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L’employeur peut interdire le port du voile en entreprise sous conditions

Grande salle de la Cour de Justice de l'Union Européenne. G. Fessy @CJUE

Une restriction légitime à la liberté de manifester ses convictions religieuses procédant des intérêts de l’entreprise

Dans deux affaires jugées le 14 mars 2017, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) prend position sur la laïcité dans le monde de l’entreprise. Dans l’affaire Asma Bougnaoui, Association de défense des droits de l’homme (ADDH) contre Micropole SA, la haute juridiction estime qu’un client d’une entreprise ne peut imposer de ne plus recevoir de services fournis par une travailleuse qui porte le foulard islamique. Décodage…

Le licenciement d’une femme musulmane à l’origine du contentieux

L’affaire a été entendue par la CJUE statuant sur la question préjudicielle posée par la Cour de cassation française. À l’origine, Mme Bougnaoui a rencontré, au mois d’octobre 2007, lors d’une foire étudiante, un représentant de la société Micropole qui l’a informée du fait que le port du foulard islamique pourrait poser problème quand elle serait en contact avec les clients de cette société. Lors de son stage, elle portait un bandana ou un foulard islamique. À la fin de son stage, elle fut recrutée en tant qu’ingénieur d’études.

Au stade du recrutement, la société avait frontalement abordé le sujet du port du voile. Tout en respectant le principe de liberté d’opinion ainsi que les convictions religieuses de chacun, la société a indiqué appliquer le principe de nécessaire neutralité dès lors la salariée serait en contact en interne ou en externe avec les clients de l’entreprise : elle ne pouvait porter le voile en toutes circonstances.

Suite à une intervention auprès d’un client, la salariée toujours voilée, s’est vu rappeler le principe posé par l’entreprise. Elle a persisté dans son refus systématique de s’y conformer. La société a procédé à son licenciement, sans préavis, estimant que la rupture du contrat de travail lui était imputable.

Le Conseil de Prud’hommes saisi de la contestation de ce licenciement a jugé que son motif (interdiction du port du voile à l’occasion de prestations auprès des clients) était justifié par le contact de cette dernière avec des clients de cette société et proportionnée au but recherché par Micropole.

En appel le 18 avril 2013, la cour a estimé que le licenciement de Mme Bougnaoui ne procédait pas d’une discrimination tenant aux convictions religieuses de la salariée, puisque celle-ci était autorisée à continuer à les exprimer au sein de l’entreprise. La liberté de manifester ses convictions religieuses ne doit pas dépasser le périmètre de l’entreprise et s’imposer de la sorte aux clients de cette dernière sans considération pour leurs sensibilités : ceci empiéterait sur les droits d’autrui.

La mise en œuvre d’une politique de neutralité à l’égard de ses clients par l’entreprise est licite si les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires

Dans son arrêt du 10 juillet 2008 Feryn (C‑54/07), la Cour de justice de l’Union européenne s’était bornée à dire que le fait pour un employeur de déclarer publiquement qu’il ne recrutera pas de salariés ayant une certaine origine ethnique ou raciale constitue une discrimination directe à l’embauche au sens de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique.

Ici, la CJUE commence par rappeler que, selon la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ce droit impliquant, notamment, la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites (art.9). La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne affirme également le droit à la liberté de conscience et de religion (art.10).

Un client d’une entreprise ne peut imposer de ne plus recevoir de services fournis par une travailleuse qui porte le foulard islamique

La cour rappelle ensuite que la mise en œuvre d’une politique de neutralité à l’égard de ses clients par l’entreprise est licite si les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, C-157/15, points 35 à 43). Cette situation se distingue de celle où en l’absence de règle interne, l’employeur décide de tenir compte du souhait d’un client de ne plus voir de services fournis par une travailleuse qui porte un foulard islamique. Cela constitue-t-il une exigence professionnelle essentielle et déterminante susceptible de fonder le licenciement ?

Au final, la haute juridiction européenne sert de guide à la Cour de cassation. Sans trancher le litige sur le fond, elle indique clairement que c’est non pas le motif sur lequel est fondée la différence de traitement, mais une caractéristique liée à ce motif qui doit constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

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