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Ni camisoles chimiques ni pilules miracles, les antidépresseurs peuvent soulager certains patients en souffrance. Joshua Coleman / Unsplash

Les antidépresseurs sont-ils de dangereuses drogues ?

À l’occasion de la sortie du livre « Dépressions, antidépresseurs : le guide » des Pr Bernard Debré et Pr Philippe Even, les propos de ce dernier sur la prise en charge des troubles dépressifs font polémique.

Si certaines idées développées dans cet ouvrage sont très intéressantes (comme améliorer l’accès à la psychothérapie), culpabiliser les patients qui ont le courage de se faire soigner n’améliorera probablement pas la prise en charge de la santé mentale.

Les traitements antidépresseurs dont il est question ici sont par exemple la fluoxétine (Prozac®), la sertraline (Zoloft®) ou la venlafaxine (Effexor®), pour n’en citer que quelques-uns. Ils sont souvent jugés inefficaces et dangereux, voire comparés à des produits stupéfiants pouvant entraîner des dépendances.

En tant que psychiatre recevant au quotidien des patients atteints de dépression, pour qui ces médicaments constituent une aide, les idées reçues et inexactitudes souvent diffusées dans les médias me posent problème.


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Il ne s’agit pas ici de réhabiliter ces médicaments à tout prix ou de les présenter comme l’alpha et l’oméga du traitement de la souffrance psychique. Simplement de proposer des éléments basés sur des études scientifiques pour une perception plus juste de leurs bénéfices, qui sont rarement mis en avant dans la sphère publique. Si les travaux de recherche ne délivrent pas une vérité absolue, à considérer sans aucune réserve, ils restent néanmoins à ce jour l’un des remparts les plus solides contre le populisme et la démagogie.

Voici 13 arguments qui permettent d’adopter un autre point de vue sur ces médicaments, et d’éviter que leur dénigrement intempestif n’empêche nombre de personnes en souffrance d’accéder à des soins qui les soulageraient.

1. Non, l’industrie pharmaceutique n’investit pas particulièrement dans la dépression

C'est une thèse qui voudrait que cette maladie soit une « invention » des laboratoires pharmaceutiques destinée à vendre davantage de médicaments. Or la psychiatrie est aujourd'hui l'une des spécialités dans lesquelles les laboratoires – et les moyens publiques – investissent le moins. Les études cliniques réalisées en neurologie et psychiatrie ne représentaient que 6 % de toutes celles réalisées par l'industrie en France en 2015, selon l'organisation professionnelle des entreprises du médicament (Leem). Sur la vingtaine de molécules disponibles et prescrites couramment dans la dépression, seules 2 ne sont pas encore passées en générique et font donc l'objet d'une promotion active de la part de l'industrie.

2. La dépression est une maladie fréquente, et grave

Bien entendu, toute souffrance psychique n'est pas trouble dépressif. Pourtant, avec près de 350 millions de personnes atteintes dans le monde selon un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2012, les troubles dépressifs sont particulièrement répandus et leurs conséquences, lourdes. Ainsi, la dépression diminuerait l'espérance de vie de 12 à 15 ans, plus que le tabac (qui la diminuerait d'une dizaine d'années). L'accès au traitement est faible, puisque moins de la moitié des patients bénéficient d'un traitement approprié, toujours selon le rapport de l'OMS.

3. Les antidépresseurs ne traitent pas un simple « vague à l’âme » mais une véritable pathologie

Malgré son incidence, la dépression n’est pas considérée comme une maladie par 80 % des personnes interrogées dans une grande étude sur la population française. Elle reste encore largement stigmatisée dans la société, et même chez les soignants, le « dépressif » est encore perçu comme quelqu’un de « faible ».

4. Stigmatiser les antidépresseurs c'est, au fond, mépriser la souffrance des malades qui les prennent

Par un mécanisme bien connu dans le champ de la santé publique, le stigma associé à une pathologie vaut pour son traitement. Cet effet a été mis en évidence dans le domaine du VIH, en particulier. Les personnes considérant les antidépresseurs plus dangereux qu’utiles sont en général plus enclines à penser qu’il faille « s’en sortir tout seul » – ce qui est une non-reconnaissance de leur trouble, assimilé à un manque de volonté.

5. Non, les antidépresseurs ne sont pas surconsommés en France, ils sont surtout mal prescrits, c'est-à-dire à mauvais escient

L'idée selon laquelle notre pays serait le plus grand consommateur d'antidépresseurs est fausse. La France se situe en 17e position des pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), en deçà de la moyenne des 28 pays de développement comparables selon ses statistiques santé pour 2015. On estime qu'en France, seules 30 % des dépressions sont prises en charge par un traitement antidépresseur. Pour autant, il faut savoir que près de la moitié des personnes prenant un traitement antidépresseur ne remplirait pas les critères diagnostiques de la dépression. Sachant que 80 % des prescripteurs sont des médecins généralistes, cela questionne la qualité de leur formation sur cette pathologie et l'accès des patients à des soins dispensés par des spécialistes.

6. Les antidépresseurs sont des traitements efficaces

Les antidépresseurs sont aussi efficaces que des médicaments utilisés pour d'autres affections non psychiatriques, comme l'hypertension et l'asthme. Une étude comparative pour 28 maladies publiée en 2012 montre que leur efficacité est comparable avec celle d'autres médicaments, pourtant perçus bien plus positivement.

7. Les antidépresseurs sont une réponse médicale appropriée en cas d'épisode dépressif sévère

Il est reproché aux antidépresseurs de ne traiter que la conséquence d'un ensemble de facteurs sociétaux ou personnels (des évènements de vie) favorisant l'apparition d'un trouble dépressif. Il ne paraît pas éthique de laisser des malades dans la détresse sous prétexte que la réponse devrait être sociétale ou politique, si réponse il y a. Le professeur de médecine Bruno Falissard propose à ce sujet, dans la revue Esprit, un parallèle éclairant : imaginerait-on renoncer à traiter le diabète et ses complications parfois mortelles, sous prétexte que cette pathologie augmente avec les changements culturels dans les habitudes alimentaires ?

8. Il ne faut pas confondre les antidépresseurs avec les anxiolytiques

Beaucoup des craintes vis-à-vis des antidépresseurs viennent d'une confusion avec les anxiolytiques, notamment ceux de la classe des benzodiazépines comme le diazepam (Valium®), le bromazépam (Lexomil®) ou l’alprazolam (Xanax®). Ces derniers peuvent en effet provoquer dépendance, somnolence, voire apparition d'une véritable toxicomanie dans le cas du zolpidem (Stilnox®). Les antidépresseurs n'entraînent pas ces effets secondaires. Comme tout traitement, ils peuvent cependant en générer d'autres, tels que prise de poids, troubles digestifs ou troubles cardiaques. Ces effets, bien connus avec les molécules utilisées depuis une vingtaine d'années, sont surveillés. Si l’escitalopram (Seroplex®) figure sur la liste des médicaments à écarter dressée en 2017 par la revue Prescrire, c'est parce qu'il exposerait à des risques cardiologiques plus élevés que les autres antidépresseurs.

9. Les antidépresseurs ne sont pas des « camisoles chimiques », comme on l’imagine trop souvent

Une étude espagnole ainsi qu’une étude que nous avons publiée en avril dans la revue l’Encéphale montrent que les patients prenant un traitement antidépresseur en ont eux même une vision plus positive que la population générale.

10. Les antidépresseurs ne sont pas des pilules miracles

En effet, et là aussi contrairement à leur image dans l’opinion, ils n’ont aucune vertu « dopante » ni euphorisante. Ils ne sont en aucun cas la « solution de facilité » que l’entourage évoque trop souvent, renvoyant cette image culpabilisante aux patients. Ces médicaments ne sont que le premier pas vers un soulagement et la reprise d’une vie quotidienne et sociale active interrompue par la dépression.

11. La représentation des antidépresseurs dans les médias paraît souvent exagérément alarmiste, ce qui peut être dangereux pour l'observance

Beaucoup de patients atteints de troubles psychiques déclarent éviter la plupart des reportages – surtout télévisés – sur la santé mentale car ils ne se reconnaissent pas dans les « clichés » véhiculés sur leur pathologie et ses traitements, toujours selon notre étude. Le battage médiatique autour du livre suscité peut être compliqué à vivre pour les patients dont la santé psychique dépend actuellement de ces traitements, avec de réel risque pour l'observance(capacité à prendre correctement son traitement).

12. Le traitement antidépresseur ne doit pas s'opposer à la psychothérapie

Il peut d'ailleurs être utile de les combiner. Le fait de demander au patient sa préférence pour l'un ou l'autre des traitements est un gage de réussite. Dans un certain nombre de cas, notamment pour les dépressions légères et modérées, la psychothérapie est aussi efficace que les médicaments. En attendant une ambitieuse – et souhaitable – réforme du système de soins psychiques en France, où les consultations psychologiques sont extrêmement mal prises en charges, exclure l'option médicamenteuse revient à priver les patients les plus précaires de soins.

13. La baisse de prescription des antidépresseurs est associée à plus de tentatives de suicides

La prescription d'antidépresseurs chez les adolescents et les jeunes adultes ne fait pas consensus, certaines études ont montré chez eux une augmentation des idées suicidaires sous antidépresseurs. Suite aux avertissements des autorités sanitaires américaines sur ce point en 2003, une large étude menée auprès de plusieurs millions d'Américains a montré une diminution de la prescription d'antidépresseurs chez les jeunes, mais aussi une moins bonne prise en charge de la dépression. Cette baisse globale des prescriptions a été associée à une augmentation dans des proportions comparables des tentatives de suicide chez les jeunes aux États-Unis.

Pour toutes ces raisons, et pour les patients qui, au quotidien se battent courageusement contre la dépression, avec ou sans l'aide d'antidépresseurs, il est nécessaire d'avoir une vision plus nuancée des traitements de la dépression.

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