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Histoire(s) d’école

L’enseignement de l’histoire, cette « passion française »

Comment la France a-t-elle mis son « roman national » au centre de l'apprentissage de l'histoire? Planche de la série « Notre Histoire », par Job. « Jeanne d'Arc part pour Chinon ». Éd. Delagrave, Paris, vers 1910. Musée national de l'éducation/Flickr, CC BY-ND

En France, l’histoire ne cesse de faire débat sur le champ politique sans suffisamment donner la parole aux acteurs de terrain : élèves et enseignants. Laurence De Cock, dans son dernier ouvrage « Sur l’enseignement de l’histoire » (Éditions Libertalia, 2018), propose un retour historique sur l’enseignement de cette discipline du point de vue de ceux qui l’écrivent, l’enseignent ou l’apprennent. Extraits.


Annoncez un changement de programmes d’histoire et vous soulèverez une nuée de commentaires éclairés, de micros-trottoirs et de propos d’experts autoproclamés dont la plupart ont ceci en commun de n’avoir quasiment pas, voire jamais, enseigné ou de n’avoir plus mis les pieds dans une salle de classe depuis leur passé d’élève. La formule sonne désormais comme une ritournelle : l’histoire est une « passion française » comme en témoignent les innombrables usages et mésusages dont elle fait l’objet.

Depuis dix ans les choses ne se sont guère calmées. S’il n’y a rien de véritablement nouveau dans les phénomènes de captation sociale ou politique de l’histoire, on constate toutefois, à l’image de notre société médiatique, une spectacularisation toujours plus grande où le passé devient foire d’empoigne, ou foire tout court, quand, de Lorànt Deutsch à Dimitri Casali en passant par Stéphane Bern, l’histoire se pare de son bâton de pèlerin et de ses atours aristocratiques et contre-révolutionnaires pour divertir le peuple, avec l’agrément du service public. La difficulté s’affirme davantage à propos de l’histoire à l’école où les débats détiennent la palme de la déconnexion au réel.

Stéphane Bern à l’abbaye de Royaumont pour l’émission Secrets d’histoire, 2014.

Comme toutes les problématiques inhérentes à l’école, l’enseignement de l’histoire est une question sur laquelle chacun a une partie de son expertise à donner en partage. C’est l’une des originalités de la France d’offrir un enseignement scolaire de l’histoire quasiment continu de 8 à 18 ans, dans tous les cycles et filières.

Ainsi, les souvenirs des bancs d’écoliers constituent-ils la principale ressource de prise de parole pour s’étonner, s’interroger, s’indigner le plus souvent. Qui n’a pas ouvert le manuel scolaire de son enfant pour constater, la larme à l’œil, le changement qu’un réflexe quelque peu nostalgique tend à transformer en dégradation, voire en naufrage ?

Pour le plus grand bonheur des journaux télévisés de chaque rentrée scolaire, les parents des petits écoliers s’alarment de ces livres qui partent dans tous les sens, ne respectent pas la chronologie, passent sous silence des pans entiers de l’histoire de France ou encore utilisent un vocable franchement abscons, sans doute issu du complot « pédagogiste » sévissant au plus haut sommet de l’État.

Roman national

Les périodes de campagne électorale sont, elles aussi, propices à célébrer l’importance de l’enseignement de l’histoire au point de faire figurer ce dossier dans les programmes de certains candidats. Le fait n’est pas nouveau mais s’est encore accentué ces dernières années jusqu’à ce que, pour la dernière campagne présidentielle de 2017, le roman national devienne un thème de campagne, surtout à droite, et même un élément du programme présidentiel de la candidate Marine Le Pen dont l’article 97 proposait de « renforcer l’unité de la nation par la promotion du roman national et le refus des repentances d’État qui divisent ».

Il faut préciser ici l’origine supposée de l’expression « roman national ». On trouve bien au XIXe siècle des « romans nationaux » mais ce sont de petits romans pittoresques écrits par Émile Erckmann et Alexandre Chatrian pour pleurer sur l’Alsace perdue.

L’expression « roman national » fait surface en fait de manière assez récente en 1992 dans la conclusion des Lieux de mémoire de Pierre Nora, lequel se réfère au livre de Paul Yonnet qu’il s’apprête à publier chez Gallimard intitulé Voyage au centre du malaise français. L’antiracisme et le roman national. L’ouvrage soutient la thèse et déplore un effondrement du roman national dû à l’émergence du mouvement antiraciste dans les années 1980. L’antiracisme, explique-t-il, « veut dissoudre la France dans le monde, et, sans attendre, faire du réduit hexagonal le laboratoire chimérique d’une nouvelle Cythère panethnique ». On mesure d’emblée le caractère programmatique de l’expression…

Un attachement viscéral

Les questions de l’histoire et de son enseignement sont aujourd’hui très politisées. Une équation s’est ancrée politiquement : celle d’une corrélation directe entre l’apprentissage d’une histoire de France digne de fierté et la formation d’un attachement viscéral, indéfectible et souvent jaloux à la nation.

L’enseignement de l’histoire est en France un enjeu politique de longue date.

Ce sera l’un des objets de cet ouvrage que de comprendre la genèse et l’institutionnalisation de cette croyance dans les vertus de l’enseignement du roman national, mais aussi de saisir la nature et les finalités des débats autour de cette question.

Toutefois, ce livre ne sera pas une énième tentative d’analyse et de déconstruction. Tout cela a déjà été fait collectivement. Il ambitionne de restituer une parole aux grands absents de tous ces débats, à savoir les praticiens de l’histoire scolaire : enseignants comme élèves.

Comment en effet lutter plus efficacement contre les débats hors sol qu’en réancrant les choses dans le terreau de la pratique ? De ceci, il n’est quasiment jamais question ; pourtant, une histoire articulant les textes, les débats et les pratiques permet d’aborder plus posément les enjeux.

L’histoire s’enseigne avec des élèves et des enseignants

Deux points semblent particulièrement saillants : le premier est la permanence des débats qui paraissent aujourd’hui nouveaux alors qu’ils ne sont que des recyclages de questions débattues depuis toujours ;le second est qu’une observation des pratiques et des routines de l’enseignement de l’histoire montre que, loin des braises idéologiques sur lesquelles se plaisent à souffler quelques cracheurs de feu professionnels, l’histoire s’enseigne, bon an mal an, avec des enseignants et des élèves qui bricolent, geignent, s’adaptent et se rebiffent, selon des temporalités très éloignées des calendriers médiatiques et de la valse des scandales.

Entretien avec Anne-Marie Chartier dans le cadre du projet Savanturiers, Centre de Recherche Interdisciplinaire (CRI).

Cet ouvrage, qui couvre plus d’un siècle d’enseignement de l’histoire, ambitionne de découvrir ces coulisses certes terre à terre, mais autrement plus complexes que les résultats émanant des observatoires de salon. Montrer cet aspect plus méconnu de l’histoire n’est pas dénué d’intérêt politique : c’est en rendant compte de la capacité d’action des praticiens, de leurs microrésistances parfois, que l’on peut saisir la réalité de l’enseignement de l’histoire.

Je postule ainsi la nécessité, voire l’urgence, d’aller saisir in situ la richesse des routines et tâtonnements ordinaires qui font aussi la saveur d’un métier que l’on peut comparer à l’artisanat, car nous travaillons à partir d’une matière première qu’il nous est possible de transformer tant que l’on ne nous en dépossède pas.

Je prends donc ici le parti d’une histoire plus au ras du sol et fais mienne cette jolie formule d’Anne-Marie Chartier, d’une histoire qui « reconnaît[rait] le jardinage autant que la botanique ».


L’ouvrage de Laurence De Cock « Sur l’enseignement de l’Histoire » est paru le 15 mars aux Éditions Libertalia.

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