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L’économie du triple zéro : un préalable à de nouvelles formes de progrès

Jess/Flickr, CC BY

L’originalité de la situation économique actuelle, caractérisée par la chute ou la stagnation des taux de croissance, d’intérêt et d’inflation lui vaut d’être qualifiée d’« économie du triple zéro ». Les économistes actuels qui ont popularisé cette expression voient dans la situation envisagée une menace sérieuse qui préfigurerait l’état stationnaire que décrivaient déjà les économistes dits classiques au XVIIIe siècle.

Une situation déjà observable au Japon

Même si l’érosion des potentiels de croissance s’observe partout dans le Monde, y compris au sein des pays les plus dynamiques, rares ont été, dans l’histoire, les véritables occasions de mesurer les impacts de l’économie du triple zéro. À vrai dire, seul le Japon donne à voir, depuis quelques années, la concrétisation de la menace. La zone euro se caractérise plutôt par une économie que l’on pourrait qualifier de « triple 1 » alors que les États-Unis et le Royaume-Uni présenteraient des « économies du triple 2 ». Il n’empêche que pour nombre d’économistes, la menace prendrait la forme d’une « japonisation du Monde ».

A bien analyser les tendances de long terme et leurs origines, la menace semble bien réelle. L’excès d’épargne mondiale, les choix de politique monétaire et, plus encore, le déclin de la productivité marginale du capital contribuent à faire tendre les taux d’intérêt vers zéro. Le progrès technique qui, jusqu’ici, avait toujours remis en cause la tendance de long terme vers l’état stationnaire ou la croissance zéro, peine aujourd’hui à perpétuer ce rôle historique. Comme le dit bien Olivier Passet, le progrès technique sans débouché ne produit que de la désinflation.

Le doigt est mis sur le point clé : le rôle de la demande et des débouchés. C’est aujourd’hui précisément l’insuffisance de la demande qui donne à l’économie du triple zéro son principal pouvoir d’attraction en Europe comme, dans une moindre mesure, aux États-Unis.

Repenser l’économie dans son ensemble

Puisque, selon la belle formule du poète allemand Höderlin, « Là où croît le péril… croît aussi ce qui sauve », derrière la menace de l’économie du triple zéro se cache sans doute l’opportunité de repenser l’économie. Depuis plusieurs années, les indicateurs classiques sont remis en cause et de réelles alternatives sont proposées s’appuyant notamment sur les travaux de la commission Stiglitz et plusieurs débats des Nations-Unies.

Des indicateurs comme le bonheur national brut, utilisé depuis 1972 au Bhoutan, sont de plus en plus observés et pilotés en complément du traditionnel taux de croissance du PIB. Au-delà de ce dernier, le contenu en emploi de la croissance me semble être un indicateur judicieux, comme pourrait l’être, à titre d’exemple complémentaire, le contenu en emploi de la dépense publique. De manière générale, il s’agit de passer d’une vision et d’une logique quantitative à une logique qualitative.

La difficulté à améliorer les indicateurs traditionnels, y compris pour des raisons de soutenabilité et de préservation des ressources, doit contribuer, plus que jamais, à mettre notre créativité au service de la qualité de la croissance. Que cette dernière soit de 2 %, de zéro ou même légèrement négative, ce qui sera sans doute le cas après 2050 lorsque la population mondiale commencera à décroître, ne change finalement pas grand-chose à l’affaire.

Poursuivre le progrès dans d’autres domaines

La croissance demeure une mesure trop souvent ultime du progrès. Renoncer à la croissance connue durant les « Trente Glorieuses », de toute façon inatteignable, ne signifie surtout pas renoncer au progrès. Au-delà de la qualité de la croissance, appréciée au travers de son contenu en emplois ou en bien-être, les progrès demeurent possibles dans de nombreux domaines.

John Stuart Mill par la London Stereoscopic Company. Wikimédia

John Stuart Mill, l’un des penseurs libéraux les plus influents du XIXe siècle, a beaucoup travaillé sur l’état stationnaire envisagé comme la conséquence de la saturation des formes de croissance matérielle. A l’inverse de la majorité des économistes classiques, dont il partage pourtant l’essentiel de la vision des choses, il envisageait cette saturation comme une bonne nouvelle. L’impossibilité de poursuivre la croissance économique à long terme ouvrait pour lui la voie à d’autres formes de croissance et de progrès, notamment dans les domaines moral ou spirituel. La « guerre économique » actuelle y perdrait sans doute une part essentielle de sa raison d’être et l’économie retrouverait alors sa fonction principale consistant précisément à pacifier les relations comme aime à le rappeler le philosophe Patrick Viveret.

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