte. Cela correspond totalement à la position affichée par Donald Trump vis-à-vis du système international.

D’une part, il s’agit de redire qu’il souhaite un retour à une Amérique idéalisée plus proche de ses origines (et le texte était destiné à asseoir les droits de petites communautés plutôt rurales isolées à définir leurs propres règles) ; d’autre part, il réaffirme son souci de ne pas soumettre les Américains à des règles établies ailleurs (réaffirmation de souveraineté).

La conséquence sera sans nul doute une nouvelle dévaluation de l’image internationale des États-Unis. Cela ne changera pas grand-chose dans de nombreuses parties du monde, pour qui ce pays n’incarne plus depuis longtemps les principes qu’il affiche.

C’est même la fin d’une politique de contrôle des activités du comité par les États-Unis, qui laisse le champ libre à d’autres pour reprendre le flambeau. C’est plus dommageable vis-à-vis des opinions européennes, qui dans l’ensemble associent l’Occident aux valeurs de la déclaration.

En Europe, prudence

Alors l’Europe prendra-t-elle le relais dans la défense du projet onusien de diffusion des droits de l’Homme ? Rien n’est moins sûr. Les démocraties européennes se heurtent à des opinions publiques ressentant leur société comme étant en crise profonde, leurs États comme impuissants, et leurs droits à choisir leurs valeurs bafouées, entre autre sous la triple injonction de se plier aux normes européennes, à celles de la mondialisation, et à s’ouvrir à une vague migratoire sans précédent qui challengent leurs consensus identitaires et sociaux.

Le sentiment que les principes doivent céder la priorité à l’action et à l’efficacité pour répondre aux doutes et problèmes se répand. Les populismes prospèrent, et peu d’entre eux sont compatibles avec les principes de la Déclaration tels qu’on les conçoit aujourd’hui.

Le véritable défi, pour les Nations unies comme pour les démocraties, ne serait-il pas, dès lors, non pas de défendre coûte que coûte les principes des droits de l’Homme, que de re-questionner leur signification, de les adapter aux contingences contemporaines, de reconstruire un consensus sur leur sens pour le monde moderne et celui à venir.

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