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L’entrepreneuriat en Europe, tendances réelles et espoirs politiques

Le travailleur indépendant est-il un entrepreneur comme les autres ? Shutterstock

Le soutien et la défense de l’entrepreneuriat comme du travail indépendant ont occupé une place importante dans la campagne présidentielle du candidat Emmanuel Macron en 2017. Probablement autant par conviction militante que par effet d’aubaine… Le regain de l’entrepreneuriat en France, comme en Europe et au sein des pays de l’OCDE, est en effet une tendance sur laquelle les observateur∙trice∙s internationaux s’accordent largement. Selon l’OCDE, la plupart des pays connaissent aujourd’hui un taux d’emploi non salarié supérieur à 15 %. Mais là n’est pas l’essentiel, car à y regarder de plus près, ces données révèlent plusieurs enseignements importants.

D’abord, de manière assez surprenante, ce ne sont pas les pays anglo-saxons, aux politiques publiques réputées les plus libérales, qui affichent les taux les plus élevés de travailleur non salarié. Des pays comme l’Irlande ou le Royaume-Uni, avec 15,4 %, se situent par exemple dans la même tranche que les pays d’Europe du Sud comme l’Espagne, avec 16,5 %, ou le Portugal, avec 17,0 % ; des taux concordant néanmoins avec la moyenne européenne puisque l’Europe des 28 qui enregistre 15,5 %.

La France au niveau de l’Allemagne et du Japon

Mais cette moyenne masque un deuxième enseignement : la grande disparité des situations en Europe. Comparons avec les pays de l’OCDE situés hors Europe : on remarquera par exemple que l’Italie, avec ses 23,2 % de travailleur∙se∙s concerné∙e∙s, affiche un taux comparable à celui du Chili, à 27,4 %, ou encore à celui de la Corée du Sud, à 25,4 %. Quant au champion européen du travail non salarié, la Grèce, son taux de 34,1 % de travailleur∙se∙s indépendant∙e∙s au sein de sa population active se rapproche de celui de la Turquie, à 32,7 %. Un taux qui reste toutefois loin du niveau enregistré en Colombie, où plus d’un actif sur deux est travailleur∙se∙s indépendant∙e∙s (51,9 % exactement).

Pour ce qui est de la France, avec 11,6 % de travailleur∙se∙s non-salarié∙e∙s, elle se situe sensiblement dans la même tranche que l’Allemagne (10,2 %) et le Japon (10,4 %). Enfin, pour clore cette revue d’effectif, soulignons que ce sont les pays scandinaves sociaux-démocrates qui développent le moins le travail non salarié. La Suède en compte 9,9 %, le Danemark tout juste 8,2 %, et la Norvège seulement 6,5 %.

Taux d’emploi non salarié en Europe. OCDE, 2017

Les statuts biaisent les comparaisons

Ces chiffres peuvent apparaître en décalage avec les observations faites par tout un chacun de start-up florissantes ou de plates-formes collaboratives toujours plus nombreuses et très demandeuses en travailleur∙se∙s. D’autant plus que la plupart des taux ont régressé entre 2016 et 2017, y compris dans les pays anglo-saxons, la France et l’Allemagne !

Alors, comment l’expliquer ? Le premier élément est d’ordre juridique, ce qui se répercute dans les statistiques. Par exemple, en France, les gérant∙e∙s d’une société commerciale peuvent être salarié∙e∙s ou assimilé∙e∙s. C’est le cas notamment dans les Sociétés par actions simplifiées (SAS), les Société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), les Sociétés anonymes (SA) et enfin les Sociétés à responsabilité limitée (SARL). Dans ce cadre-là, les gérant∙e∙s n’entrent pas dans les chiffres du non-salariat puisqu’ils et elles ne le sont statutairement pas.

Ces cas n’existent pas en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Ces pays ont eux fait le choix de créer des statuts juridiques intermédiaires entre salariat et indépendance. Ces statuts permettent de reconnaître la dépendance économique partielle envers le∙la donneur∙se d’ouvrage, d’assurer une couverture sociale minimum pour le∙la travailleur∙se, et de prévenir le salariat déguisé.

Seconde explication de ce décalage entre chiffres et réalité observée : le développement des plates-formes collaboratives et des modèles hybrides de gestion d’activité professionnelle qu’elles mobilisent. On évalue aujourd’hui le nombre de micro-travailleur∙se∙s des plates-formes à moins d’un million, dont un cinquième vit en Inde et un quart aux États-Unis. Une population mince qui n’induit pas systématiquement un statut d’indépendant puisque la France comptait, en 2015, 2 250 salarié∙e∙s parmi les travailleur∙se∙s des plates-formes. Par exemple, les 14 000 chauffeur∙se∙s de véhicule Uber en France sont pour moitié salarié∙e∙s car gérant∙e∙s d’une SASU. De même, lorsque la plate-forme Deliveroo a voulu contraindre ses livreur∙se∙s à devenir indépendant∙e∙s, ils et elles ont vivement protesté. Aujourd’hui encore, la plate-forme fait face en effet à une succession d’actions collectives en France et en Belgique soutenues par CLAP, le Collectif des livreurs autonomes de Paris.

De l’entrepreneuriat individuel à l’entrepreunariat populaire

Les causes du développement ressenti de l’entrepreneuriat individuel ne sont donc pas à chercher dans les statuts et les chiffres, mais plutôt dans les comportements. Une manière inédite de concevoir l’articulation entre le travail et le loisir a contribué à l’essor d’une forme d’entrepreneuriat informel. Autrement dit, ces activités sont non déclarées mais restent bel et bien à finalité lucrative. C’est le cas par exemple de la création d’objets d’art durant les temps de loisir et de leur revente via des plates-formes collaboratives (Etsy, Leboncoin, Ebay…), ou d’activité non professionnelle comme le covoiturage, la location immobilière ou mobilière (camping-car, bateau…).

Il s’agit donc davantage d’auto-emploi que de projet entrepreneurial à proprement parler. Ce phénomène découle pour partie de discriminations à l’embauche (âge, genre, origine ethnique ou nationalité…) plus difficiles à vivre en période de chômage de masse. L’auto-emploi peut aussi répondre à des logiques de promotions professionnelles lorsque le.la travailleur∙se∙ fait face à un plafond de verre.

À ce sujet, la sociologue Sarah Abdelnour parle très justement d’« entrepreneuriat populaire ». Un terme à double-sens : d’un côté, l’entrepreunariat devient accessible à tous via les politiques publiques d’incitation, et de l’autre, il se développe dans les quartiers populaires pour répondre à la question du chômage. Le travail non-salarié n’est donc pas toujours synonyme d’entrepreneuriat et les nouvelles formes ne se mesurent pas facilement. Ces nouvelles formes restent néanmoins des réalités, mais elles se rencontrent au quotidien dans les comportements et les manières d’être bien plus que dans des démarches structurées de développement d’entreprise.

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