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Des navires sont encadrés par des morceaux de glace dans la baie de Frobisher à Iqaluit, au Nunavut, en juillet 2019. Le Canada compte interdire l’utilisation de pétrole lourd sur les navires commerciaux, ce qui aura des conséquences économiques en Arctique. La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

Le Nord canadien sera-t-il enfin pris au sérieux dans le prochain budget ?

Le prochain budget fédéral, qui sera déposé dans quelques semaines, en sera un intrigant à bien des égards, surtout de par le statut minoritaire du gouvernement.

Mais il sera aussi particulièrement déterminant pour le Nord canadien, car il s’agit du premier exercice budgétaire depuis la publication du Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord du Canada. Publié en septembre dernier, cet énoncé de politique présentait les grandes lignes de la politique arctique d’Ottawa.

Le document listait des priorités et des objectifs, mais restait particulièrement avare de détails sur des investissements et des échéanciers concrets. Le prochain budget devrait nous fournir des indications plus précises sur les ressources qui seront mobilisées pour atteindre ces objectifs et nous informer sur la place qu’occupe le nord dans les priorités de ce gouvernement.

En tant qu’experts sur les questions et la gouvernance arctiques, nous en appelons au gouvernement canadien d’y mettre les moyens de ses ambitions.

Poursuivre le momentum

Certains investissements ont déjà été annoncés dans le budget 2019. Ces nouvelles mesures totalisent 700 millions de dollars et ont été déclinées sur différentes priorités : développement économique, éducation, énergie, environnement, sécurité alimentaire, santé, infrastructures et science.

Ces investissements représentent seulement une partie des besoins du Nord. Le Cadre stratégique pour l’Arctique et le nord du Canada a énoncé des objectifs ambitieux quant à la sécurité alimentaire, les approvisionnements énergétiques et le transport qui requièrent tous des actions concrètes. Il est donc impératif de continuer sur le momentum du budget 2019 : l’intensification de la fonte du couvert glacier ne va qu’augmenter les besoins des habitants de la région.

Le Premier ministre Justin Trudeau est accueilli par la foule alors qu’il arrive pour assister à un festin communautaire lors d’une visite à Arctic Bay, au Nunavut, en août 2019. La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

Un Nord bien défendu

À notre avis, trois priorités constituent de bons baromètres pour tester du niveau de sérieux de ce gouvernement face au Nord canadien.

Premièrement, le Cadre stratégique établissait comme objectif de s’assurer que « le Canada et les résidents du Nord et de l’Arctique soient en sécurité et bien défendus. » Le grand absent du budget 2019 a été de nouvelles dépenses sur des priorités militaires, tels que de nouveaux investissements pour mettre en œuvre la Stratégie nationale de construction navale du Canada. Par exemple, le brise-glace John G. Diefenbaker était censé être opérationnel en 2017, mais son futur reste incertain. Le rapport annuel 2018 de la stratégie nationale de construction navale ne mentionnait pas ce brise-glace.

Des fonds pour moderniser le NORAD, améliorer le Système d’alerte du Nord et renforcer les initiatives de recherche-et-sauvetage n’étaient pas au rendez-vous en 2019. Par exemple, la modernisation du NORAD signifie que le Canada doit acquérir des navires supplémentaires pouvant opérer à l’année dans l’Arctique. De plus, de sérieuses questions demeurent sur l’habileté du NORAD et du Système d’alerte du Nord de détecter des drones furtifs et les nouveaux missiles de croisière russes. Le Système d’alerte du Nord ne peut détecter des missiles de croisière hypersoniques. Le coût minimal pour revamper le Système d’alerte du Nord s’établit à 11 milliards de dollars, le Canada devant s’acquitter de la moitié de la facture.

Le budget 2020 doit envoyer un signal fort quant aux capacités de brise-glace et de surveillance du Nord. Des mesures concrètes doivent être entreprises rapidement pour faire avancer le dossier de la construction du brise-glace John G. Diefenbaker, qui reste la priorité numéro un à ce chapitre. Des investissements dédiés à la modernisation du NORAD seraient aussi un pas dans la bonne direction. Le réchauffement climatique ne fera pas disparaître la glace dans l’Arctique canadien : la fonte des glaces viendra fragmenter les icebergs et rendra les déplacements maritimes plus incertains et moins prévisibles.

Changements climatiques

Le Cadre stratégique avait aussi pour objectif que « les écosystèmes de l’Arctique et du Nord soient sains et résilients. »

Néanmoins, le budget 2019 avait peu de mesures spécifiques au Nord qui s’attaquaient aux changements climatiques, la principale menace à laquelle le Nord canadien est confronté.

La promesse de consolider les programmes fédéraux pour aider à diminuer la dépendance des communautés autochtones et nordiques au diesel ne contenait pas d’engagement concret à la clé. L’élimination du diesel comme source d’énergie pour les communautés autochtones nordiques constitue maintenant une promesse électorale libérale. Il appert crucial d’annoncer des investissements dans le budget 2020 pour que cette transition se matérialise le plus rapidement possible. Cette réorientation ne sera possible en 2030 que si un financement soutenu et durable est mis en place pour bâtir des infrastructures productrices d’énergie propre pour les communautés nordiques.

L’annonce récente que le Canada allait appuyer une future interdiction d’utiliser du pétrole lourd pour les bateaux opérant en Arctique a des bénéfices environnementaux certains. Ce type de carburant est particulièrement difficile à nettoyer en cas de déversement et il accélère le réchauffement climatique. Par contre, une telle mesure pourrait affecter négativement la marine marchande active dans la région arctique. À terme, ces bateaux qui ravitaillent les communautés nordiques devront consommer du pétrole plus « propre », mais aussi plus coûteux : les prix des biens de base pourraient augmenter pour les habitants du Nord.

Il est donc impératif pour contrer cette hausse que le gouvernement Trudeau annonce des mesures financières pour compenser les habitants du Nord canadien, surtout pour ne pas amener les prix des produits alimentaires à la hausse.

La santé des autochtones

Finalement, le Cadre stratégique veut s’assurer que les « peuples autochtones de l’Arctique et du Nord canadiens soient résilients et en santé. » Sur ce volet, nous abondons dans le même sens que l’organisation Inuit Tapiriit Kanatami : des dépenses dans services sociaux sont nécessaires pour appuyer les communautés autochtones nordiques. De nouveaux investissements dans des centres de services de garde et dans de nouveaux logements pour satisfaire des besoins spécialisés représentent des priorités centrales de ce budget 2020.

Des élèves montent à bord d’un bus scolaire à l’école primaire Nakasuk à Iqaluit, au Nunavut. Le Cadre stratégique veut s’assurer que les peuples autochtones de l’Arctique et du Nord canadien soient résilients et en santé. . La Presse Canadienne/Nathan Denette

Le statut minoritaire de ce gouvernement complexifie la donne, mais ces priorités sont susceptibles de recueillir l’appui des partis d’opposition. Par exemple, de nouvelles dépenses en défense seraient en juste ligne avec la politique arctique traditionnelle et actuelle du Parti conservateur. Ce dernier a en effet promis dans sa plate-forme électorale 2019 d’investir davantage pour mieux surveiller l’Arctique canadien. Un enjeu comme celui des opérations de recherche-et-sauvetage représente aussi un enjeu non partisan.

Des initiatives quant à la protection de l’environnement et aux changements climatiques sont susceptibles de recueillir l’appui du NPD, idem pour l’objectif d’éliminer le diesel comme source d’énergie ou de réinvestissements dans les services sociaux.

En conclusion, ces mesures ne résulteraient pas en des divisions partisanes susceptibles de déclencher de nouvelles élections. Plusieurs annonces incluses dans le budget 2019 étaient salutaires et les objectifs du Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord canadien sont des pas dans la bonne direction. Le budget 2020 constitue un moment crucial pour transformer ces belles paroles en actions.

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