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Le sport ne peut se passer de l’évaluation

La cérémonie d'ouverture de l'Euro 2016 au stade de France, à Saint-Denis, le 10 juin 2016. H4stings/Wikimedia, CC BY-SA

En France, l’évaluation a mauvaise presse. Souvent mal comprise, associée à une sanction politique, à une rigidité bureaucratique ou à une suite de chiffres abscons, elle est cependant indispensable pour que les décideurs publics et privés ajustent leurs investissements et leurs dépenses, et rendent des comptes aux citoyens.

Face aux défis que nous partageons avec nos voisins européens – creusement des inégalités, vieillissement de la population, transformation des modes de vie, éducation et formation tout au long de la vie, détérioration des écosystèmes, pour n’en citer que quelques-uns –, l’évaluation permet, parmi d’autres outils, de garantir un équilibre entre universalisme et ciblage en fonction des besoins des populations et des territoires.

Or, évaluer, ce n’est ni sonder l’air du temps, ni se contenter d’un sondage d’opinion à des fins de marketing. C’est, en s’appuyant sur une méthode scientifique rigoureuse et interdisciplinaire, fournir un état des lieux, une mesure d’impacts – quantitatifs et qualitatifs – qui tiennent compte des complexités sociales.

La science doit en effet être davantage utilisée comme un outil d’aide à la décision publique et privée afin, notamment, de passer des normes implicites aux normes explicites, et de garantir l’égalité réelle des droits et de l’accès aux ressources.

Alors que prospèrent les désordres de l’information, la société aspire à l’élévation du niveau des connaissances et la recherche, l’expertise, validées par les pairs, sont des atouts précieux mais insuffisamment exploités. Sans rien céder sur l’exigence intellectuelle, les résultats de la recherche doivent être valorisés, explicités, rendus accessibles au citoyen. C’est particulièrement vrai de l’évaluation des politiques publiques et des investissements privés.

Le sport, terrain privilégié de la rencontre entre science et politique

À l’instar d’autres champs comme la culture, le sport est un laboratoire de transformation du social qui est sous-utilisé. Les liens entre recherche et décision restant largement à construire, le sport – omniprésent dans la vie quotidienne, bénéficiant d’une immense couverture médiatique – a tous les atouts pour devenir un instrument d’innovation au service des acteurs politiques, associatifs et fédéraux, mais aussi pour appréhender d’autres items de l’agenda de manière nouvelle.

Les enseignements qu’il apporte peuvent en effet infuser dans le reste de la société car une innovation qui fonctionne, c’est une innovation dont l’impact dépasse sa seule sphère d’influence. Envisagé de manière transversale, le sport pourrait mieux nourrir des evidence-based policies et aider à élaborer des dispositifs plus efficaces et plus efficients en matière de santé, d’éducation et de formation, d’emploi, de lutte contre les discriminations, d’inclusion sociale, de protection de l’environnement, entre autres, tout ceci faisant du reste souvent système.

Sans évaluation, pas d’héritage tangible des GESI

L’organisation de grands événements sportifs internationaux (GESI) en France dans les prochains mois et les prochaines années – France 2019 (Coupe du monde féminine de football), France 2023 (Coupe du monde masculine de rugby) et Paris 2024 (Jeux olympiques et paralympiques), pour ne prendre que trois exemples – constitue une occasion unique pour mettre cette proposition en pratique.

Jusqu’ici, les grandes compétitions sportives internationales qui se sont tenues dans notre pays n’ont pas répondu aux engagements pris, ni sur le plan de l’héritage, ni sur celui de son évaluation sociétale – ce qui a accentué la défiance populaire et médiatique. Le cas de l’Euro 2016 est emblématique : les espoirs déçus de la Seine-Saint-Denis ont laissé des traces. Il est, en outre, regrettable que l’absence d’indicateurs et de véritable stratégie politique globale ne permette pas, pour l’heure, de capitaliser sur une victoire en Coupe du monde masculine de football pour construire un agenda émancipateur.

À Belfort, des supporters français lors de la Coupe du monde de football. Thomas Besson/Wikimedia, CC BY

S’ils veulent laisser un legs durable et objectivable, les GESI ne pourront donc plus faire l’économie d’un travail d’évaluation des retombées de leur événement, en matière non seulement économique, mais aussi sociétale et ce, sans oublier que ces deux aspects sont indissociables.

Comment, par exemple, mesurer l’effet sur le chômage d’une politique sportive transversale sans s’atteler à la lutte contre les discriminations fondées sur le genre, l’origine, le territoire de vie, etc., et aux coûts humain et financier que ces discriminations occasionnent ? Ce travail ne peut être laissé aux seuls économistes. Sociologues, politistes, historiens, géographes ont un savoir-faire précieux dont les décideurs ne peuvent plus se passer. Le « mouvement » des gilets jaunes serait, aujourd’hui, incompréhensible par le pouvoir politique sans les travaux, passés et en cours, de la recherche interdisciplinaire. La même exigence doit être de mise dans le sport.

Le sport au service de tous et toutes

Par ailleurs, on ne trouvera pas de manière magique « trois millions de nouveaux pratiquants d’ici 2024 » : pour y parvenir, il faut partir des besoins des individus et des groupes et viser des objectifs de santé et de bien-être – avec des moyens et accompagnements adaptés à chacun.e –, de solidarité intergénérationnelle, d’accessibilité, de lutte contre l’isolement, etc.. Les villes-hôtes des GESI, témoins de la diversité du territoire, fournissent un formidable terrain d’étude et d’expérimentation qu’il s’agira de documenter scientifiquement.

Valoriser les résultats de la recherche dans l’espace public et médiatique de débats, expliquer et porter, auprès des décideurs, les enjeux démocratiques et citoyens du sport sont une tâche indispensable mais complexe parce que ces différents univers sont largement cloisonnés.

Réussir ce dialogue suppose de produire et de diffuser une expertise au service de l’intérêt général et non d’intérêts particuliers marchands ou non marchands, pour, enfin, agir. Produire des rapports ne suffit pas : le courage politique s’incarne dans la mise en place de dispositifs concrets dont les retombées doivent être évaluées scientifiquement, en amont et en aval, et de manière indépendante. Il s’agit, avant tout, de mettre le sport au service de la société, autrement dit de tous et de toutes.

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