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Le Messie était-il un leader nationaliste ?

David triomphant, d’après Jules-Elie Delaunay, 1874, Musée des Beaux-Arts, Nantes. Wikipédia

Le messianisme, sur le plan religieux, est la croyance en un messie, un sauveur ou rédempteur. Il y a deux mille ans, à l’époque de Jésus, les habitants de la Judée attendaient justement un messie. Les sources antiques nous montrent que ce personnage était souvent perçu comme un leader charismatique, au physique hors du commun, dont la mission était de restaurer l’indépendance d’Israël.

Hérode, roi de Judée, meurt en 4 av. J.-C. C’était un souverain « client », c’est-à-dire vassal des Romains, mais il bénéficiait tout de même d’un certain prestige auprès des Juifs, car il avait fait somptueusement reconstruire le Temple de Jérusalem.

À sa mort, son royaume est morcelé par l’empereur romain Auguste qui le partage entre ses fils : Archélaos, Antipas et Philippe. La population locale ne voit en eux que des pantins à la solde d’une puissance étrangère.

David d’après Michel-Ange, 1501-1504, Galleria dell’Accademia, Florence. Wikimedia

Vide politique et attente messianique

C’est dans ce contexte de déliquescence du royaume d’Hérode qu’éclatent trois insurrections simultanées contre la domination romaine et ses alliés locaux. Selon la vision de l’historien antique Flavius Josèphe, la mort d’Hérode a créé un vide politique. Beaucoup de Juifs attendent un chef capable de restaurer leur grandeur passée. Mais Flavius Josèphe adopte le point de vue de Rome. C’est pourquoi il condamne ces leaders qu’il présente comme de dangereux démagogues issus de milieux populaires.

Athrongès (ou Athrongéos), meneur de la révolte en Judée, n’était qu’un simple berger, selon Flavius Josèphe (Antiquités juives XVII, 278).

Cependant, pour ses partisans, il faisait figure d’homme fort capable, justement comme un berger, d’assurer la protection de ses brebis. Il était « remarquable par sa haute stature et la force de son poing », écrit Flavius Josèphe. C’était un messie athlétique que sa musculature contribuait à rendre charismatique dans le regard de ses partisans.

Athrongès reprenait à son compte le modèle autant physique qu’idéologique que constituait le roi biblique David, ancien berger lui aussi, avant de devenir l’illustre héros et souverain, vainqueur des ennemis d’Israël.

La figure de David revêtait également une dimension religieuse. Ainsi, David était un Messie ou Mashiah, c’est-à-dire un « Oint », suscité par Dieu. Il avait reçu l’onction, suivant un rituel d’intronisation décrit dans la Bible. Le prophète Samuel, interprète de la volonté divine, avait versé sur la tête de David, qui n’était encore qu’un jeune garçon, le contenu d’une fiole d’huile (1 Samuel 16, 13).

David d’après Donatello (réplique avec dorures), vers 1430, Bargello, Florence. Wikimedia

La révolte d’Athrongès a aussi une portée sociale. Le nouveau David recrute ses partisans parmi les populations pauvres des campagnes.

On retrouve ces caractéristiques dans la révolte menée, à la même époque, en Pérée, c’est-à-dire du côté oriental de la vallée du Jourdain, par un certain Simon, ancien esclave d’Hérode, « fier de sa beauté et de sa haute taille », écrit Flavius Josèphe. Toujours cette importance du physique hors du commun attribué au prétendant messianique.

Avec ses partisans, Simon s’attaque aux palais royaux de Jéricho qu’il pille avant de les incendier. Il y a là une forme de banditisme social dont Simon est le meneur, tel un Robin des Bois.

En Galilée, c’est un dénommé Judas qui dirige la révolte armée contre Rome, également en 4-3 av. J.-C. Il s’empare de grands domaines agricoles pour en redistribuer les richesses aux plus démunis. Il demande justice pour les paysans endettés.

Ces trois insurrections sont écrasées par les Romains. Athrongès et Simon sont éliminés. Judas, lui, parvient à s’enfuir. Il se cache dans des zones désertiques avant de fomenter une nouvelle révolte, en 6 apr. J.-C., alors que les autorités romaines recensent la population, dans le but de préparer l’annexion de la Judée.

Le Messie de la revanche

On rencontre des personnages messianiques dans divers écrits des IIe et Ier siècles av. J.-C. Le Messie peut y apparaître comme une figure eschatologique, attendue à la fin des temps. Envoyé de Dieu sur terre, il est censé préparer par son action l’avènement d’une ère nouvelle. Il est en lien direct avec la réalité politique du moment, comme on le voit dans les Psaumes de Salomon, texte du Ier siècle av. J.-C., connu dans sa version grecque.

L’interprétation de cette œuvre, composée dans un style poétique, est complexe. On comprend néanmoins que Jérusalem a été profanée par un envahisseur étranger, sans doute Pompée, le conquérant romain de la Judée en 63 av. J.-C. Mais un Messie, nouveau Salomon, fils du roi David, vaincra l’ennemi étranger, assurant ainsi la revanche ultime du peuple juif. Le texte traduit l’attente d’un Messie libérateur dans un contexte de lutte politico-religieuse. Combat terrestre et messianisme eschatologique ne sont nullement contradictoires : par son action politique, le Messie, agent de salut, prépare et accélère l’avènement sur terre du Royaume de Dieu.

Athrongès, Simon et Judas ont très vraisemblablement voulu incarner, à leur manière, ce Messie de la revanche évoqué par les sources littéraires.

Plus tard, en 68-70 apr. J.-C., lors de la Grande révolte juive contre les Romains, un nouveau chef rebelle, Simon bar Giora, prend à son tour David pour modèle. Ses partisans, écrit Flavius Josèphe, lui obéissaient comme à un roi et le considéraient comme leur « sauveur » (Guerre des Juifs, IV, 575). Mais il est capturé par les Romains, emmené à Rome et mis à mort en marge du triomphe de ses vainqueurs. Au même moment, Jérusalem et son temple sont rasés par les Romains, afin de punir les Juifs.


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En 132-135, un dernier leader juif, Simon bar Kokhba, tente un ultime soulèvement dans l’espoir de restaurer l’indépendance d’Israël. Sur les monnaies qu’il fit frapper apparaît la façade du temple détruit soixante ans plus tôt. On y voit aussi un bouquet (lulab) et un cédrat (etrog), symboles du culte traditionnel que Simon se proposait de restaurer. On y lit également le slogan de la révolte, inscrit en hébreu : « Pour la liberté de Jérusalem ».

Monnaie en argent de Simon Bar Kokhba. Façade du temple de Jérusalem. Revers : lulab et etrog. « Pour la liberté de Jérusalem ».

Messianismes pluriels

Cependant, les attentes messianiques sont parfois exprimées de manière plus complexe dans les sources littéraires. Ainsi, dans le livre de Daniel, vraisemblablement écrit au IIe siècle av. J.-C., la victoire finale est obtenue par un Messie qui paraît se confondre avec le peuple juif dans son ensemble. Le messianisme y est, en quelque sorte, collectif.

Également au IIe siècle av. J.-C., la communauté de Qumrân attend conjointement deux figures messianiques : un « messie d’Israël », comparable au roi David, et un messie sacerdotal, sur le modèle d’Aaron, frère de Moïse. Ce bimessianisme se fonde sur la Bible où David est toujours accompagné d’un prêtre. À ce duo s’ajoute encore un troisième personnage : un messie prophétique, sans doute inspiré de Samuel qui donna l’onction à David.

Arrivée du Christ à Jérusalem, d’après Pietro Lorenzetti, 1320, Assise. Wikimedia

Jésus est-il un messie d’un genre nouveau ?

Jésus s’inscrit lui aussi dans cet intense contexte d’attente messianique. Mais il instaure un messianisme d’un genre nouveau. Le Messie chrétien est une figure spirituelle déconnectée de toute royauté terrestre. D’où la fameuse réponse adressée par Jésus à Ponce Pilate, le gouverneur romain, lors de son interrogatoire : « Ma royauté n’est pas de ce monde » (Jn 18, 36).

Mais, avant d’en arriver là, force est de constater que les évangiles font maintes fois référence au roi David. L’évangile selon Matthieu s’ouvre sur la généalogie de Jésus « fils de David » (Mt 1). Luc fait naître Jésus dans « la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée » (Lc 2, 4). Jésus fait aussi son entrée « royale » à Jérusalem assis sur un âne, monture de David et de Salomon. Il est acclamé « roi d’Israël » par la foule, d’après Jean (Jn 12, 13).

Conséquence logique : Jésus est vu par Ponce Pilate comme un messie royal autoproclamé. C’est pourquoi, sur l’inscription précisant le motif de sa condamnation, placée au-dessus de la croix, on peut lire : « roi des Juifs ». Avant de devenir spirituel, le Messie chrétien s’était exprimé de manière très politique, en résonance avec les attentes « nationalistes » de son temps.


Christian-Georges Schwentzel a publié « Les Quatre Saisons du Christ, un parcours politique dans la Judée romaine », éditions Vendémiaire.

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