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Les tortues ne peuvent partir vers le sud pour l’hiver, alors elles hibernent dans les rivières, les lacs et les étangs. (Pexels)

Le secret de l’hibernation des tortues : respirer par le derrière !

Respirer ou ne pas respirer, telle est la question.

Qu’arriverait-il si vous étiez submergé dans un étang dont la surface est recouverte de glace durant 100 jours et où la température de l’eau se situe juste au-dessus du point de congélation?

Évidemment, vous mourriez.

Et c’est parce que vous n’êtes pas aussi «cool» qu’une tortue. Et par «cool» on ne veut pas dire relax, mais bien littéralement frais comme dans froid. De plus, vous ne pouvez pas respirer par le derrière.

Mais les tortues le peuvent, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles les tortues sont vraiment étonnantes.

La température froide ralentit

La tortue est un animal ectotherme, c’est-à-dire qu’elle dépend d’une source de chaleur extérieure : la température du corps d’une tortue s’accorde à celle de son environnement. Si l’eau de l’étang est de 1°C, il en sera de même pour le corps de la tortue.

Mais les tortues ont des poumons et elles respirent de l’air. Alors, comment leur est-il possible de survivre dans un étang frigorifié recouvert d’une couche de glace qui les empêche de prendre une bouffée d’air? La réponse tient à la relation entre la température du corps et le métabolisme.

Dans l’eau froide, le métabolisme d’une tortue ralentit et, plus c’est froid, plus le métabolisme est lent, ce qui réduit la demande d’énergie et d’oxygène.

Quand les tortues hibernent, elles dépendent de l’énergie accumulée et s’approvisionnent en oxygène dans l’eau de l’étang en l’assimilant à travers les parties de leur corps qui sont bien pourvues de vaisseaux sanguins. De cette façon, elles peuvent absorber assez d’oxygène pour répondre à leurs besoins minimaux sans avoir à se servir de leurs poumons. Les tortues ont une zone qui est particulièrement bien vascularisée : leur derrière.

Vous voyez, je ne plaisantais pas, les tortues peuvent réellement respirer par l’anus. (Le terme technique c’est la respiration cloacale.)

Non gelé, juste froid

Nous ne sommes pas des tortues. Nous sommes endothermes – des fournaises de chaleur métabolique dispendieuses — ayant constamment besoin d’alimenter nos corps de nourriture afin de produire la chaleur corporelle et maintenir une température constante pour demeurer en vie et en santé.

Quand il fait froid dehors, on se couvre de vêtements pour garder la chaleur métabolique et se tenir au chaud. On ne pourrait jamais obtenir assez d’oxygène à travers nos surfaces vascularisées, autres que nos poumons, pour suffire à la grande demande de nos fournaises métaboliques.

Pour les humains, un changement de la température corporelle est généralement signe d’une maladie, d’un problème. Quand la température corporelle d’une tortue change, c’est simplement parce que l’environnement est devenu plus chaud ou plus froid.

Les tortues de prélassent au soleil pour se réchauffer et détendre leurs muscles perclus. (Patrick Moldowan), Author provided

Mais même les ectothermes sont limités. Sauf de rares exceptions (p. ex. les tortues boîtes), les tortues adultes ne peuvent survivre dans des températures glaciales; elles ne peuvent pas survivre avec des cristaux de glace dans leur organisme. C’est pourquoi les tortues d’eau douce hibernent dans l’eau, où leur corps demeure relativement stable sous le point de congélation.

L’eau agit comme un tampon thermique; elle a une chaleur spécifique élevée, ce qui signifie qu’il faut beaucoup d’énergie pour changer la température de l’eau. L’eau des étangs demeure relativement stable tout au long de l’hiver et un ectotherme vivant dans cette eau aura une température corporelle similairement stable. L’air, par ailleurs, a une faible chaleur spécifique de sorte que sa température fluctue et devient trop froide pour que la tortue survive.

Muscles perclus

Un étang recouvert d’une couche de glace représente deux problèmes pour les tortues : elles ne peuvent monter à la surface pour respirer et l’eau gagne peu de nouvel oxygène. De plus, il y a d’autres créatures dans l’étang qui consomment de l’oxygène qui a été produit par les plantes aquatiques durant l’été.

Au cours de l’hiver, alors que l’oxygène est utilisé, l’étang devient hypoxique (à faible teneur d’oxygène) ou anoxique (dépourvu d’oxygène). Certaines tortues peuvent s’adapter à l’eau faible en teneur d’oxygène — d’autres pas.

Les tortues serpentines et les tortues peintes tolèrent cette situation de stress en convertissant leur métabolisme de façon à ce qu’il n’ait pas besoin d’oxygène. Cette habileté est remarquable, mais peut être dangereuse, voire létale, si elle dure trop longtemps en raison de l’accumulation d’acides dans les tissus résultant de cette conversion métabolique.

Mais, que signifie «trop longtemps»? Les tortues serpentines et les tortues peintes peuvent toutes deux survivre à une submersion contrainte dans l’eau froide en laboratoire bien au-delà de 100 jours. Les tortues peintes sont les reines de la tolérance à l’anoxie. Elles mobilisent le calcium de leur carapace pour neutraliser l’acide, un peu comme nous prenons des antiacides contenant du calcium pour les brûlures d’estomac.

Au printemps, lorsque les tortues anaérobiques émergent de leur hibernation, elles sont essentiellement une vaste crampe musculaire. C’est comme lorsque vous vous lancez dans une course intense : votre corps passe au métabolisme anaérobie, l’acide lactique s’accumule et vous subissez une crampe. Les tortues ont désespérément besoin de se prélasser au soleil pour rehausser leur température corporelle, stimuler leur métabolisme et éliminer les sous-produits acides.

Et il leur est difficile de bouger quand elles sont si ankylosées, ce qui les rend vulnérables aux prédateurs et autres dangers. L’émergence printanière peut être périlleuse pour ces tortues léthargiques.

Observation hivernale des tortues

Les biologistes de terrain tendent à faire leur recherche au cours du printemps et de l’été, lorsque les animaux sont les plus actifs. Mais en Ontario, où les hivers sont longs, plusieurs tortues sont inactives durant la moitié de leur vie.

Pour leur conservation et la protection de leur habitat, il est essentiel de comprendre ce qu’elles font et ce dont elles ont besoin durant l’hiver, compte tenu notamment que les deux tiers des espèces de tortues sont menacées d’extinction.

Ancien étudiant diplômé, Bill Greaves observe les tortues durant un froid hiver ontarien. Author provided

Mon groupe de recherche a observé plusieurs espèces de tortues d’eau douce durant leur hibernation. Nous avons fixé de petits appareils à la carapace des tortues pour mesurer la température et les suivre sous la glace.

Nous avons découvert que toutes les espèces choisissent d’hiberner dans des milieux humides qui se maintiennent juste au-dessus du point de congélation, qu’elles se déplacent sous la glace, qu’elles hibernent en groupes et qu’elles retournent au même endroit d’un hiver à l’autre.

Malgré tout ce travail, on en sait encore trop peu sur cette partie de la vie des tortues.

Alors, j’ai fait ce que toute biologiste sérieuse ferait : j’ai envoyé mes étudiants faire de la recherche sur le terrain à -25°C. Nous ne sommes pas limités à l’étude de la biologie par beau temps ici.

En outre, les paysages de l’hiver canadien sont d’une beauté sans pareille, surtout lorsque vous imaginez toutes ces tortues prodigieuses sous la glace, qui respirent par le derrière.

This article was originally published in English

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