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Le monde agricole n’a pas encore pris conscience de tous les avantages du numérique

Agriculteur avec un smartphone
En règle générale, les outils digitaux ne s’inscrivent pas assez dans une logique de transformation numérique globale. Shutterstock

L’agriculture est à la fois responsable et victime du réchauffement climatique. Responsable car elle émet près de 20 % des gaz à effet de serre, lesquels sont composés de méthane, issus notamment de l’élevage, de protoxyde d’azote, issu des épandages d’engrais et de dioxyde de carbone provenant de la consommation d’énergie fossile à la ferme. Victime car le réchauffement climatique entraîne des épisodes météorologiques fatals à certaines exploitations agricoles : gels tardifs pour les vignobles, sécheresses pour les grandes cultures, inondations altérant les sols, etc.

La lutte contre le réchauffement climatique constitue donc un enjeu important pour les agriculteurs : un enjeu économique mais aussi sociétal. Le monde agricole et la société en général doivent donc proposer des solutions pour réduire les gaz à effet de serre issus de l’agriculture. Les outils numériques font partie de cet arsenal de solutions.

Des outils à disposition…

La digitalisation de l’agriculture, ou agriculture « connectée », se présente aujourd’hui sous différentes formes. La plus connue est sans doute la modulation des intrants. Celle-ci consiste à utiliser des matériels connectés qui permettent d’épandre des engrais ou des produits phytosanitaires dans la quantité suffisante, au bon moment et bon endroit.

Plusieurs matériels peuvent être utilisés : des boitiers connectés installés sur les rampes d’épandage, des rampes entièrement connectées ou encore des drones qui repèrent dans les champs les endroits où la plante est en stress hydrique, en perte de croissance ou attaquée par des ravageurs. L’épandage d’intrants se fait ainsi de manière précise, ce qui limite le volume d’intrants sur une parcelle.

D’autres outils sont utilisés par les agriculteurs : des serres connectées qui permettent de connaître la température et l’hydrométrie à l’intérieure des serres, les capteurs de gel, de température extérieure, de chlorophylle de la plante, etc. Tous ces outils permettant de limiter l’émission de certains gaz à effets de serre et notamment du protoxyde d’azote.

… mais une faible digitalisation

Dans une étude récente, nous montrons cependant que, si le numérique est majoritairement perçu comme un moyen d’augmenter la productivité agricole tout en respectant la planète, les outils et pratiques restent relativement peu répandus dans le secteur agricole – encore moins que dans d’autres secteurs avec des entreprises de la même taille. Dans le même temps, les bénéfices perçus de la digitalisation paraissent plus faibles que dans les autres secteurs.

Si ces résultats peuvent sans aucun doute cacher une importante diversité entre les sous-secteurs du monde agricole et les tailles des exploitations, ils interpellent néanmoins.

Les agriculteurs ne perçoivent pas le sens de la digitalisation, comme si on leur racontait des histoires à propos de l’intérêt écologique et économique de la digitalisation. Ils en concluent qu’il est nécessaire d’envisager autrement la digitalisation, de la présenter sous un angle moins productif et plus social. L’agriculture est, en effet, traversée par de multiples changements qui ne peuvent pas se réduire au changement technologique et à la réduction des gaz à effet de serre.

En creusant un peu plus, nous avons relevé que, en règle générale, les outils digitaux ne s’inscrivaient pas assez dans une logique de transformation numérique globale. Or, l’agriculture n’est pas seulement animée par des enjeux de production écologiquement intensive : des enjeux sociaux sont également à prendre en compte, y compris au sein de la population des agriculteurs, lesquels justifient une nouvelle approche de l’agriculture connectée.

Pas besoin des discours institutionnels

Beaucoup d’exploitants aspirent aujourd’hui à changer de vie : à prendre des vacances, du temps avec leur famille, à gérer l’exploitation en distanciel, à être connectés avec leurs pairs, leurs partenaires ou leurs connaissances de manière rapide et fluide. L’agriculture est également traversée par des enjeux sociétaux comme le bien-être animal, la reconnaissance du travail de l’agriculteur, la lutte contre l’agri-bashing, la vente directe, l’attractivité des métiers agricoles ou la transmission de l’exploitation.

Les agriculteurs sont aussi des entrepreneurs et des managers : ils ont donc besoin qu’on leur propose des outils de gestion prospectifs leur permettant d’être autonomes dans leurs prises de décision. Ils doivent disposer d’outils de pilotage de leur exploitation comme n’importe quelle entreprise.

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Plusieurs initiatives numériques sont révélatrices de ces changements : le recours à YouTube pour présenter son métier, l’utilisation d’un site marchand pour vendre les produits de la ferme, les colliers connectés pour connaître l’état de santé d’un animal à distance, les applications de gestion de la ferme ou la consultation en temps réel du cours des matières premières, des plates-formes interconnectant les agriculteurs, à des fins d’entraide notamment comme e-farm.com ou Agrifeel. Les exemples de ce type sont nombreux et tranchent avec la vision productive ou productiviste entourant l’agriculture connectée.

Ces nouvelles pratiques montrent qu’on se trompe probablement quant à la manière d’inciter les agriculteurs à se digitaliser. Ces derniers n’ont d’ailleurs probablement pas besoin des discours institutionnels pour le faire. Ils le font d’eux-mêmes, à leur rythme et transmettant la ferme de génération en génération. Ils ont toutefois encore besoin de nouveaux outils pour être plus réactifs en tant qu’agri-managers, pour vivre mieux au quotidien, pour mieux valoriser les métiers de l’agriculture et pour mieux transmettre leur exploitation.


Cette thématique a été abordée les 4 et 5 juillet derniers, dans le cadre de la conférence DisrupTechs Agora « DTA22 » lors d’un atelier dédié aux technologies disruptives et à l’agriculture. La troisième édition de cette conférence aura lieu les 26 et 27 juin prochain sur le thème des technologies disruptives et de la résilience.

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