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Chronique juri-geek

Le droit à l’effacement : ce que Google oublie de vous dire dans son rapport de transparence

Google et le droit à l'oubli… VisualHunt

Le 27 février, Google a publié son rapport de transparence expliquant avoir accédé à plus de 48 % des demandes de déréférencement (effacement) des internautes. En réalité, Google refuse l’effacement sur d’autres extensions que le .fr pour les résidents français vidant ainsi de son sens un droit des internautes reconnu à l’échelle européenne.

Qu’est-ce que le droit à l’oubli et comment l’exercer ?

Le droit au déréférencement a été consacré par la Cour de Justice de l’Union européenne dans l’affaire Google Spain en 2014 au titre de l’interprétation de la directive de 1995 (Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données).

Anticipant le règlement européen sur la protection des données à caractère personnel, la cour a affirmé que l’exploitant d’un moteur de recherche est responsable du référencement des données personnelles apparaissant sur des pages Web publiées par des tiers. Elle a aussi reconnu, sous certaines conditions, à la personne dont les données personnelles ont été indexées par un moteur de recherche un droit à l’oubli, dont la mise en œuvre entraîne l’effacement des liens hypertextes du moteur de recherche.

En effet, les informations publiées sur vous sur Internet doivent être adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement. Faites une simple recherche utilisant vos noms et prénoms (sans aucun autre mot à la suite) : un de ces critères ne vous semble pas respecté ? Vous trouvez dans les résultats un blog de jeunesse obsolète, de fausses informations, un ancien CV, des propos diffamatoires contre vous, ou encore une photo de vous mineur ? Utilisez ce formulaire pour en demander l’effacement. Pour les autres sites que Google (Bing, Yahoo, Ixquick), rendez-vous sur la page de la CNIL qui comprend une description de la procédure à suivre. On vous conseille de faire une capture d’écran de votre demande afin d’établir notamment sa date.

Le résultat sera effacé en ce qu’il est associé à vos nom et prénom, mais pas l’information sur le site Internet source, donc le contenu reste visible sur la page initiale. De même, le résultat restera visible en utilisant d’autres mots clés de recherche. La CNIL met à la disposition des usagers trois extensions pour les navigateurs (Chrome, Firefox et Opéra) afin de vérifier si un résultat a bien été effacé suite à votre demande.

Si le moteur de recherche estime qu’une demande est manifestement abusive, il peut refuser d’y donner suite. Autres limites à l’exercice de ce droit : la liberté d’expression et d’information et la défense de droits en justice.

En cas de refus d’accéder à votre demande, il faut saisir notre autorité de protection des données à caractère personnel, la CNIL, qui prendra le relais sur la base de votre copie de la demande et de la réponse qui y est faite et procédera à l’examen approfondi de chaque plainte. Les autorités de contrôle nationales réunies au sein du Groupe de l’article 29 ont adopté une liste de critères communs qui leur sert à examiner les plaintes reçues à la suite d’un refus de déréférencement opposé par les moteurs de recherche accessible ici.

Enfin, le RGPD (règlement général sur la protection des données à caractère personnel) énonce que les personnes disposent d’un tel droit à l’effacement (ou droit à l’oubli, art.17) et en fixe les conditions d’exercice. Toute violation de cette disposition pourra faire l’objet de sanctions sous la forme d’amende administrative pouvant s’élever jusqu’à 20 millions d’euros ou, dans le cas d’une entreprise, jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent, le montant le plus élevé étant retenu.

Un droit reconnu à tout résident européen valable sur toutes les extensions du moteur de recherche

Le déréférencement doit être effectif sur tous les noms de domaine ou extensions du moteur : .be, .de, etc. Y compris sur le .com. En effet, ces extensions appartiennent au moteur de recherche qui a la responsabilité de les administrer quel que soit le mode d’interrogation utilisé. Admettre une solution différente (simplement un effacement sur l’extension .fr pour un demandeur français, ou .be pour un Belge, etc.) viderait de son sens le droit à l’oubli. Or, Google fait une application sélective du droit à l’effacement et n’offre qu’un déréférencement « partiel » donc ineffectif car en utilisant le .com (ou toute autre extension non européenne) le résultat contesté reste visible.

Conséquence : le droit à l’oubli deviendrait purement territorial, mais qui utilise ici le.fr dans Google ? Je crois plus grand monde. Bien pire encore, une telle application de la norme fait que votre droit à l’effacement dépendra au final de qui interroge le moteur de recherche : un français ? OK, pas de résultat. Et depuis les extensions .ca, .mx ? Aie, aie, aie… pas de chance ! Le résultat dont vous avez obtenu l’effacement « chez vous » est encore là ! Ah, ces « autoroutes de l’information » comme on les appelait jadis, elles seraient décidément difficiles à gérer… Naturellement, on ne s’y trompera pas, comment Google reine de la collecte de masse de données et aussi de l’indexation à outrance (cf l’utilisation de deeplink) peut-elle honnêtement prétexter qu’elle ne peut supprimer de toutes les extensions ces résultats ? Personne ne peut y croire. Comme l’a justement souligné la CNIL :

« Les modalités de consultation du moteur de recherche, qu’il s’agisse de l’origine géographique de l’internaute effectuant la recherche, de la langue utilisée pour afficher les résultats, du classement des résultats dans la liste et des termes mêmes de la recherche, constituent autant d’opérations relevant d’un même traitement ».

Droit à l’oubli ou oubli du droit ?

Loin de respecter le droit à l’effacement, Google le met à mal en utilisant son arme habituelle : manipuler l’opinion en publiant un rapport de transparence trop souvent pris pour argent comptant par les médias masquant ainsi son interprétation restrictive des droits des usagers.

Le rapport de transparence est une déclaration volontaire faite par une entreprise sous forme de statistiques de requêtes sur les données des usagers, leurs contenus et enregistrements. Il fait notamment ressortir les requêtes formulées par les autorités gouvernementales. Google initia cette pratique en 2010, suivie de Twitter en 2012, Microsoft, AT&T, Facebook, Yahoo ! Celui publié par Amazon en 2015 est bien sommaire (3 pages) et son contenu inintelligible. Il ne s’agit que d’un outil marketing.

Ce que Google « oublie » de vous dire c’est qu’elle conteste en justice l’application du droit à l’effacement.

Après que les autorités européennes de protection des données à caractère personnel aient adopté des lignes directrices destinées à assurer son application harmonisée, la société Google Inc. mit en ligne son formulaire spécifique.

Dans le cadre de l’instruction de huit plaintes d’internautes français, la CNIL a rappelé à la société, par lettre du 9 avril 2015, que pour être effectifs, les déréférencements ne devaient pas être limités aux seules extensions européennes de son moteur de recherche. La société n’ayant pas adapté son dispositif, la CNIL effectua le 21 mai 2015, une mise en demeure enjoignant à la société Google Inc. de procéder aux déréférencements sur toutes les extensions du nom de domaine de son moteur de recherche sous un délai de 15 jours.

Cette mesure fut rendue publique en juin 2015. La société décida de former un recours gracieux auprès de la Présidente de la CNIL afin d’obtenir le retrait de la décision de mise en demeure et de la mesure de publicité associée tout en conservant son dispositif non-conforme. La CNIL déclencha alors sa procédure de sanction avec pour résultat une amende de 100 000 euros dans une décision rendue publique.

Google Inc. a exercé un recours devant le Conseil d’État en vue de l’annulation de cette décision, procédure à laquelle se sont joints Microsoft et Wikimedia Foundation entre autres. Dans sa décision du 19 juillet 2017, la haute juridiction administrative invita la CJUE à répondre à trois questions préjudicielles sur la portée territoriale du droit à l’oubli :

  • Le droit au déréférencement issu de la jurisprudence « Google Spain » s’applique-t-il aux extensions nationales du moteur de recherche, de telle sorte que les liens litigieux n’apparaissent plus quel que soit le lieu à partir duquel cette recherche est lancée, y compris hors du champ d’application territorial du droit de l’Union européenne ?

  • En cas de réponse négative à cette question, le déréférencement doit-il être appliqué seulement sur les résultats affichés à partir d’une recherche sur le nom de domaine correspondant à l’État où la demande est réputée avoir été effectuée ou doit-il l’être également sur l’ensemble des extensions nationales des États membres de l’Union européenne de ce moteur de recherche ?

  • Toujours dans l’hypothèse d’une réponse négative à sa première question, l’exploitant du moteur de recherche doit-il supprimer par la technique du « géo-blocage » les liens litigieux affichés à la suite d’une recherche effectuée depuis une adresse IP réputée située dans l’État où la demande a été faite ou dans tout État membre de l’Union européenne ?

La procédure est toujours en cours.

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