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Politique en jachères

Le fil rompu d’Ariane

Les deux finalistes de la primaire à gauche. Bertrand Guay/AFP

« Rappelle-toi, Chemita, que l’important, ce n’est pas de gagner, mais de faire perdre l’autre. » (Carlos Salem, « Je reste roi d’Espagne » )

Aussi paradoxal que cela puisse paraître à première vue, on peut lire une réelle similitude entre la primaire de la droite et du centre, et celle dite de la gauche, dont le premier tour s’est déroulé ce froid dimanche 22 janvier. D’un double point de vue : leur objectif principal, d’une part ; leur mode de déroulement et leur résultat, d’autre part. Il ne faut donc pas s’arrêter à l’ornière des différences.

Certes, il y en a. La plus importante étant dans le positionnement électoral : pour la droite, la question centrale se posait en termes d’alternance, de reconquête du pouvoir – ce qui l’amenait logiquement et aisément à une position de radicalité critique vis-à-vis de l’équipe sortante. Pour la gauche, il s’agit de garder le pouvoir, de continuer à gouverner, tout en rompant avec ce qu’une large partie de ses troupes considère comme une hérésie vis-à-vis de la tradition sociale de la gauche : ainsi, à vouloir être avec sans être pour, les différents postulants se trouvent enfermés dans un labyrinthe aux issues trompeuses, sans espoir de rassemblement autre que circonstancié.

Distinguant les deux situations, il y a également la temporalité : conséquence de la clarification trop tardive de sa position par François Hollande, la primaire de la Belle Alliance se déroule dans un contexte où des cartes majeures sont déjà distribuées. Particulièrement à gauche où sur les deux flancs, le PS est débordé par des candidats déjà en pleine campagne présidentielle.

L’absence du gros des troupes engagées derrière Mélenchon et Macron a privé d’une grande part de sa substance vitale l’opération qui a pris la pâleur d’un demi-échec. La droite, au contraire, avait réussi, temporairement au moins, à réunir ses principales composantes derrière son vainqueur, après avoir mobilisé plus de quatre millions d’électeurs.

Primum purgare

Pour être asymétriques, les deux primaires n’en expriment pas moins une demande prioritaire profondément similaire : la réaffirmation des valeurs fondamentales de chaque camp. C’est d’abord parce qu’il est apparu comme le plus apte à incarner les valeurs traditionnelles de la droite que François Fillon a pu créer la surprise en prenant largement le devant sur celui que l’on donnait aisément vainqueur du premier tour.

À gauche, Benoît Hamon s’invite impromptu en tête du scrutin, laissant le favori Manuel Valls à plus de cinq longueurs derrière lui. En tenant une parole sociale dégagée des contraintes électorales immédiates, en avançant des propositions en rupture avec la doxa gouvernementale, il réactive le rêve d’un autre Parti socialiste, capable de rompre avec ce que militants et sympathisants désabusés ressentent comme une trahison des principes historiques. De ce fait, il devient celui qui apparaît le plus à même de purger le parti des fauteurs du trouble politique.

Mieux qu’Arnaud Montebourg, que sa réelle ambition présidentielle amenait à tempérer de réalisme un message qu’on avait connu plus emphatique et tonitruant : difficile exercice amenant à servir un gruau assez tiède là où les militants attendaient un breuvage brûlant. Sans parler de Vincent Peillon, dont l’incongrue tentative de rassemblement par diversion s’est dissous en figuration. Il doit finalement se contenter de capter l’équivalent des suffrages qui auraient permis à Manuel Valls de virer en tête.

Du même coup, dans la foulée de la reconfiguration sur leur personne des valeurs de leur camp, François Fillon et Benoît Hamon sont clairement apparus aux électeurs comme les plus aptes à écarter les figures embarrassantes qui bornaient les horizons respectifs de chaque camp.

Deinde saignare

Autre similitude troublante entre les deux ascensions : le rôle des sondages. Il se confirme, de consultation en consultation, que ceux-ci jouent un rôle névralgique dans la construction de l’offre politique. Non pas simplement par leur caractère prédictif, plus ou moins vérifié. Mais par le miroir continu qu’ils offrent des positions, en traçant des lignes de perspective dont s’emparent les électeurs.

François Fillon à Berlin, le 23 janvier 2017. Tobias Schwarz/AFP

Ce que montre l’émergence surprise tant de Fillon que de Hamon, c’est que les participants aux scrutins jouent des sondages autant qu’ils se jouent d’eux. L’un et l’autre étaient partis distancés, avant qu’on leur concède le statut de « troisième homme ». Puis, dans la dernière ligne droite, les voilà qui amorcent une remontée fulgurante leur ouvrant la porte du second tour. Dans le même moment, leurs deux principaux challengers stagnent, puis reculent, resserrant les écarts potentiels. Et certains, comme Peillon, se voient confinés dans les oubliettes. Puis, bouquet final en forme de surprise du chef, les voici vainqueurs incontestés du premier tour du scrutin.

Dans les deux camps, la mécanique d’affirmation identitaire des militants et sympathisants, cumulée à leur volonté de tourner la page du passé, a creusé une tranchée sans retour, dès le premier tour. Quand il s’est agi d’en exécuter le verdict, la primaire de droite a éclairé d’une lumière crue ce qui n’a été qu’un épilogue. À gauche, il faudrait un véritable renversement de la participation pour contredire la structure du vote de dimanche dernier : que les électeurs des vaincus restent massivement chez eux, et que tout aussi massivement, de nouveaux électeurs viennent au secours de Manuel Valls.

Impossible ? Il ne faut pas le dire. Improbable ? Tout amène à le croire. Le ralliement rapide et tactiquement naturel d’Arnaud Montebourg, qui partageait sa volonté d’écarter l’ancien Premier ministre, assure à Benoît Hamon une marge de sécurité confortable. Quant à Vincent Peillon, dont la candidature visait manifestement plus à gêner les autres qu’à véritablement participer au débat, son silence en dit long sur son abstinent embarras. Et que dire de la fraîcheur épaisse qui souffle des terres hollandaises, dont le capitaine fait croisière au loin et les principaux lieutenants grises mines, perclus par des langueurs macroniennes ?

Manuel Valls avance, porteur d’un double péché : le meurtre du père, le poids du bilan. Tentera-t-il de surjouer sa stature d’homme d’État, sa légitimité personnelle et institutionnelle, son sens de l’autorité ? Ce serait mal mesurer le contre-sens qu’il commettrait en regard des attentes clairement exprimées par les participants du premier tour. Peut-être a-t-il trop lu Clémenceau qui disait, dans ses moments difficiles : « L’homme seul est grand qui est seul. »

Tertio pugnare

Là s’arrête la ressemblance entre les deux processus. Si la primaire de droite a débouché sur un candidat, sinon unique, indiscutablement légitime postulant à la fonction présidentielle pour la principale force de son camp, il en va très différemment à gauche. Certes, amené à droitiser durement son discours pour satisfaire aux conditions de l’exercice, François Fillon doit gérer les insatisfactions de son aile centriste. Il n’en reste pas moins le principal challenger de ce côté de l’échiquier.

À gauche, sans même s’attarder sur l’étrange capharnaüm du comptage des résultats, la faible mobilisation semble très insuffisante pour donner l’élan indispensable qu’une large légitimité démocratique exigerait : force est de constater que le total des voix exprimées dimanche passé atteint à peine le score du seul François Fillon ! Mais il y a plus grave pour les socialistes : l’objectif principal de la primaire était de rassembler la famille autour d’un candidat indiscuté. On en est loin : le débat n’a pas clarifié la position d’ensemble, et la ligne de fracture entre deux orientations reste lourdement pendante. Sans qu’aucune certitude ne soit apportée sur la dynamique ultérieure autour de l’homme choisi.

Benoît Hamon, probable vainqueur de la primaire à gauche dimanche prochain. Bertrand Guay/AFP

Enfin, si Benoît Hamon, probable logique vainqueur de la seconde étape, a réussi à rattacher le fil d’Ariane au roc des fondamentaux socialistes, il l’a en même temps détaché de son autre extrémité, l’élection présidentielle avec ses exigences et ses concurrences. Comment, dès lors, sortir du labyrinthe dessiné par les contradictions internes ? Et pour filer la métaphore d’Ariane de manière plus contemporaine, on ajoutera que la fusée des primaires n’a pas placé le candidat socialiste sur l’orbite d’un présidentiable, mais sur celle d’un futur chef de l’opposition.

Tandem concordare

Cette manière d’avatar ouvre-t-elle, comme certains le clament, une voie royale à Emmanuel Macron ? La chose est loin d’être sûre, au-delà des apparences. Elle ne résout pas la question de son positionnement. Le déjà candidat a parfaitement intégré la cause essentielle de la disruption politique du moment : le décalage entre l’histoire politique et l’histoire économique. Une évolution économique, qui impose une mondialisation toujours plus poussée, avec ses incidences positives mais aussi négatives ; une situation politique qui reste enfermée dans les cadres étatiques et qui suscite des réflexes plus ou moins violents de repli, voire d’enfermement nationaliste. C’est de cette discordance que, sur la droite comme sur la gauche, prospèrent les fleurs vénéneuses des extrêmes.

L’ambition affichée d’Emmanuel Macron est de redistribuer les cartes politiques – celles précisément pour lesquelles les électeurs aux primaires de droite et de gauche ont indiqué leur attachement. Le jeu n’est donc pas si ouvert qu’il aurait pu en avoir l’air, et le risque est grand dès lors de s’enfoncer dans l’ornière d’un centrisme mou, dénué de tout horizon d’attente. Pour briser le mécanisme aussi vain qu’épuisant des alternances stériles, il faudrait être capable de penser une nouvelle forme de « concordat » laïc, conçu autour d’une espérance humaniste et progressiste.

Cela impose d’entendre le cri pathétique de ces armées d’électeurs de gauche, désorientés par les sirènes d’un mélenchonisme agitant un populaire adultéré de populisme, tétanisés par la peur d’un trumpo-lepénisme régressif et xénophobe. Sous peine de nous condamner, pour quelque temps encore, à un batelage politique dont les parades tragicomiques ne font plus rire personne.

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