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Le sport est-il forcément un tremplin d’intégration sociale pour les jeunes ?

Les sports collectifs, le football ou le rugby par exemple, amélioreraient les relations interpersonnelles. Shutterstock

Derrière l’expression de jeunes dits « en difficulté », il existe de multiples profils de personnes âgées de 14 à 18 ans, associés à différentes catégorisations : en révolte, en voie d’insertion, en danger d’exclusion, en détresse sociale… Ces jeunes habitent dans des quartiers dits « défavorisés » où les taux de précarité, d’échec scolaire, de délinquance juvénile, de chômage sont plus élevés que dans d’autres quartiers.

Dans ces lieux, beaucoup actions s’appuyant sur les pratiques sportives ont été mises en place, en particulier dans le cadre des politiques de la ville, et elles sont présentées comme des facteurs de cohésion sociale, qui permettraient d’accrocher les jeunes et de les « re-socialiser », de les réinsérer.


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Cela invite à s’arrêter sur les discours apologétiques qui entourent le sport, cet objet ludique, réglementé et consensuel. Quelles que soient les époques, ces discours sont nombreux et s’appuient sur les valeurs supposées de la pratique sportive : respect d’autrui, respect des règles, solidarité, dépassement et contrôle de soi principalement. Mais s’impliquer dans un sport conduit-il vraiment à une appropriation de ces valeurs ? Ou, au contraire, cela ne peut-il pas aussi favoriser l’apprentissage d’un certain nombre de comportements transgressifs ?

Sport et vertus morales

Lorsqu’il est mobilisé dans la sphère sociale, le sport est présenté par les acteurs du mouvement sportif et nombre d’hommes politiques comme susceptible de développer diverses compétences, et porteur de vertus propres. Les sports collectifs, le football par exemple, amélioreraient les relations interpersonnelles. La maîtrise corporelle permettrait d’équilibrer la personnalité : connaître et gérer l’effort, canaliser l’agressivité et maîtriser ses pulsions, prendre conscience des possibilités de son corps tant au plan instrumental que fonctionnel.

Dans ce contexte, le corps serait utilisé à bon escient, la pratique étant régie par une logique de transfert de but. Le jeu sportif ne peut se dérouler que dans un milieu normé ; si le jeune ne respecte pas les règles, l’activité ne peut exister. L’apprentissage des règles du jeu permettrait la « re-socialisation » du jeune et le sport est présenté comme l’école de la vie. Les références au baron Pierre de Coubertin, prônant cet effort gratuit, dominent même si différents travaux de recherche questionnent ces croyances.

Or, de nombreuses recherches en psychologie morale appliquée au sport ont mis en évidence que la réalité est plus complexe sur les terrains de jeu et que la fin justifie souvent les moyens dès qu’il y a compétition dans un cadre institutionnalisé. Ainsi se développent des attitudes fonctionnelles à l’égard des règles qui seraient alors appréhendées comme des contraintes à maitriser, voire à détourner, pour en tirer des avantages, plus que comme des normes à respecter.

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Si la logique du jeu compétitif est tournée vers l’efficacité en matière de performance et de victoire, tricher rentrerait dans le cadre du jeu. Les comportements transgressifs sont ainsi jugés comme légitimes. Quand il y a un arbitre ou une personne qui joue ce rôle, en football par exemple, les pratiquants les invoquent également pour justifier certaines fautes qui seraient un moyen de se faire justice et permettraient de rétablir une situation perçue comme inéquitable.

De plus, la perception du climat du groupe joue un rôle essentiel dans l’appropriation ou non des valeurs promues. L’atmosphère morale correspond aux normes collectives concernant le comportement moral des membres du groupe, ces normes étant envisagées comme étant aussi importantes que celles propres aux individus. Lors des interactions entre les membres du groupe se construit ainsi une compréhension des comportements appropriés. Ces normes de fonctionnement, partagées par l’ensemble des membres, leur permettent d’évaluer des comportements comme étant ou non adéquats dans des situations données.

Les premières études dans ce domaine concernaient le milieu scolaire et carcéral et montraient que, dans ces contextes, le fonctionnement moral habituellement adopté par les individus était abandonné au profit de la morale du groupe. De nombreux travaux ont été effectués par la suite dans le contexte sportif que ce soit au niveau fédéral ou socio-éducatif.

La perception du climat du groupe joue un rôle essentiel dans l’appropriation ou non des valeurs promues par un programme social. Shutterstock

L’atmosphère morale de l’équipe, en particulier la perception par les pratiquants de la permissivité de leurs éducateurs et de leurs co-équipiers lors de l’adoption d’un comportement transgressif ou de l’adoption de ce comportement de la part des co-équipiers envers le groupe adverse, est un fort prédicteur du fonctionnement moral (tendance à utiliser ce type de comportement ou acceptabilité de ce dernier)

Des recherches sur les perceptions des éducateurs et des entraineurs ont montré également le caractère paradoxal des relations entre l’apprentissage des valeurs morales et la pratique sportive,c’est-à-dire entre la logique éducative et la logique compétitive. En fonction des intervenants et des situations, l’accent sera mis davantage sur la coopération que sur un résultat.

Des illusions égalitaristes à la méritocratie

Pourtant, ces différents travaux remettent peu en cause les « valeurs sportives ». La logique d’utilisation des activités sportives tend à concilier des images relatives à la jeunesse et celles déterminant les pratiques dans une perspective d’éducation de la personne.

La représentation résulte de deux processus convergents. La pratique sportive permettrait un effet réparateur sur le jeune et entraînerait un changement de statut par la valorisation d’un principe d’égalité, tous les pratiquants étant censés être placés dans les mêmes conditions sur le terrain. Le second processus s’appuie sur la croyance dans les vertus intrinsèques du sport, métaphore de la justice sociale. Au départ, les jeunes sont présentés comme ayant des troubles de la socialisation ; le sport par ses vertus socialisantes, transformerait la personne. Ce changement permettrait un nouveau départ dans la vie.


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Quelles que soient les situations des jeunes, les actions sur les personnes sont valorisées. Les problèmes sociaux sont ainsi réduits à des problématiques individuelles. Cette psychologisation de problèmes sociaux est révélatrice du contexte actuel. Les situations sociales ne sont guère prises en considération pour expliquer les conduites individuelles. L’individu est davantage mis en cause que les institutions et il peut être considéré comme le responsable principal de sa situation, n’étant pas capable de s’adapter aux attentes sociales. Les jeunes en difficulté sont ainsi perçus comme responsables d’une inadaptation alors que souvent ils sont parfaitement adaptés à leurs conditions de vie, mais éloignés du contexte de performance globale.

L’assignation au sport de valeurs morales constitue un idéal de vie, où le sportif de haut niveau serait la figure du héros. Les représentations de la logique méritocratique du sport permettent de conforter les illusions d’égalitarisme dans la société. Pourtant, nous ne sommes pas tous égaux sur un stade, le ou les plus méritants ne seront pas forcément les vainqueurs. Le recours au sport est révélateur de notre société où la compétition est la norme. Ce contexte de quête de performance entraine l’individualisme et prône des idéaux qui ne peuvent pas être atteints par tous.

Le recours aux activités sportives peut aussi se comprendre dans le cadre d’un processus de contrôle social. Le sport comme moyen de socialisation pour les jeunes en difficulté doit être analysé en fonction du projet construit par l’instance de socialisation et des pratiques éducatives associées. Il doit être englobé dans un projet pour la jeunesse plus vaste. La mixité sociale est peu valorisée dans les dispositifs, l’intégration s’effectuant avant tout dans son groupe d’appartenance.

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