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L’effet des bloqueurs de publicités sur les modèles économiques de l’Internet

Adblocker.

L’arrivée des bloqueurs de publicité, ou « adblockers » menace-t-elle l’Internet tel que nous le connaissons aujourd’hui ? La question est cruciale car l’utilisation croissante des adblockers oblige les fournisseurs de services et contenus financés par la publicité à trouver de nouvelles sources de financement, notamment du côté des consommateurs.

Explosion des données sur Internet et recettes publicitaires

Entre 2004 et 2014, le nombre de sites Internet a été multiplié par 18,7 et le nombre d’utilisateurs seulement par 3,2. On assiste à une explosion du volume annuel de données échangées sur Internet qui devrait dépasser le zettabit (1021 bits) fin-2016 et atteindre les 3 zettabits fin-2020.

Aux modes de financement sont associés trois catégories de services et contenus : les sites marchands financés grâce aux revenus d’intermédiation entre acheteurs et vendeurs, les services et contenus premium financés par les internautes (abonnements, achats ponctuels de médias, etc.), et les services et contenus gratuits financés par la vente d’espaces publicitaires aux annonceurs.

La publicité en ligne s’est particulièrement développée comme en témoigne la croissance des recettes du secteur (+13,4 % en 2015), attendues à 180 milliards de dollars en 2016. De leur côté, des géants du web réussissent à tirer d’importants revenus des achats des consommateurs. Ainsi, Netflix responsable de 37 % du trafic descendant aux États-Unis, a perçu 1,67 milliard de ses abonnements au quatrième trimestre 2015.

Ce développement du marché des services et contenus (gratuits et payants) a été soutenu par des progrès continus, permettant d’échanger des volumes toujours croissants de données. Parallèlement, l’augmentation du nombre et l’amélioration de la qualité des contenus valorisent le service des fournisseurs d’accès à Internet (FAI).

Le coût croissant des contenus publicitaires sur Internet

La publicité en ligne produit près de 25 % du trafic et monopoliserait environ deux tiers de la bande passante au chargement (Singh et Potdar (2009) , Arvind Parmar et al. (2015) ).

Elle devient un réel problème lors des pics de consommation. Chaque internaute chargeant un contenu publicitaire affecte les autres internautes dont la vitesse de connexion ralentit avec l’encombrement du réseau : la publicité est alors génératrice d’une externalité négative de congestion. La congestion associée à un contenu s’explique par le contenu stricto sensu (coût intrinsèque) et par la publicité associée au contenu (coût extrinsèque) lorsque celui-ci est gratuit.

Afin de maintenir un certain niveau de débit, les FAI sont contraints d’investir pour augmenter la capacité de leur réseau. Parallèlement, la publicité permet l’existence des contenus gratuits. Elle constitue une source essentielle de diversité des contenus et contribue à valoriser l’accès à Internet.

Le paradoxe est que la publicité garantit l’existence d’une partie des services et contenus, mais que son coût total peut excéder les gains associés à la consommation et à la diffusion des contenus des consommateurs et des FAI. L’incursion des adblockers s’insérant dans ce contexte, il convient alors de déterminer le « juste » niveau de publicité sur Internet.

L’arrivée des bloqueurs de publicités

Aujourd’hui, environ un Français sur quatre utilise un adblocker. L’adoption massive des adblockers (Adblock Plus, Ghostery, etc.) est souvent justifiée par le caractère invasif, voire intrusif, des publicités en ligne. Entre le deuxième trimestre 2014 et le deuxième trimestre 2015, le nombre mondial d’utilisateurs d’adblockers a cru de 41 % pour atteindre les 198 millions d’utilisateurs en juin 2015.

Au même titre que les contenus, les adblockers peuvent être financés soit par les fournisseurs de services et contenus (FSC) soit par les internautes. Par exemple, la société allemande Eyeo, à l’origine d’Adblock Plus, se fait rémunérer par les FSC majeurs sur le marché publicitaire (Google, Microsoft, Amazon, etc.) pour les inscrire sur sa liste blanche des sites exemptés du blocage publicitaire. Ghostery, quant à lui, se finance par la vente de données aux FSC, alors que Disconnect vend directement des services premium à ses utilisateurs.

Les profits des FSC financés par la publicité sont de fait affectés par l’arrivée des adblockers. En 2014, les pertes de recettes correspondantes s’élevaient à 5,8 milliards de dollars aux États-Unis et devraient atteindre 20,3 milliards de dollars en 2016. D’où la tentation de chaque FSC de payer pour être sur liste blanche.

Les FSC contestent néanmoins la légalité d’un tel système qualifié d’immoral et contraire à l’éthique par Randall Rothenburg, président de l’Interactive Advertising Bureau. Des entreprises comme Axel Springer ou les journaux Handelsblatt et Die Zeit ont porté plainte, mais sans obtenir gain de cause.

Les FSC doivent adapter leurs modèles économiques. Certains sites, tels que Forbes ou Bild (groupe Springer), ont décidé de restreindre l’accès à leurs contenus si l’internaute utilise un adblocker. Une autre solution consiste à faire contribuer davantage les consommateurs à la production du service ou contenu. Le nouvel abonnement YouTube Red à 9,99$ par mois, proposant un accès sans publicités à son service de partage des contenus et une nouvelle offre de contenus exclusifs, est une réponse directe aux adblockers.

L’impact des adblockers

Les adblockers peuvent affecter la diversité des contenus sur Internet. Malgré l’émergence de réponses aux adblockers, les modèles économiques des FSC restent sous tension. Certains FSC ne pourront pas supporter le surcoût qu’imposent les adblockers et risquent d’être évincés du marché des contenus.

Toutefois, en limitant la publicité sur Internet, les adblockers contribuent à désencombrer les réseaux de sorte que les FAI pourraient trouver un intérêt au blocage publicitaire.

Ainsi, en 2013, Free bloquait-il par défaut la publicité à destination de ses abonnés. Cette fonctionnalité reste disponible, mais c’est au consommateur de l’activer. De même, l’opérateur a bloqué les pourriels que la firme Buzzee adressait à ses abonnés, arguant que

Les spams encombrent inutilement les réseaux de télécommunications et, par leur volume croissant, rendent plus difficile, ou plus coûteux, le maintien de la continuité et de la qualité de service que lui impose le code des postes et communications électroniques.

Free a été condamné en janvier 2016 par le Tribunal de Commerce Français. D’après le Financial Times, en 2015, plusieurs autres opérateurs mobiles auraient également eu l’intention d’activer par défaut un adblocker sur leurs serveurs.

Les adblockers sont considérés par les instances judiciaires comme illégaux et contraires au principe de Neutralité du Net quand ils sont activés par défaut par les FAI. Ces derniers semblent toutefois les plus à même de fixer le niveau optimal de publicité sur Internet, car ils ont intérêt à la réduction des coûts de réseau, mais aussi à la préservation de la valeur de leur accès qui dépend, pour partie, de la diversité des contenus diffusés. D’ailleurs, rien ne semble empêcher les FAI d’intégrer les adblockers ou de promouvoir les leurs tant qu’ils ne sont pas activés par défaut.

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