Menu Close

L’énergie de fusion et le défi du projet ITER

Le tokamak ITER : représentation artistique du plasma dans une coupe de la machine. On devine la chambre à vide, le cryostat qui englobe la chambre à vide et les bobines de champ magnétique (29 m x 29 m) et l’enveloppe de béton. L’échelle est donnée par le personnage orange au premier plan. ITER

La fusion nucléaire est une source d’énergie aussi prometteuse qu’elle est difficile à maîtriser sur Terre. Si la force gravitationnelle permet de créer les conditions extrêmes nécessaires à la fusion des noyaux d’hydrogène dans les étoiles, d’autres solutions doivent être imaginées sur Terre.

Depuis les années cinquante, des centaines de machines de fusion ont été proposées, construites et exploitées. La solution la plus avancée aujourd’hui se base sur l’utilisation de champs magnétiques intenses, dans la configuration dite « tokamak ». Elle vise à confiner un plasma de deutérium et de tritium (isotopes de l’hydrogène) chauffé à quelque 150 millions de degrés. Le tokamak européen JET, situé à Culham en Grande Bretagne, a déjà réalisé l’exploit de produire 16 MW de puissance fusion à la fin des années 90 et a permis le lancement du projet ITER en 2007 à Cadarache. ITER, lui, est le projet le plus ambitieux au monde dans le domaine de l’énergie, avec pour objectif de démontrer la faisabilité de la fusion comme source d’énergie. ITER doit notamment produire 500 MW de puissance de fusion pendant 400 secondes !

Fusion par confinement magnétique

Il s’agit d’abord de maîtriser le plasma « en combustion ». Dans les expériences en deutérium-tritium de JET, la puissance dégagée par les réactions de fusion participe de façon modeste au maintien du plasma dans les conditions de fusion : 20 % de l’énergie de fusion étant portée par les particules alpha émises à 3,5 MeV, la thermalisation de ces particules chargées dans le plasma fourni quelques 3 mégawatts (MW) à comparer aux 24 MW fournis par les systèmes de chauffage externe par injection d’ondes radio et de faisceaux d’atomes énergétiques de deutérium ou de tritium.

Plasma de JET observé dans la bande de rayonnement visible. La lumière provient des réactions liées à l’ionisation des atomes et des molécules d’hydrogènes réémis par la paroi lors de leur interaction avec le plasma de bord. Le cœur du plasma, trop chaud pour rayonner dans le visible, rayonne dans la bande X. Concernant la photo, elle est un montage numérique d’une photo de plasma superposée localement à une photo de la chambre à vide sans plasma. JET

Dans ITER, le chauffage du plasma par les réactions de fusion sera, pour la première fois, dominant : 100 MW de chauffage par les particules alpha pour 50 MW de chauffage par les systèmes externes. ITER ouvrira l’ère de l’expérimentation des plasmas en combustion (« burning plasmas »). Les effets des particules alpha sur la turbulence, la stabilité magnétohydrodynamique du plasma ainsi que le transport de ces particules du cœur du plasma jusqu’à leur évacuation sous forme d’hélium neutre dans le divertor, situé dans la partie basse de l’enceinte à vide du tokamak, seront confrontés aux nombreuses simulations en cours de développement et des surprises ne sont pas à exclure. C’est tout l’enjeu d’ITER de montrer que l’on peut contrôler de tels plasmas sur de longues durées.

Évacuer la chaleur et les particules

Les progrès récents de la thermographie infrarouge dans les tokamaks ont mis en évidence de très fortes concentrations de flux de chaleur et de particules sur les composants face au plasma. Les lois empiriques donnant la largeur des dépôts de chaleur en fonction de la taille du réacteur sont actuellement remises en question avec pour conséquence potentielle un flux plus fort que prévu dans le divertor d’ITER et plus généralement une limitation de la puissance accessible par les machines de fusion basée sur la configuration tokamak.

Présentation de WEST au board des directeurs exécutifs. CEA/Gibert, CC BY

Cette découverte a entraîné le lancement d’un programme de recherche au niveau européen dans lequel le CEA, avec son tokamak WEST, est un des acteurs majeurs au côté de 5 autres instituts européens. L’objectif est de mieux comprendre les mécanismes qui régissent les dépôts de flux de particules et de chaleur, de trouver des régimes plasma et des géométries permettant d’étaler ces flux de chaleur et enfin de développer des composants face au plasma innovants capables de supporter des flux intenses de particules et de chaleur supérieur à 10 MW/m2 (à comparer aux 60 MW/m2 à la surface du Soleil !). Le matériau privilégié aujourd’hui pour ces composants à très haut flux est le tungstène qui a pour caractéristiques, au-delà de sa température de fusion la plus élevée des éléments, des taux d’érosion et des taux de rétention du tritium très faibles.

Neutrons énergétiques

Si l’énergie des particules alpha produites par les réactions de fusion est confinée dans le plasma de cœur par le champ magnétique et permet de maintenir le plasma en combustion, celle portée par les neutrons doit être récupérée dans les parois non seulement pour chauffer l’eau qui fera tourner les turbines électrogènes mais aussi pour produire le tritium, l’un des deux combustibles de la fusion, non disponible à l’état naturel. La difficulté réside dans l’énergie cinétique très élevée de ces neutrons : 14,1 MeV soit environ 7 fois plus que celle des neutrons « rapides » produits par les réactions de fission. Ces neutrons énergétiques vont endommager en profondeur les matériaux de première paroi en provoquant des déplacements d’atomes dans le réseau cristallin et en produisant du gaz en leur sein par transmutation nucléaire (hydrogène ou hélium). Par ailleurs ces réactions de transmutation ont pour conséquence une activation nucléaire des matériaux. On estime qu’un réacteur de fusion pourrait produire plus de 30 dpa/an (à comparer aux 80 dpa d’une centrale à fission sur toute sa vie).

Seuls des matériaux avec une composition chimique et structurelle conçue à dessein pourront résister. La validation et la qualification de tels matériaux doivent se faire dans une installation d’irradiation dédiée capable de générer un flux intense de neutrons de 14 MeV. C’est à cette fin que l’Europe et le Japon mènent depuis 2007, dans le cadre de l’« approche élargie », les études d’ingénierie du projet IFMIF. Le CEA est impliqué dans le volet accélérateur. Le rapport final est attendu très prochainement ainsi que le choix d’un site et la décision de construction.

La fusion dans la transition énergétique

La fusion sera disponible « quand l’humanité en aura besoin, peut-être un peu avant ». C’est ainsi que l’académicien soviétique Lev Artsimovitch (1909-1973), père du tokamak, répondait à la question de sa disponibilité il y a près de 50 ans. Dans le monde, la Chine, la Corée, les États-Unis, l’Europe, l’Inde et la Russie, tous partenaires d’ITER, développent, sur la base du tokamak en construction à Cadarache, des designs de réacteur électrogène pour l’horizon 2050. Des initiatives privées ont vu le jour ces dernières années en Amérique avec pour objectifs de trouver un moyen plus rapide qu’ITER pour puiser dans cette source d’énergie. Google montre un intérêt… Mais plusieurs décades seront sans doute nécessaires avant de bénéficier d’une électricité de fusion.


Cet article est publié en partenariat avec le CEA dans le cadre de la nouvelle formule du magazine Clefs dont le second numéro, consacré consacré à la transition énergétique sera disponible à partir du 26 février.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,300 academics and researchers from 4,942 institutions.

Register now