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Le National Health Service britannique : un seul modèle, quatre systèmes

À l’occasion du lancement par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, de la concertation autour de la stratégie nationale de santé, The Conversation publie une série d’articles sur les différents systèmes de santé à travers le monde. Après le cas de la France, le professeur en économie de la santé à l’université de York Andrew Street examine le système britannique. Demain, Stephen Duckett, professeur de politique de santé à l’université de La Trobe, à Melbourne, analysera le système australien.


Une fois de plus, le Royaume-Uni se place en tête du classement des systèmes de santé portant sur onze pays, publié cette année par la fondation Commonwealth Fund, basée à New York. Position qu’il occupait déjà dans l’édition précédente, en 2014.

Cette performance a de quoi surprendre les personnes abreuvées tous les jours de reportages sur les problèmes du système britannique, le National Health Service (NHS). Dans les budgets des hôpitaux, les déficits ne cessent de se creuser ; les patients sont toujours plus nombreux à devoir attendre plus de quatre heures avant d’être pris en charge aux urgences ; le personnel est insuffisant, comme le prouve le nombre croissant de postes non pourvus.

Toujours selon la fondation Commonwealth Fund, 44 % seulement des personnes interrogées en 2016 estimaient que le NHS fonctionnait correctement, contre 63 % en 2013. Si le NHS est censé être le meilleur système de santé au monde, comment en est-on arrivé là ?

L’économiste William Beveridge, concepteur du système de santé public britannique. Imperial War Museum/Wikimedia Commons

Conçu par l’économiste William Beveridge, le NHS a été mis en place en 1948. Il est toujours financé par les impôts et les cotisations des contribuables. Presque tous les soins sont gratuits, en fonction des besoins.

Encore récemment, les touristes y avaient aussi accès gratuitement, mais depuis 2015, ceux qui n’appartiennent pas à l’Union européenne sont tenus de payer les soins qu’ils reçoivent. Les visiteurs prévoyant de rester plus de six mois doivent aussi s’acquitter d’une surcotisation annuelle pour couvrir les frais d’un recours éventuel au NHS.

Les dépenses non remboursées ont été instituées seulement en 1951 pour les soins dentaires et, un an plus tard, pour les médicaments sur ordonnance. Mais de nombreuses personnes sont exonérées de ces frais, comme les mineurs scolarisés à plein temps, les plus de 60 ans, les femmes enceintes ou celles qui viennent d’accoucher. À ce jour, le paiement des médicaments s’applique uniquement en Angleterre ; il a été supprimé en 2007 au Pays de Galles, en 2010 en Irlande du Nord, et en 2011 en Écosse.

En 2015, ces dépenses non prises en charge représentaient près de 15 % de l’ensemble des dépenses de santé du Royaume-Uni. Les frais réglés par les assurances privées ne représentaient que 3,5 % de ce total des dépenses, une proportion qui a chuté récemment.

Autrefois, le NHS couvrait l’ensemble du Royaume-Uni. Mais depuis l’autonomie politique accordée aux différentes nations en 1998, le NHS a été scindé en quatre systèmes de santé distincts. La principale différence tient à la notion de marché intérieur, introduite en 1991, quand Margaret Thatcher était première ministre. Dans ce dispositif, des organismes ayant un périmètre circonscrit géographiquement financent les services hospitaliers pour le compte de leur population.

Depuis leur création, ces organismes ont plusieurs fois changé de nom et vu leur statut réformé, ainsi que leur périmètre d’action et leurs responsabilités. Le principe de « marché intérieur » a été abandonné par l’Écosse en 2004, suivi par le Pays de Galles en 2009. Il subsiste en Irlande du Nord et en Angleterre, mais il est constamment remanié. La dernière proposition en date prévoit la création de centres de soins responsables, à l’image du réseau de prestataires de soins américain Kaiser Permanente.

Contrôle du financement

Chacune des nations du Royaume-Uni reçoit une subvention prélevée sur les recettes fiscales du pays pour l’ensemble de ses services publics. La nation décide de la part qu’elle consacrera à la santé, et des compléments de financement éventuels qu’elle y apportera. Ces arbitrages et la formule utilisée pour calculer le montant de la subvention se traduisent par des différences géographiques dans le montant des dépenses de santé par personne, l’Écosse ayant les plus élevées (2 456 € en 2016) et l’Angleterre, les plus basses (2 290 €).

Le NHS étant financé par l’impôt, l’État fixe le montant total des dépenses. Le Royaume-Uni consacre 9,8 % de son PIB à la santé ; une proportion qui, pendant des années, a été l’une des plus faibles des 21 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Le financement du NHS a été resserré ces dernières années. La coalition conservateurs-libéraux démocrates, au pouvoir de 2010 à 2015, et les gouvernements conservateurs suivants se sont montrés moins généreux que leurs prédécesseurs travaillistes (1997-2010). Par conséquent, le financement du NHS a vu sa croissance à partir de 2010 se ranger parmi les plus faibles depuis le milieu des années 1970. Elle n’est pas à la hauteur des prévisions quant à la hausse des besoins, et ce même en Écosse.

Ce déclin se traduit par une baisse des ressources pour la santé. Rapporté à sa population, le Royaume-Uni dispose de moins de lits d’hôpital, de médecins et d’infirmières que la moyenne de l’OCDE.

L’inquiétude liée au risque que la pénurie de personnel fait courir à la qualité des soins ne date pas d’hier, mais les idées pour y remédier sont rares. Par le passé, le NHS pourvoyait les postes en recrutant à l’étranger. En 2014, 28 % des médecins et 13 % des infirmières travaillant au Royaume-Uni avaient été formés à l’étranger, contre 9 % et 2 %, respectivement, dans le reste de l’Union.

Depuis le vote en faveur du Brexit, en 2016, beaucoup de ces personnels formés à l’étranger sont rentrés chez eux, et le nombre d’infirmières de l’Union demandant à travailler au Royaume-Uni a chuté de 96 %. Au vu du temps nécessaire pour former médecins et infirmières, il faudra quelques années avant que le personnel formé sur place prenne la relève.

La manière la plus flagrante de composer avec la diète budgétaire et le manque de ressources est la priorité donnée aux soins urgents par rapport aux non urgents. Résultat : les patients attendent longtemps avant de recevoir conseils ou traitement. En Angleterre, les chiffres les plus récents montrent que 1,9 % des patients ont attendu plus de six semaines avant de passer des examens ; 9,7 % ont attendu plus de 18 semaines avant d’être admis à l’hôpital ; et 19,5 % des personnes susceptibles d’être atteintes d’un cancer ont dû patienter plus de 62 jours avant de commencer un traitement. Quatre millions de personnes en Angleterre attendent actuellement d’être opérées, un record depuis dix ans.

Les dernières statistiques officielles montrent que ces délais ont également augmenté en Irlande du Nord, en Écosse et au Pays de Galles.

Quelle solution ?

Bien que certains laboratoires d’idées soient d’un avis différent, l’ensemble des formations politiques s’accordent pour juger que les impôts doivent continuer à financer le système. Pour que le budget alloué augmente, l’économie devra donc croître bien plus que les prévisions, ou les impôts augmenter. Mais en admettant que les contribuables l’acceptent, dépenser plus ne résoudra pas tous les problèmes du NHS.

Par le passé, les rallonges budgétaires ont été trop souvent gaspillées par ambition politique dans des grands projets largement financés par des organismes privés plutôt qu’avec des emprunts publics, pourtant moins coûteux ; dans des projets de nouvelles technologies faramineux ; et des réorganisations diverses et variées. L’État est actuellement soucieux d’assurer un service d’urgences à l’hôpital sept jours sur sept, mais des doutes se font jour quant à la pertinence de ces dépenses et leur effet positif sur la santé.

De son côté, le NHS a réussi à fournir davantage de soins à partir des ressources qu’il reçoit. Sa productivité a augmenté d’une année sur l’autre, en lien avec la croissance de l’économie britannique, même si elle peut encore s’améliorer. Le NHS pourrait dépenser plus judicieusement, en réduisant les traitements superflus, les diagnostics inutiles et les variations injustifiées de la qualité et du coût des soins. Ces points peuvent être résolus par une meilleure information des patients, des administrateurs et des praticiens.

Mais il faut en faire davantage pour éviter d’hospitaliser trop de patients, veiller sur une population vieillissante touchée par de multiples pathologies et encourager chacun à adopter un mode de vie plus sain.

Bien que la fondation Commonwealth Fund considère que le NHS est le meilleur système au monde dans l’ensemble, celui-ci tombe quasiment en bas de tableau quand on se penche sur ses résultats en matière de santé de la population. Le Royaume-Uni affiche des taux de mortalité infantile, de décès suite à un infarctus, de survie à l’issue d’un cancer et d’espérance de vie moins bons que la plupart des pays comparables. Pour y remédier, les ressources, déjà rares, doivent absolument être affectées là où elles auront le plus d’effet. Au lieu de consacrer du temps et de l’énergie à une énième réorganisation du NHS, il serait plus judicieux que professionnels et responsables politiques identifient ces priorités et les moyens de les financer.


Traduit de l’anglais par Julie Flanère et Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

This article was originally published in English

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