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L’école maternelle à la maison : garderie ou école ?

L'enfant apprend par le jeu : mais comment structurer ces séances, et quels jeux lui proposer ? Shutterstock

Les deux fonctions historiques dévolues à l’école maternelle depuis sa création sont la garderie de jeunes enfants et l’école. Deux fonctions que la situation actuelle interroge. Depuis le 16 mars 2020, avec la fermeture des établissements scolaires, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, enseignants et familles sont sommés de miser sur le numérique pour assurer la « continuité pédagogique ».

Mais si l’organisation de classes virtuelles et le rendu de copies par mail sont envisageables avec des lycéens (sous réserve que les moyens techniques suivent), on comprend aisément que le lien va être beaucoup plus difficile à maintenir dans le cas de jeunes enfants.

Comment assurer la fonction de garderie dans un lieu confiné, avec des parents plus ou moins présents ou occupés, sans qu’il y ait la possibilité des situations structurantes de socialisation avec de petits camarades ? Quant à la fonction d’école, elle requiert normalement une certaine professionnalité. Pas évident pour les familles d’en prendre le relais, d’autant qu’il s’agit d’une école spécifique, dont la spécificité est justement l’objet de débats et d’affrontements récurrents.


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Si, comme il devient de plus en plus probable, la situation de confinement dure nettement plus longtemps que cela n’a été annoncé mi-mars, cette période pourra avoir une certaine influence sur le devenir de l’école maternelle : ayant longuement et concrètement expérimenté certains de ses enjeux, les parents d’élèves seront plus à même de peser sur ses orientations.

Débats fondateurs

Concernant l’école maternelle, rappelons que deux grandes orientations s’affrontent depuis le début :

  • celle qui entend mettre l’accent sur l’instruction, à savoir des connaissances ou des savoir-faire clairement identifiés, comme dans l’école élémentaire ;

  • celle qui considère que cette période de la petite enfance doit être régie par le souci de l’éducatif, à savoir le développement de l’enfant, de ses facultés comme on disait autrefois.

Les débats ont commencé dès la création de l’école maternelle. Le programme scolaire de 1881 qui la concerne comprend des connaissances sur les objets usuels, de premiers éléments de dessin, de l’écriture et de la lecture, des exercices manuels, des chants et des mouvements de gymnastique et des principes de morale.

Pauline Kergomard, nommée inspectrice générale de l’école maternelle par Jules Ferry en 1881, déclare alors que « la grande faille de notre éducation éducation maternelle, c’est qu’on y confond le développement intellectuel avec l’instruction ».

L’arrêté du 28 juillet 1882 (écrit sous son influence décisive) signe la naissance de « l’école maternelle » française (une quasi-exception dans le paysage européen) :

« L’école maternelle n’est pas une école au sens ordinaire du mot : elle forme le passage de la famille à l’école ; elle garde la douceur affectueuse et indulgente de la famille […]. Tous les exercices de l’école maternelle doivent aider au développement des diverses facultés de l’enfant sans fatigue, sans contrainte ; ils sont destinés à lui faire aimer l’école et à lui donner de bonne heure le goût du travail, en ne lui imposant jamais un genre de travail incompatible avec la faiblesse et la mobilité du premier âge. »

Pauline Kergomard et l’école maternelle, par Philippe Meirieu.

Dans son ouvrage L’éducation maternelle dans l’école, paru en 1886, Pauline Kergomard souligne on ne peut plus nettement ce qui est en jeu :

« Nos écoles maternelles, avec leur discipline factice, leur enseignement prématuré, leur parti pris d’instruction à outrance étouffent les germes prêts à éclore […]. Le petit enfant est fait pour rester auprès de sa mère ; l’école maternelle est, il ne faut pas s’y tromper, un mal nécessaire, ou plutôt l’atténuation d’un mal […]. La vie du tout petit à l’école est anormale. Le décret du 2 août, qui avait pour but d’améliorer son sort est presque resté impuissant. Notre idéal le plus cher est de ramener l’école maternelle à son but, c’est d’en faire l’école éducatrice. »

Et dans le nouveau programme de 1887, tous les éléments du programme de 1881 sont inversés. La priorité devient le jeu, suivi par les chants, les exercices manuels, l’éducation morale, les connaissances usuelles, les récits et les contes. En dernier lieu, on trouve le dessin et les premiers principes de lecture, d’écriture et de calcul.

Devenir élève

Cette oscillation entre deux conceptions, ou deux tendances, de l’école maternelle, avec des hauts et des bas dans un sens ou dans l’autre selon les périodes, dure depuis plus d’un siècle. Avec, actuellement, une tendance ministérielle dominante à confondre, comme dirait Pauline Kergomard, « le développement intellectuel avec l’instruction ».


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La circulaire ministérielle de la rentrée 2019 souligne que les « acquisitions progressivement réalisées à l’école maternelle sont déterminantes pour la maîtrise future des savoirs fondamentaux ». On est bien dans une orientation foncièrement « instructionniste » de l’école maternelle en vue d’accumuler des sortes de prérequis dûment identifiés pour l’entrée à l’école élémentaire.

La circulaire énumère les domaines de ce renforcement en mettant d’abord l’accent sur la phonologie :

« La construction d’une conscience phonologique est régulièrement travaillée. Elle se structure jusqu’à la grande section par des activités appropriées. La connaissance du nom des lettres et du son qu’elles produisent est progressivement enseignée. »

La priorité va aussi à « l’enseignement structuré du vocabulaire oral car le déficit de vocabulaire, qui entraîne un défaut de compréhension orale, constitue un frein très important pour l’apprentissage de la lecture ».

A chacun de voir et d’expérimenter. Ce sera en l’occurrence une situation historique inédite. Et l’un des aspects non négligeables, pour l’avenir, du confinement qui va perdurer.

Quelles sont les missions de l’école maternelle ? Interview de Viviane Bouysse, inspectrice générale de l’Éducation nationale (Débat organisé par l’Apel).

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