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Des touristes sur la plage d'Omaha, en Normandie, lieu du débarquement des alliés en 1944, dont on commémore le 75e anniversaire. Shutterstock

Le Jour J et la popularité grandissante du « tourisme noir »

La France et la Grande-Bretagne commémorent, aujourd'hui et demain, le 6 juin, le 75e anniversaire du Jour-J.

Les visiteurs sont nombreux à affluer vers les sites du débarquement de Normandie. En Angleterre, Portsmouth, sur la côte sud, est le point central de la commémoration. Son port et ses plages ont servi de point d'embarquement pour des milliers de soldats en 1944.

Au total, on estime que deux millions de « touristes du souvenir » visiteront les plages de Normandie à l'occasion du 75e anniversaire cette année.

Déjà, la presse française rapporte que les abords d’Omaha Beach et du cimetière militaire américain de Colleville-sur-Mer sont saturés depuis une semaine.

Un groupe de touristes américains sur la plage d'Omaha, en Normandie. Shutterstock

Il est facile de comprendre pourquoi tant de gens veulent visiter les principaux sites de ce qui est, après tout, l'un des moments marquants de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Surtout pour les anciens combattants ou les familles de ceux qui ont risqué leur vie.

Mais il y a aussi ceux qui trouvent que l'idée de visiter des lieux marqués par la mort et la destruction est un peu macabre.

Car la Normandie n'est qu'un des lieux marquants de ce type de tourisme. Selon certaines informations, des jours-ci, les autorités chinoises assurent une sécurité renforcée autour de la place Tiananmen à Pékin à l'occasion du 30e anniversaire de l'écrasement des manifestations étudiantes en 1989, qui ont fait des centaines de morts.

Des vacances en enfer

Le « tourisme noir », aussi appelé « tourisme sombre », « tourisme catastrophe » ou encore thanatourisme - du mot grec “thanatos” signifiant mort), est un marché en pleine croissance, qu'il s'agisse de visiter les champs de bataille de Normandie ou le camp d'Auschwitz, en Pologne. Les gens ont de nombreuses bonnes raisons de faire un détour par cet abominable camp de la mort, ne serait-ce qu'à titre éducatif. Plusieurs décident ainsi, au moins une fois dans leur vie, de délaisser la plage et de visiter plutôt des sites où de sombres événements se sont déroulés.

Le tourisme noir a été identifié dans les années 1990. Il est défini comme « une attraction pour les lieux associés à la mort ». Les chercheurs estiment que cette tendance est difficile à cerner car les touristes ne réalisent pas nécessairement qu'ils visitent un site identifié comme « sombre » ou « noir ». Plus de 2,1 millions de personnes ont visité le camp de concentration d'Auschwitz en 2018, alors que le mémorial du 11 septembre à New York a attiré plus de 6,8 millions de visiteurs en 2017.

La célèbre prison d'Alcatraz, aux États-Unis, attire environ 1,4 million de visiteurs chaque année. Et, fait intéressant, étant donné la perception répandue des risques pour la santé, le site de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, devient aussi une destination populaire pour les curieux.

Des touristes au musée de la ville de Slavutich, près de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 2016. EPA/Roman Pilipey

En raison de l'énorme succès de l'actuelle série dramatique Chernobyl, produite par HBO sur la catastrophe, on peut parier qu'il y aura une augmentation du nombre de visiteurs sur le site de l'ancienne centrale nucléaire. En 2017, on estime que 50 000 personnes ont visité la région.

La même tendance s'observe sur le site de la catastrophe nucléaire de Fukushima, en 2011, au Japon, qui a reçu environ 17 000 visiteurs en 2018 .

Fascination morbide ?

Les raisons que les gens invoquent pour visiter ces sites touristiques marqués par la mort et la dévastation sont nombreuses et variées. Il peut s'agir de vouloir comprendre l'histoire de sa propre famille et de rendre hommage à ses proches. Il y a aussi un désir d'empathie ou d'identification avec les victimes d'atrocités, ou le désir de voir un site significatif à des fins d'éducation et de compréhension. Bien sûr, parfois, il y a un élément de voyeurisme.

Malheureusement, tout le monde n'aborde pas ces sites avec le respect qu'ils méritent. Nous vivons à l'ère de l'égoïsme et de l'égoportrait. Bien qu'ils soient inappropriés, de nombreux touristes font la queue pour se prendre en photo au mémorial du 11 septembre. Cela a conduit à des appels en faveur de l'interdiction des « bâtons de selfie » dans Ground Zero. De même, les visiteurs d'Auschwitz ont été invités à arrêter de se prendre en photos lorsqu'ils déambulent sur les fameuses voies ferrées.

Quelles que soient les raisons pour lesquelles ils visitent les sites associés à la souffrance, à la mort et au deuil, beaucoup de gens trouvent leurs visites cathartiques et enrichissantes. Il ne fait aucun doute que parmi les nombreuses personnes qui se rendent ces jours-ci à Portsmouth ou sur les champs de bataille de Normandie pour le 75e anniversaire du jour J, il y en a beaucoup pour qui c'est la première occasion de rendre hommage à un parent ou à un grand-parent qui a sacrifié sa vie pour le bien commun.

Alors, pour tous ceux qui pourraient être attirés vers ces lieux par curiosité, ou simplement parce que c'est une destination inscrite dans votre bucket list, rappelez-vous que pour beaucoup de gens, vous marchez sur une terre sacrée. Allez-y donc doucement, et discrètement.

This article was originally published in English

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