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Le Royaume-Uni et l’Europe : d’un 23 juin à l’autre

Entré début 1973, le Royaume-Uni demande une renégociation dès l'année suivante. Paul Lloyd/Flickr, CC BY-NC-SA

Le 23 juin 1971, après de longues négociations, les représentants des six pays membres de la Communauté économique européenne (CEE) et ceux du Royaume-Uni parvenaient à un accord sur les conditions d’adhésion du Royaume-Uni au marché commun. Cet accord, qui sera accepté et ratifié quelques mois plus tard par le Parlement britannique, malgré l’opposition des députés travaillistes, mettait un terme à dix ans de tentatives britanniques visant à rejoindre la CEE. Ce 23 juin ouvrait ainsi la voie à l’adhésion du Royaume-Uni – intervenue officiellement le 1er janvier 1973 – et propulsait, non sans ambiguïtés, le projet européen vers d’autres horizons.

Entre l’accord d’adhésion du 23 juin 1971, initiant l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE, et le référendum sur l’Union européenne du 23 juin 2016, augurant de sa sortie de l’UE, ce sont deux époques de l’histoire politique britannique et européenne qui se font face.

23 juin 1971, les horizons du in

L’issue favorable des négociations entre Bruxelles et le Royaume-Uni augurait le premier élargissement de la CEE depuis sa création en 1957 – étendant ainsi son territoire vers le nord de l’Europe (avec l’adhésion simultanée de l’Irlande et du Danemark). Mais surtout, elle marquait – pour le meilleure ou pour le pire – une transformation radicale des conditions dans lesquelles la construction européenne s’était réalisée jusque-là, et donc une transformation des conditions de possibilité de l’Europe de demain.

En faisant entrer une puissance équivalente à celle de la France ou de l’Allemagne, avec des intérêts et une représentation de son rôle dans le monde et en Europe très affirmés, les États membres bousculaient l’équilibre des rapports de force politiques et intellectuels (visions de l’Europe) au sein de la CEE. Structurellement, cette entrée s’apparentait à un changement de paradigme au sein du processus européen en ce qu’elle ouvrait la possibilité qu’émergent et s’expriment en son sein un autre récit sur l’Europe, une autre volonté, une autre ambition, concurrents de ceux qui s’affirmaient tant bien que mal au sein des Six.

La carte des élargissements successifs de la CEE/UE. Toute l’Europe.eu/DR, CC BY

En rendant possible l’expression d’un autre discours sur la construction européenne depuis l’intérieur même de la CEE, l’adhésion du Royaume-Uni autorisait qu’une autre direction, tout aussi légitime, soit proposée au processus. Cette entrée créait les conditions pour que puisse se fissurer le consensus général implicite, ou le non-dit mal assumé, qui prévalait jusque-là entre les Six quant au caractère inéluctable de l’unification politique du continent.

Une fois devenu membre, en effet, le Royaume-Uni n’entendait pas être traité comme un membre de seconde zone. Contraint de revoir ses exigences et ses conditions d’entrée, le pays allait – une fois son adhésion intervenue – user de l’ensemble des droits inhérents aux États membres pour faire évoluer le processus dans un sens favorable à ses intérêts et à ses ambitions.

Buste de l’ancien Premier ministre britannique Harold Wilson. Pigalle/Flickr, CC BY-NC-SA

C’est la raison pour laquelle à peine entré dans la CEE et à la faveur d’un changement de majorité politique en 1974, le gouvernement travailliste d’Harold Wilson allait s’opposer aux conditions d’adhésion et demander une renégociation du traité. Au début de l’année 1975, au terme de ces renégociations, le gouvernement travailliste estimait avoir obtenu gain de cause et décidait donc de soumettre leurs résultats au jugement du peuple en convoquant, le 5 juin 1975, un référendum. Le gouvernement fit campagne pour le maintien dans la CEE et réussit à convaincre près de 67,2 % des Britanniques.

Deux ans après son entrée dans la CEE, quoique de manière artificielle, le Royaume-Uni avait donc renégocié les conditions de sa participation et montré qu’il entendait réorienter à terme la construction européenne dans un sens qui lui était favorable. L’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979 n’allait faire que renforcer cette tendance, que l’on retrouvera ensuite, sous des formes différentes, chez ses successeurs : John Major de 1990 à 1997, Anthony Blair de 1997 à 2007, Gordon Brown de 2007 à 2010… Jusqu’à David Cameron, dont le recours au référendum, les motivations politiques intérieures qui en sont à l’origine et la stratégie adoptée rappellent étrangement ceux qui avaient conduit au référendum de 1975.

23 juin 2016, les inconnues du_ out_

Alors que le référendum du 5 juin 1975 sur le maintien ou non dans la CEE s’était traduit par une très nette victoire du « Remain », le 23 juin 2016, les résultats du référendum enregistrent la victoire du camp du « Leave ». Après une campagne structurée par des enjeux de politique intérieure bien plus qu’européens, marquée par l’outrance, les discours économiques anxiogènes et l’omniprésence des questions relatives à l’immigration, ce 23 juin, 51,9 % des électeurs britanniques se sont prononcés en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’UE, entérinant une situation inédite dans l’histoire de la construction européenne : aucun État n’avait jusque-là quitté l’organisation européenne.

Manifestation pro-Brexit, le 28 juin à Londres. Ed Everett/Flickr, CC BY

Du point de vue européen, alors que le 23 juin 1971 symbolisait le début du processus d’ouverture du projet européen à de nouveaux États, le 23 juin 2016 marque le début du retrait d’un État membre. Pour le Royaume-Uni, malgré les non-dits et les ambiguïtés, l’adhésion au projet européen dans les années 1970 indiquait un souci d’ouverture et la volonté britannique d’inscrire son avenir dans l’Europe en utilisant l’échelle et le levier européens comme moyen de satisfaire ses préférences économiques.

En retour, le 23 juin 2016 est marqué par une logique de fermeture, par le souvenir d’un passé impérial auquel on tente de se rattacher et par le pari d’une intégration réussie à l’économie internationale qui pourrait se passer de l’intermédiaire européen. Cet argument entendu durant la campagne référendaire prend l’exact contre-pied des motifs invoqués dans les années 1960 par le Royaume-Uni pour rejoindre la CEE, après avoir refusé dans les années 1950 de s’arrimer au projet d’intégration balbutiant et privilégiant alors les relations avec les pays du Commonwealth et les États-Unis.

En décidant l’organisation d’un référendum sur le maintien ou non dans l’UE sur le modèle du référendum de 1975 – mêmes raisons de politique intérieure, mêmes procédures de renégociation, même stratégie d’évaluations des intérêts britanniques –, le premier ministre et leader du parti conservateur, David Cameron, a tenté un pari qui s’est transformé en piège, l’obligeant à annoncer sa démission une fois les résultats connus.

L’intégration du Royaume-Uni à la CEE en 1973 avait marqué de son empreinte le processus de construction européenne ; en votant pour son retrait quarante-trois ans plus tard, le Royaume-Uni saute, et l’Union européenne avec lui, dans l’inconnu.

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