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Le théâtre peut vous faire aimer les sciences !

Galilée, le mécano au théâtre de la Reine Blanche. Pascal Gély, Author provided

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Alors que bon nombre de nos concitoyens, traumatisés dès l’école par leurs difficultés avec les disciplines scientifiques, a fini par accepter de se voir privé de cette partie de la culture, le monde de l’art tente, depuis quelques années, de la lui restituer. Le théâtre, pour lequel, longtemps, les relations avec la science se sont cantonnées aux évolutions des arts de la scène rendues possibles par les progrès technologiques, semble finalement découvrir une nouvelle source d’inspiration.

Questions éthiques et philosophiques

Les questions éthiques, celles de Bertold Brecht dans La vie de Galilée, ou de Friedrich Dürrenmatt dans Les physiciens, furent longtemps centrales : la science restait quelque chose dont il faut avant tout se méfier ! Plus récemment, le grand Simon McBurney a trouvé dans la science une source d’inspiration poétique. Mémoire et imagination sont les thèmes de Mnemonic, alors que dans Apologie d’un mathématicien, il évoque le destin singulier et tragique de Srinivasa Ramanujan, mathématicien indien génial et autodidacte des années 1910.

Le théâtre, comme le cinéma, semble d’ailleurs découvrir la science et sa portée philosophique à travers les personnages de grands chercheurs. Stephen Hawking a eu deux fois les honneurs du cinéma (Une merveilleuse histoire du temps de James Marsh, et Hawking de Philip Martin). Quant à Alan Turing, il a inspiré lui aussi plusieurs films (Breaking the code d’Herbert Wise, et The imitation game de Morten Tyldum, entre autres), et plusieurs pièces (Turing Machine, de Jean‑François Peyret, et la toute récente Machine de Turing de Benoît Solès).

Marie Curie et Galilée

Marie Curie, portée à l’écran l’année dernière par Marie Noëlle, est également le personnage central du Paradoxe des jumeaux, écrite en collaboration avec Jean‑Louis Bauer, et mise en scène par Bernadette Le Saché. Voir derrière la grande scientifique habillée de noir, qui semblait ne jamais sourire (en tout cas sur les photos), dépeinte en femme vivante, capable de désir, de jalousie, de générosité ou de colère, contribue à rendre ce qu’elle représente, c’est-à-dire la science, et, qui plus est, la science au féminin, plus accessible, et, de ce fait, plus proche. Cette femme-là a aussi plus de chances d’attirer des jeunes filles vers les carrières scientifiques que l’image traditionnelle, beaucoup trop austère, à laquelle on n’a certes pas envie de se mesurer, mais pas non plus envie de ressembler.

« Le paradoxe des jumeaux » Pascal Gely

Citons également Galilée, le mécano, de trois auteurs italiens (Marco Paolini,Francesco Niccolini et Michela Signori), qui illumine en ce moment-même la scène du théâtre de La Reine Blanche. Le texte, mis en scène par Gloria Paris et joué par Jean Alibert, est dense, sans concessions, et pourtant, on rit beaucoup. C’est le « théâtre de narration » italien, très influencé par Dario Fo, qui, fait de théâtre classique, de conte et de « stand up », permet ce mélange des genres. Les anachronismes y sont nombreux : « Padoue ? C’était l’université où tous les fils de roi voulaient aller faire un Erasmus. », ou encore : « Ah ! Le rêve de tous les professeurs. Être professeur sans professer ! D’accord, Galilée, pour vous, on inventera le CNRS. » L’humour, d’ailleurs, ne tient pas qu’à cela : « Quand le ministre de l’Éducation nationale s’appelle Charlemagne, tu ne changes pas facilement de programme. ». On rit, et cela nous rapproche du personnage, et de son époque pourtant bien lointaine.

« Galilée, le mécano » Pascal Gély

On a un peu peur, aussi, et souvent, on a l’impression d’y être, dans ce seizième siècle encore embourbé dans l’obscurantisme le plus crasseux. D’ailleurs, très vite, au début de la pièce, on nous rappelle que l’Inquisition a brûlé Giordano Bruno… On a peur du sort qu’elle réserve à Galilée lui-même. De cet obscurantisme, en assistant au spectacle, on est tous bien certains de ne plus vouloir. C’est salutaire…

L’émotion a cela de formidable qu’elle entraîne l’adhésion du public. Parce qu’on est ému, on comprend… et on aime ! On aime Galilée, ce personnage génial qui a mauvais caractère. On mesure à quel point il a bouleversé l’histoire de la pensée, et, qui plus est, à un âge avancé. On prend définitivement son parti, c’est-à-dire celui de la science.

Le système du monde selon Copernic, planche extraite d’un atlas de Andrea Cellarius, édition de 1661. Ph. Coll. Archives Larbor

On se dit aussi, sans doute, que la culture scientifique existe, et qu’elle va nous donner des clés pour décrypter le monde. Il n’est guère besoin, probablement, d’énumérer les grandes questions qui se posent à tous, pour lesquelles un éclairage scientifique est essentiel : genre, procréation, changement climatique, partage des ressources, énergies propres… Comme toute forme de culture, celle-ci nous apporte aussi un plaisir profond : le public vit la joie qui envahit le chercheur au moment de la découverte, en comprenant la différence entre théorie de Lamarck et théorie de Darwin avec Tout le monde descend de Marie-Charlotte Morin, ou pourquoi la chimie des métaux est utile pour soigner certaines maladies chroniques de l’intestin avec Les métaux, la vie et le chimiste de Clotilde Policar. C’est cette culture-là, trop peu divulguée, qu’il faut donner en partage au plus grand nombre.

L’acteur, je crois, est un passeur. C’est aussi un passeur de science. Pour passer la science, l’acteur ne demande pas seulement au spectateur de raisonner. Il ne fait pas appel à ses capacités de déduction, ou à sa faculté d’abstraction. Il fait appel à ce que tous les êtres humains ont en commun : la capacité d’être émus.

Galilée devant le Saint-Office au Vatican (1632). Robert-Fleury Joseph Nicolas (1797-1890), Paris, musée du Louvre

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