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Le laboratoire créatif

Le secret de réussite d’une marque ? Son histoire

judeus samson unsplash.

Cette chronique est dans la droite ligne et se nourrit des recherches et rencontres publiées sur mon site Les cahiers de l’imaginaire.


Certains prennent les facteurs humains de haut. Dès qu’il est question d’émotions, on considère que ce n’est pas sérieux. Tout ce qui compte doit être quantifiable. Un peu de rigueur s.v.p. ! Laissons parler les chiffres et les statistiques. Pourtant, nos émotions nous mènent souvent par le bout du nez. Elles sont la cause de conflits importants, de baisses de productivité, de réussites ou d’échecs. Si une histoire nous touche, cela pourra influencer notre décision d’acheter ou non un produit.

Pour une marque, qu’il s’agisse d’une marque commerciale ou personnelle, le storytelling est une nécessité. C’était ainsi en 1919, et c’est toujours le cas en 2019.

Au cœur de tout dispositif de storytelling, se trouvent les personnages. Une bonne histoire se construit, d’abord et avant tout, autour de personnages crédibles, attachants, dans lesquels nous nous projetons.

Si une marque parvient à créer un personnage crédible et attachant, elle tissera avec ses clients un lien émotionnel durable. Le client pourra alors facilement reconnaître et mémoriser les images associées à ce personnage ayant une personnalité propre. Cette personnalité résume ce que les clients comprennent et perçoivent des valeurs et des comportements de la marque.

Cette relation clients/marque est encore plus évidente lorsqu’il s’agit d’une marque personnelle. Plusieurs traits de personnalité peuvent être mis en évidence :

  • L’imagination.

  • Le courage.

  • La persistance, voire la pugnacité.

Ces traits, pour la plupart, pointent en direction d’une intention, d’un objectif à atteindre.

Vu sous cet angle, le logo ne représente qu’un symbole. Il a bien sûr son importance, mais il ne constitue qu’un élément graphique qui ne doit pas être confondu avec la marque elle-même et sa personnalité, c’est-à-dire, le personnage qu’elle incarne.

Comment développer cette personnalité ?

Comme dans tout bon roman, le créateur de la marque doit relever le défi qui consiste à imaginer un personnage suffisamment crédible, solide, imaginatif et attachant pour qu’il puisse le développer au fil du temps.

Heureusement, il existe des points d’ancrage, des références historiques qui nous indiquent quels sont les motifs essentiels d’un bon personnage. Des auteurs de renom ne s’en sont pas privés. Nous n’avons qu’à penser à Tolkien qui s’est largement inspiré des légendes nordiques, ou à Lucas qui a exploré, avec l’aide de Joseph Campbell, les multiples facettes de ce qu’est le personnage par excellence, le héros de l’histoire.

Un personnage peut prendre plusieurs formes selon les chercheurs :

  • Le rebelle, celui qui tient bon face à l’adversité.

  • La mère, celle qui procure nourriture et bien-être.

  • Le créatif, qui écoute ses intuitions, invente et joue.

  • Le champion, qui parvient à surmonter les épreuves.

  • L’outsider, qui surgit de nulle part et parvient, contre toute attente, à vaincre son adversaire.

Toutes ces formes peuvent être utilisées, selon le cas, par des entreprises ou des individus pour créer leur marque. Tous les domaines d’activités sont concernés : automobiles, jeans, produits de beauté, etc.

Mais attention. Imaginer une personnalité parfaitement ancrée à une marque ne signifie par que le problème soit réglé. Encore faut-il que les histoires créées autour de ce personnage, tout au long de la vie de la marque, soient cohérentes avec la nature de ce personnage. Sinon, ces perturbations jetteront de la confusion dans la tête des clients, et entraîneront peut-être des défections.

De multiples histoires peuvent être construites autour d’un personnage si celui-ci demeure cohérent par rapport à ses valeurs et ses comportements.

Dans leur article « The essential brand persona : storytelling and branding », Stephen Herskovitz et Malcolm Crystal illustrent cela avec deux exemples : Apple et General Electric.

On ne peut imaginer deux personnalités à ce point différentes. Pourtant, les deux marques ont fait vivre à leurs clients de multiples histoires. Avec succès.

  • GE incarne le scénario de « l’innovateur pratique », à l’image de son fondateur, Thomas Edison, qui affirmait que tout au long de sa vie, il n’avait jamais développé une innovation sans avoir d’abord songé à ce que cette innovation pouvait apporter à son utilisateur. Face au citoyen américain, solidement campé dans ses bottes, c’est ce que veut incarner GE.

  • Apple, qui incarnait à la fois celui ou celle qui « pense autrement », celui qui ose quelque chose de nouveau. J’utilise le verbe au passé, car avec le décès de Steve Jobs qui incarnait parfaitement l’image et l’esprit de la marque, il est possible qu’un effet de déconnexion vienne à se produire, avec le temps, entre l’image de la marque, ses produits et son comportement.

Mais la cohérence seule ne suffit pas

Il faut ensuite donner du temps au temps. La construction d’une marque est une affaire de confiance. Et la confiance se gagne petit à petit, pas seulement avec des mots, mais surtout avec des gestes concrets. C’est une affaire d’émotions.

Le client adhérera à une marque, graduellement, de manière intrinsèque, presque à son insu, dans la mesure où les liens, avant tout émotionnels, seront maintenus tout au long des échanges avec la marque et avec un niveau élevé de prédictibilité. Tout cela, cette connexion sous-jacente, émotionnelle et typiquement humaine, les sondages ne les révèlent que rarement, car justement, il s’agit d’une relation émotionnelle et complexe.

L’art du storytelling démarre avec de solides personnages et plonge ensuite dans les émotions. Plus les émotions seront grandes, plus la connexion sera forte. C’est là que se situe le territoire de la loyauté et de la confiance.

Vous en doutez ?

Alors, prêtez attention à ce que révèlent les études menées sur la façon dont notre cerveau réagit aux marques. Les chercheurs ont utilisé des techniques d’imagerie par résonance magnétique pour visualiser comment des participants réagissent lorsqu’on les soumet à une dégustation de deux marques de boissons gazeuses : Coke et Pepsi.

Les participants ont été divisés en deux groupes. Le premier groupe ignorait la marque des boissons qu’on leur servait. Le deuxième savait de quelles marques il s’agissait au moment de les déguster.

Les résultats du premier groupe ne présentent aucune différence entre Coke et Pepsi. Les résultats du deuxième groupe, en revanche, révélèrent une tout autre histoire. Les participants du deuxième groupe préférèrent nettement Coke au détriment de Pepsi. Le fait de savoir qu’ils étaient en train de boire du Coke activait certaines régions spécifiques du cerveau : l’hippocampe et le cortex préfrontal dorsolatéral. Les résultats de l’étude démontrent que les histoires que Coke a racontées pendant de nombreuses années ont renforcé ses liens avec ses clients. En d’autres mots, ce qu’une marque signifie pour ses clients est fondé sur ce qu’elle parvient à incorporer dans le contenu narratif des histoires qu’elle raconte.

Qu’en est-il maintenant de l’intrigue ?

Il arrive que certaines intrigues soient tellement efficaces qu’elles prévalent sur la personnalité de la marque. Les scénaristes ont l’impression de s’être surpassés, alors qu’en réalité ils ont oublié ce qu’ils étaient censés faire : mettre la personnalité de la marque en évidence pour que les clients aient envie d’acheter les produits.

Les nombreux traits que l’on peut associer à une personnalité, tels que la détermination, l’éthique, l’honnêteté, le sens des responsabilités, la souplesse, la curiosité sont autant d’attributs possibles d’une marque, mais encore faut-il que les actions suivent le discours.

Les actions et les comportements de la marque doivent être conformes à la personnalité véhiculée par les histoires qu’elle raconte, sinon la marque en souffrira.

Le domaine du storytelling se prête mal à l’analyse quantitative. Cela fait le malheur de certains qui souhaiteraient qu’il intègre le territoire sécurisé des chiffriers, des enquêtes étroitement balisées et des focus groups. Leur en déplaise, le storytelling et le langage créatif qu’il suppose deviendront des soft skills à part entière au cours des prochaines années.

Les algorithmes n’ont pas encore réponse à tout… si vous souhaitez un métier qui vous mettra à l’abri des algorithmes, devenez un storyteller génial pour les marques.

Apprenez à développer ces soft skills dès maintenant, c’est l’exercice de cette semaine.

Et si vous les avez manqués, en complément vous pouvez lire les deux articles précédents sur le « personal branding ».

Dans la prochaine chronique, j’explorerai le combat que se livre, en ce moment, les partisans du tout algorithme vs l’industrie publicitaire traditionnelle. Don Draper est-il vraiment mort comme certains le prétendent ?

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