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L’enseignement supérieur en management en France : l'hypothèse d'un scénario de rupture

Qui contrôlera l’éducation demain ? M. Leiboff/VisualHunt, CC BY-NC-ND

Un article récent d’un universitaire britannique invite à « raser » les écoles de management. Elles n’ont pourtant jamais eu autant de succès, avec environ 20 % des étudiants dans le monde selon les estimations (Dameron et Durand, 2017). Elles n’ont cependant jamais été aussi fragiles, voire susceptibles de se faire remplacer.

Si les premières écoles de commerce sont apparues en France au XIXe siècle, elles se sont rapidement développées après la Seconde Guerre mondiale. La concurrence s’est depuis radicalement intensifiée dans un espace qui de national est devenu international. Pour le seul programme Grande Ecole et l’admission des étudiants post-prépa, plus de 20 établissements se concurrencent sur le sol français. Depuis 2005 et l’apparition du classement des « masters in management » par le Financial Times, c’est près d’une centaine d’établissements, en Europe et aujourd’hui en Asie, qui sont en compétition.

Concurrence, mimétisme et moyens limités

Les budgets des établissements français demeurent toutefois relativement faibles, quelques dizaines de millions d’euros et ne dépassant que très rarement les 100 millions d’euros. Pour comparaison, le budget de la seule Harvard Business School (sans parler d’Harvard University) est de près de 680 millions d’euros (800 millions de dollars en 2017), en constante progression, financé à hauteur de 20 % par les revenus de sa Fondation dont le stock de dons avoisine les 3 milliards d’euros.

L’intensité concurrentielle est accentuée par des forces mimétiques qui poussent les établissements à une convergence stratégique susceptible de les desservir. Ces écoles sont évaluées par leurs pairs via les accréditations et les classements dans les journaux. Ces mêmes pairs tendent à concentrer leur jugement sur le volume de publications d’articles dans des revues académiques, essentiellement américaines, et – le graal – répertoriées dans la liste du Financial Times des 50 revues qui « comptent ».

Dans un espace concurrentiel désormais international, avec des budgets en moyenne dix fois moindre que les établissements étrangers les mieux classés, les établissements français font un travail remarquable pour rester parmi les premiers dans la course. Mais ils épuisent leurs forces et leurs ressources comparativement trop maigres dans le financement de publications dont la pertinence n’est pas avérée pour la formation.

Cette situation génère des rapprochements et fusions pour partager les coûts, une division entre les savoirs produits et enseignés, et, plus récemment, une extension de nature de ce même espace. D’autres types d’acteurs, privés, radicalement différents des établissements historiques et diplômants, entrent dans le jeu.

L’irruption de nouveaux acteurs

Dans la formation continue tout d’abord. Les cabinets de conseils incluent de plus en plus des formations dans leurs propositions d’intervention. Naturellement pédagogues du fait du mode de relations avec leurs clients, les consultants peuvent être des concurrents redoutables, mais restent chers. Les universités d’entreprise ensuite, elles se structurent, construisent leurs propres programmes, voire proposent ces mêmes programmes à d’autres entreprises à des prix qui peuvent être dix fois moins élevés que ceux habituellement pratiqués.

Mais surtout, et c’est là où peut se nicher la rupture, des établissements adhoc se créent et trouvent une résonance inattendue dans la formation initiale. Les exemples abondent ; l’Ecole 42 est un des plus connus, mais il y en a d’autres. The Camp au pied de la Sainte Victoire à Aix-en-Provence, lancé en septembre 2017, rassemble différentes parties prenantes, dont des étudiants, pour former à et générer de l’innovation.

L’entreprise Open Class Rooms, qui se dit « massivement formateur en ligne », a signé au printemps 2018 la deuxième plus grosse levée de fonds dans la « French Tech » en collectant 60 millions d’euros. Si les métiers du numérique sont touchés, d’autres, comme le marketing et les ressources humaines, fortement impactés par les technologies, sont également concernés.

Les fonds d’investissement ne s’y trompent pas, ils s’engouffrent depuis déjà quelques années dans ce secteur, voire se spécialisent comme en témoigne la création en 2017 du fonds EduCapital avec 45 millions d’euros de capital.

Des demandes de formation différentes

L’émergence de ce nouveau type d’acteurs se fait sous l’impulsion d’entrepreneurs, insatisfaits de l’offre existante. Ils suivent un modèle économique similaire (Dameron et Durand, 2018) : une pédagogie fondée sur la mise en situation, pas de recherche, peu de formateurs, une place centrale donnée aux technologies et pas d’obligation institutionnelle liée aux diplômes.

Ces établissements et programmes se concentrent pour le moment sur des besoins en pleine transformation, comme l’enseignement à distance pour la pédagogie, ou l’innovation et la pensée par algorithmiques pour le contenu. Besoins auxquels répondraient de manière inefficiente les établissements traditionnels.

Inefficiente parce que trop chère, inefficiente parce qu’utilisant une pédagogie inadaptée, inefficiente parce qu’incapables désormais de produire les savoirs pertinents pour les besoins de la société et des entreprises.

Dans le contexte d’une demande croissante d’enseignement supérieur, en France et dans le monde, l’apparition de cette autre forme d’organisations dans ce secteur est encore peu douloureuse pour les écoles historiques. Jusqu’à quand ?

Réagir à un scénario de rupture

Sans réaction se dessine un scénario de rupture : les établissements traditionnels se feraient remplacer à terme, au moins partiellement, par ces nouveaux acteurs, privés, mobilisant d’autres formes de savoirs, d’autres formes de pédagogies, et dont le modèle économique favorise l’accès de l’éducation à tous.

La direction d’Harvard Business School prend visiblement cette menace au sérieux avec la création d’HBX, entité dédiée aux nouvelles formes d’enseignement, basées sur les technologies.

Quelles seraient les réponses possibles pour les établissements français ?

  • En premier lieu, plus de moyens assurément, mais ce sera, pour le moment, sans compter sur les fonds publics nationaux, en nette diminution. À croire que l’on préfère laisser faire les forces du marché, comme si l’enseignement supérieur était une industrie comme les autres. Il faudra donc aller chercher ces financements ailleurs, vers les entreprises, avec les chaires et la formation continue, vers les grands donateurs, avec les Fondations, et vers les fonds européens.

  • En deuxième lieu, la reconnaissance mutuelle des diplômes dans le cadre d’accords diplomatiques bilatéraux peut faciliter la circulation des étudiants à l’international et donner tout leur poids aux formations diplômantes.

  • En troisième lieu, ces établissements peuvent valoriser leur capacité à faire travailler ensemble des parties prenantes différentes et très impliquées, et associer des acteurs maîtrisant le savoir-faire des plates-formes technologiques.

  • En quatrième lieu, il s’agit de réarticuler savoirs produits et transmis. La question de la pertinence des connaissances enseignées nécessite de refonder la valorisation de la recherche en management en évaluant sa finalité, c’est-à-dire son impact sur les représentations, régulations, pratiques et modèles utiles à l’action.

L’éducation n’est pas un secteur comme les autres : il a la spécificité d’être centré sur les savoirs, de diffuser des modèles de sociétés et d’être un des socles de la compétitivité des organisations productives, des territoires et plus largement des nations. Les États-Unis et la Chine l’ont bien compris.

Si le niveau national n’a plus les moyens de ses ambitions – ou des priorités à réévaluer ?- c’est à l’échelon européen de prendre le relais. Les établissements historiques ont des atouts, ils ont accompagné le développement de nos entreprises et l’esprit entrepreneurial : valorisons-les.

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