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Le smartphone et ses applications, outil digital à formater la pensée

Le smartphone est-il un empêcheur de penser ? Justin Sullivan/AFP

Désormais chaque individu, professionnel ou particulier est attaché à son organe de contrôle personnel : le smartphone. En effet, depuis bientôt dix ans, les smartphones nous pistent, renseignent, décident, et géolocalisent à chaque instant. « Je suis ici, que puis-je faire là, où encore, comment trouver un restaurant ou un magasin pourvoyeur de nouveautés ? ».

Autant de questions que chacun se pose à tout moment de la journée. Les individus pensent moins qu’ils ne cliquent. Leur réaction instantanée est d’exiger, de demander, d’ordonner aux applications multiples et innovantes, plutôt que d’écouter leurs envies, désirs, souhaits ou sensations du moment. Aux applications de trouver, mais aussi de choisir pour eux.

Des applications qui pensent pour nous

Un restaurant indien ou une pizzeria ? Un cadeau dans un magasin tout proche à livrer sans frais ? Les applications choisissent à notre place. Plus besoin de penser, il suffit de cliquer et de consommer. C’est le règne du big data.

Mais, formuler ses pensées personnelles, menant l’individu à ses envies et ce qui le mènera au cœur de sa propre satisfaction, est un véritable exercice. Les applications, elles, pensent pour nous donc pourquoi penser par soi-même à ses propres désirs ?

Actuellement, l’individu, lorsqu’il est confronté à une problématique engendrant un raisonnement, se voit très vite dépassé. À force de penser sous le joug des applications, chacun se met à réfléchir de manière packagée, marketée, préétablie.

Ainsi, lorsqu’un groupe d’amis recherche une source d’inspiration pour passer la soirée, il lui est très fréquent d’être en difficulté face une série de pensées trouvant leurs racines dans de réelles émotions et envies, dictées par le ressenti, source d’inspiration.

L’acte de choisir fait appel à une forme de pensée basée sur la perception de ses propres désirs. Or, les applications qui nous guident nous contrôlent par les renseignements que nous y laissons, sous la forme de petits cailloux aidant les moteurs de recherche à nous pister et nous enfermer dans une série de choix prémâchés. Nos pensées sont formulées d’avance et nos raisonnements dans le même temps sont pré-formatés.

Le langage du SMS

Ainsi, chacun et ce, de plus en plus, pense en « application », en formule toute faite pour bâtir un raisonnement ou construire une démonstration.

Dans les nouvelles formes de langage, les individus parlent sous la forme de SMS, coupent des mots, emploient des significations pour d’autres, mélangent du sens à travers du wording qu’ils ne maîtrisent plus.

Ainsi, les pensées se modélisent, et empêchent les individus de raisonner par eux-mêmes. Chacun recrache des idées communes et packagées : likes, posts et publications font le reste.

En demandant à un échantillon d’étudiants ce qu’ils pensent imaginer pour une campagne de lancement d’un produit lambda, au cours d’un atelier de travail, on s’aperçoit qu’un grand nombre d’entre eux est en difficulté pour décider et exposer une idée originale.

Très vite, ils se ruent sur Google pour trouver applications, solutions, formules toutes faites qu’ils puissent « customiser » et arranger en recommandation pour la marque. Une idée basée sur une pâle copie, elle-même basée sur une idée déjà existante, les mènera à tenter, non pas de formuler leur pensée, mais de penser en formule. À savoir, faire en sorte que l’idée glanée sur Google puisse entrer dans une formulation à reformuler.

Grâce à une série d’idées préformées, ils tenteront de transformer une idée formatée en pensée. Tout en pensant être performants.

Ajoutons à cela une difficulté exponentielle liée aux capacités de construction de phrases structurées à partir de raisonnements personnels et authentiques. En effet, penser, formuler une idée à l’écrit et l’exprimer à l’oral devient un supplice douloureux pour les amoureux des formules.

Un outil à tout faire. Martin Bureau/AFP

À force de raisonner en applications toutes faites, les individus ont du mal à formuler leurs pensées, à les écrire à partir de phrases simples et encore plus à les exprimer à l’oral pour structurer leurs actions.

Penser de manière originale : un exercice périlleux

Être en mesure de penser de manière originale, écrire ses pensées puis argumenter à l’oral en exposant clairement un raisonnement ou faire une démonstration est aujourd’hui un exercice périlleux.

Ainsi, plus besoin de professionnels pour lancer les produits lambda. Les raisonnements sont déjà en bases de données.

Dès lors, les prochaines étapes de réflexion pour les marques et les grands annonceurs sont l’emploi des moteurs sémantiques de construction d’idées toutes faites pour lancer des produits sur Internet et marquer les esprits.

À partir de recettes, il est possible de fabriquer des campagnes dont on connaît à l’avance l’impact sur les consommateurs.

Grâce au big data, il est simple de prévoir les réactions des acheteurs. Ainsi les marques peuvent les pousser à consommer toujours davantage. Consommer des idées est donc très simple. D’ailleurs, lancer des modes de pensée, c’est ce que les « gratuits » font déjà en proposant des actualités prémâchées.

Les journaux virtuels ou les pages d’accueil, elles-mêmes rédigées par des robots écrivains formateurs de pensées en formules, poussent chacun à surfer sur des formes de pensées uniques. Reprendre des idées et les injecter sur les réseaux sociaux, c’est à la portée de chacun, mais créer un mode de raisonnement, écrire et exprimer un argument c’est plus complexe.

Je pense donc, je suis…

Les idées naviguent sur Internet, elles se forment et se déforment à volonté. De sorte que la mosaïque des pensées ne peut exprimer clairement des idées et parvenir à pénétrer les individus pour les aider à bâtir leurs raisonnements.

Penser à partir de grandes théories philosophiques ou sociétales émises par les penseurs du XXIe siècle, c’est ce qui manque cruellement.

La société est-elle prête à mettre fin à l’appel des robots déformeurs de pensées ?

J’en appelle à André Breton, Louis Bunuel et Picabia, souhaitant construire des pensées déstructurées pour en imaginer de nouvelles.

J’ai donc une pensée pour les artistes et innovateurs des cercles Dada du XXe siècle, mais en toute connaissance de cause. Alors, si je pense donc je suis ! Hélas, je pense souvent, que lorsque nous pensons… nous suivons. Les robots nous aideront-ils à penser ?

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