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Législatives aux Pays-Bas : la démocratie de consensus va-t-elle trinquer ?

Le leader de l'extrême droite néerlandaise, ici en campagne, le 3 mars, à Volendam, a le vent en poupe. Jerry Lampen/AFP

Après le Brexit et l’élection autrichienne du 4 décembre 2016 et avant la présidentielle française, la droite extrême européenne compte bien marquer un nouvel essai à l’occasion des élections législatives néerlandaises du 15 mars prochain. Les deniers sondages annoncent un rééquilibrage des intentions de vote entre le Parti de la liberté (PVV), emmené par son leader Geert Wilders, et le Parti populaire de la liberté et la démocratie (VVD) de l’actuel Premier ministre libéral Mark Rutte.

Mais si l’on se fie aux données d’engagement sur les réseaux sociaux, le PVV deviendra bien la première force politique néerlandaise à l’issue de ce scrutin. En tout état de cause, c’est une profonde recomposition de la vie politique néerlandaise qui s’annonce.

Inclusion, négociation et compromis de rigueur

Rappelons d’emblée que le régime politique néerlandais est une monarchie constitutionnelle, mais constitue dans la pratique un régime moins monarchique que la République française. Plus fondamentalement, selon le politologue américain d’origine néerlandaise Arend Lijphart, les Pays-Bas sont un modèle de démocratie « de consensus », par exemple la Belgique, la Suisse, par opposition au régime de démocratie majoritaire du type français ou britannique.

Dans un article pour la revue Négociation publié en 2014, Lijphart distingue ainsi les deux types :

« La différence entre ces deux types de démocraties peut être décrite schématiquement comme celle entre la concentration du pouvoir aux mains d’une courte majorité d’un côté, en opposition au partage, à la dispersion et à la limitation du pouvoir de l’autre, qui peuvent emprunter différentes formes. Une autre différence, assez proche, est que le système de démocratie majoritaire est exclusif, compétitif et conflictuel, alors que le système de démocratie de consensus est caractérisé par l’inclusion, la négociation et le compromis. »

L’existence de gouvernements de coalition qui réunissent partis de gauche et de droite et la représentation proportionnelle sont deux caractéristiques de cette forme de démocratie. Ainsi, les Pays-Bas sont gouvernés depuis 2012 par un gouvernement de coalition qui réunit les libéraux du Parti populaire de la liberté et la démocratie (VVD) et les socialistes du Parti du travail (PVDA) sous la direction de Mark Rutte du VVD.

Les députés de la Deuxième chambre sont élus selon un mode de scrutin proportionnel intégral. Le territoire des Pays-Bas est une circonscription unique.

Avec les chrétiens-démocrates du CDA, né en 1980 par la fusion des plusieurs formations chrétiennes, le VVD et le PVDA, sont les partis qui dominent historiquement la scène politique néerlandaise depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette domination est contestée depuis une vingtaine d’années par l’extrême droite, dont le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders, est la dernière manifestation. Alors que Pim Fortuyn, dirigeant de Leefbaar Nederland (Les Pays-Bas vivables), assassiné en 2002, venait du Parti du travail, Geert Wilders appartient au VVD.

Redistribution des cartes à venir

À l’approche des élections législatives du 15 mars, les choix des électeurs sont difficiles à déchiffrer. Les sondages prévoient un resserrement des scores du PVV de Geert Wilders et du parti libéral au pouvoir, le VVD. Les données numériques indiquent que ces deux formations arriveront également en tête, mais si l’on se fie aux données d’engagement sur les réseaux sociaux, le PVV pourrait devancer assez nettement le VVD.

Comme il est peu probable que le PVV puisse rejoindre une coalition, les scores des autres partis seront déterminants pour dessiner les contours de l’alliance gouvernementale à venir. Dans un mode de scrutin proportionnel intégral, les pourcentages obtenus déterminent assez directement le nombre de sièges. Ce mode de scrutin assure une possibilité de représentation au Parlement à une grande palette de sensibilités politiques.

Le scrutin du 15 mars annonce donc un bouleversement assez massif du paysage politique néerlandais, non seulement du fait de la percée probable du PVV, mais aussi par la profonde redistribution des cartes entre les autres forces politiques, qui se traduira probablement par un émiettement prononcé. C’est ce que disent aussi bien les sondages que les données numériques, de façon assez différente toutefois.

Author provided., CC BY-SA

Les sondages, dont le tableau 1 (ci-dessus) présente la moyenne au 4 mars, prévoient un resserrement des scores entre, d’une part, le PVV et le VVD et, d’autre part, les chrétiens-démocrates du CDA, les centristes de D66 et les verts de gauche de Groen Links. Suivent le Parti socialiste (une scission de gauche du PVDA) et le Parti du travail, qui serait le grand perdant de ces élections, puisque le PVDA est actuellement la deuxième formation représentée dans la deuxième chambre sortante, et le partenaire du VVD dans le gouvernement actuel.

Geert Wilders, favori des réseaux sociaux

Les données numériques dessinent cependant des rapports de force un peu différents.

Author provided., CC BY-SA

Le tableau 2 classe les partis en fonction de leurs données d’engagement sur Facebook, Twitter et YouTube pour la période du 28 février au 6 mars (pour une explication de ces données, voir ici). Le PVV domine nettement sur ces réseaux sociaux, même si son avance s’est réduite par rapport aux données du début du mois de février. Selon ces données, le PVV devancerait plus nettement le VVD que ne le disent les sondages. Le SP (Parti socialiste) s’imposerait comme la troisième force politique, une probabilité qui n’est pas confirmée par l’audience de son site.

Ensuite, les données d’engagement classent dans l’ordre les Verts de gauche, le CDA, puis D66 avec cependant un avantage pour les écologistes et les centristes de D66 dont les sites obtiennent les audiences les plus fortes de tous les sites des partis néerlandais.

Les socialistes du Parti du travail donnés grands perdants

Le PVDA serait le grand perdant du scrutin et le CDA aura du mal à jouer un rôle charnière. Cela serait un bouleversement assez radical du paysage politique, dans la mesure ou avec le VVD, le CDA et le PVDA représentent les trois principales formations politiques néerlandaises depuis des dizaines d’années.

Le premier ministre néerlandais (VVD), Mark Rutte, en campagne le 1ᵉʳ mars dernier. Jerry Lampen/ANP/AFP

Il faut également souligner l’affirmation du parti des seniors « 50PLUS », malgré de récentes prestations télévisées assez ratées qui peuvent réduire son attrait. Le Parti des animaux peut également espérer des députés. On observe, plus généralement, que les données d’audience des sites politiques des formations obéissent à un classement différent des données d’engagement, qui mesurent a priori mieux l’impact politique d’une formation.

Le VVD refuse l’alliance avec Wilders

Le 23 février, Geert Wilders avait suspendu sa campagne, un agent appartenant aux services de police chargés de sa sécurité aurait transmis des informations sur les déplacements du leader du PVV à une organisation criminelle… Mais, le 1er mars, Wilders a déclaré reprendre ses activités publiques. L’extrême droite néerlandaise a le vent en poupe, mais elle est aussi coutumière de scissions et de démissions en série.

Le PVV est candidat à diriger le pays avec le VVD, mais l’actuel premier ministre, Mark Rutte (VVD) a déclaré « nulle » les probabilités de gouverner avec le parti de Wilders. Refus répété la semaine passée en déclarant qu’il ne voulait « plus jamais » gouverner avec ce parti. Mark Rutte a en effet gardé un mauvais souvenir du soutien accordé par le PVV en 2010 à une coalition minoritaire VVD-CDA.

Il est difficile de prévoir avec quel partenaire privilégié le VVD sera capable de conclure une coalition : le CDA pour une coalition de droite ? D66 pour une coalition de centre-droit ? Ou les forces de gauche pèseront-elles assez pour imposer leur participation à un gouvernement ?

La réponse appartient aux urnes et aux difficiles négociations qui suivront les élections.

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