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Le grand dilemme du développement de l’œnotourisme en Bourgogne

Le domaine de Meursault, en Cote-d'Or, mise ouvertement sur le développement de l'œnotourimse. Massimo Santi / Shutterstock

Alors que la Bourgogne est une région emblématique, connue dans le monde entier pour ses vins et notamment ses grands crus, l’œnotourisme y apparaît quelque peu sous-développé.

Par rapport à certaines régions viticoles, comme la Californie qui a fait de la vente directe (DTC) une de ses stratégies, la Bourgogne se repose par exemple assez peu sur ce canal pour écouler ses vins. Aux États-Unis, les ventes en direct représentaient 61 % des revenus des « wineries » en 2017. Comment l’expliquer ?

La Bourgogne est pourtant constituée d’une multitude de petits domaines familiaux – 4 500 selon le Bureau interprofessionnel des vins de bourgogne (BIVB) – dont la taille moyenne est de 6,5 hectares. En 2018, la moitié des vins bourguignons était exportée dans le monde entier, les trois principaux marchés étant les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon.

Vins-bourgogne.fr

La production viticole bourguignonne s’est élevée à un total de 1,4 million d’hectolitres en 2018 pour une surface cultivée de 29 395 hectares. Il y a 84 appellations, dont 33 grands crus, 44 appellations villages et premiers crus, et 7 appellations régionales.

Des attentes différentes

Le concept d’œnotourisme est ambivalent. D’après l’étude d’Atout France de 2010 sur le « Tourisme et le Vin », l’œnotourisme est « centré principalement sur la rencontre d’exploitants viticoles, caves, châteaux, domaines, avec des touristes et des excursionnistes, venus déguster, acheter et comprendre le vin ».

Lorsque l’on interroge maints petits domaines viticoles bourguignons, les vignerons n’ont pourtant pas le sentiment d’être impliqués dans une démarche touristique. Ils ne font que recevoir leurs clients, font visiter leurs caves et déguster leurs vins. Cependant, à partir du moment où le vigneron accueille ses clients au sein de son domaine, il est impliqué, même à son insu, dans une démarche d’œnotourisme.

C’est justement ce qui semble plaire aux visiteurs étrangers, qui représentent près de 4 œnotouristes en Bourgogne sur 10. Parmi ceux-ci, un touriste étranger sur deux est Belge, Allemand ou Britannique, et les Américains représentent eux environ 10 % des œnotouristes en Bourgogne. Ces derniers viennent chercher l’authenticité d’une rencontre avec des vignerons, dans de petits domaines familiaux de préférence. Ils ne recherchent pas à avoir la même expérience œnotouristique aseptisée, de masse qu’ils ont pu connaître par exemple dans des régions comme la Napa Valley en Californie.

Selon les responsables du tourisme de la ville de Beaune, « ils souhaitent rencontrer le vigneron ou la vigneronne derrière la bouteille, pouvoir échanger avec elle ou lui, voire dîner en sa compagnie dans une maison authentique. Ces visiteurs américains sont également très friands de séjours au sein d’un domaine viticole, dans un gîte ou dans une chambre d’hôtes ».

Or, l’œnotourisme en Bourgogne se limiterait-il à une visite de caves, une rencontre avec de petits vignerons authentiques ? C’est peut-être là, la spécificité, mais aussi l’attrait de la Bourgogne. Nous sommes loin des « winery resorts » des États-Unis, comme le domaine du réalisteur Francis Coppola où tout est fait pour divertir, avec son musée du cinéma, sa piscine de luxe, les séances de dégustations, le vin n’étant finalement qu’un prétexte.

À côté de ces petits domaines viticoles familiaux, un certain nombre d’initiatives privées ont fait le pari de cultiver cette spécificité.

Essor de l’offre

Par exemple, le Château de Meursault, racheté par l’homme d’affaires Olivier Halley en 2012, a depuis quelques années totalement reconsidéré sa politique œnotouristique. Ce domaine de 65 hectares couvre uniquement des appellations présentes en Côte de Beaune. Ouvert 7 jours sur 7, il propose un parcours ludique et instructif au milieu de ces caves historiques et il accueille environ 30 000 visiteurs par an dont la moitié est étrangère.

La Maison Joseph Drouhin s’est également investie dans l’œnotourisme récemment. Dans ses caves du XIIe siècle ainsi que dans les bâtiments rénovés de l’ancien parlement de Bourgogne situés en plein cœur de Beaune, les propriétaires offrent une visite historique et une dégustation haut de gamme pour une cible d’amoureux du vin.

La Maison Olivier Leflaive, basée à Puligny-Montrachet, propose quant à elle une expérience œnotouristique complète et unique, avec visites des vignobles attenants en anglais et en français, et dégustations des vins du domaine dans leur restaurant. L’hébergement sur place est possible dans l’hôtel de charme du domaine.

Trophées de l’Œnotourisme – Olivier Leflaive – Prix spécial du Jury Pionnier de l’Œnotourisme (Terre de Vins, 2019).

Autre exemple : la Maison Champy, la maison de négoce la plus ancienne de Beaune, fondée en 1720, a ouvert en avril dernier une structure pouvant accueillir une clientèle d’amateurs éclairés dans leur chai basé en plein centre de Beaune. Abritant des caves du XVe siècle, anciennement rattachées au couvent des Jacobines de Beaune, les visiteurs peuvent admirer ces remarquables caves où vieillissent les crus mythiques et avoir également un aperçu des colonnes de l’école Eiffel datant de la cuverie au XIXe siècle. Outre cette visite, la Maison Champy propose également des visites de ses vignobles, notamment en vélo électrique.

À côté de ces grandes maisons, de petits domaines, comme le Domaine Armelle et Bernard Rion à Vosne-Romanée se sont différenciés en offrant des dégustations liées aux truffes de Bourgogne.

Deux scénarios

Un certain nombre d’initiatives privées ont donc émergé ces dernières années, mais tout s’est mis en place sans concertation entre les domaines, sans non plus d’élaboration d’une stratégie globale de développement de l’œnotourisme, qui pourrait être bénéfique pour tous sur le territoire bourguignon.

De plus, entre les petits domaines familiaux surtout, règne souvent un certain esprit de concurrence, avec la crainte de voir les visiteurs aller chez le voisin, et en conséquence ne pas venir acheter de vins dans le domaine. Pourtant, les études menées en Australie montrent que les œnotouristes souhaitent visiter deux à trois domaines par jour de visites.

Si structuration il y a, on ne peut bien sûr omettre de parler des « climats de Bourgogne », reconnus comme patrimoine mondial de l’Unesco en tant que « paysage culturel » depuis juillet 2015. Ces 1 247 climats, tous situés dans le département de la Côte-d’Or, renforcent encore un peu l’hégémonie du terroir, où sont localisés la majorité des grands crus. Lorsqu’un territoire reçoit cette reconnaissance, on estime à environ 25 % à 30 % de fréquentation supplémentaire pour la région, selon les porteurs du projet.

Enfin, mentionnons la Cité des vins et des climats de Beaune, dont le projet architectural a été approuvé fin octobre, devra abriter la Maison des climats et devrait ouvrir courant de l’année 2021. La création de cette cité pourrait générer un projet de structuration de l’offre œnotouristique de la région.

A contrario, elle risque de mettre en évidence encore un peu plus les disparités entre les différents territoires de Bourgogne, la côte chalonnaise se sentant quelque peu exclue de ce développement qui touchera la Côte-d’Or.

Dès lors, qu’attendre du futur de l’œnotourisme en Bourgogne ? Deviendra-t-elle une grande région comme la Californie, l’Afrique du Sud ou l’Australie du Sud, qui ont misé massivement sur l’œnotourisme pour développer l’attractivité de leurs régions ? Ou restera-t-elle, comme ses grands vins, l’affaire de quelques grandes maisons de négoce ou de grands domaines, qui continueront à proposer des visites et des expériences destinées à un public assez restreint ?

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