Menu Close

Les aventures des Baroudeurs de l’innovation managériale

Le voyage de Cassandre Verriest et Matthieu Vandermersch leur a permis de mieux définir ce que serait leur entreprise « idéale ». Auteur.

L’innovation est aujourd’hui perçue comme le principal outil de compétitivité des entreprises, qu’elle soit envisagée sous l’angle technologique ou organisationnel. Les recherches récentes montrent que ces différents types d’innovation ne peuvent se déployer de façon durable que si les méthodes et pratiques de management se renouvellent.

Le mouvement vers un management plus horizontal, responsabilisant et bienveillant donne lieu à un foisonnement de pratiques nouvelles qui démontre qu’il n’existe pas de recettes toutes faites. Phénomène de fond ou effet de mode, on assiste à une curiosité croissante des entreprises vers ce sujet, en particulier pour les idées et attentes des nouvelles générations.

Une initiative originale, les « Baroudeurs de l’innovation managériale », apporte une réponse rafraîchissante à cette demande. J’ai recueilli le témoignage de deux de ces étudiants baroudeurs. Il illustre concrètement la grande diversité des approches découvertes au cours de leur périple, source d’inspiration pour les entreprises.

Le voyage des Baroudeurs résumé en deux minutes.

Les initiateurs sont deux copains étudiants en école de commerce à Lille et Lyon. En 2016, François Hubert et Léo Lustig découvrent l’innovation managériale dans les livres. Ils décident de dépasser la théorie en partant à la découverte d’entreprises qui la mettent en pratique et partent pour un tour du monde de six mois à travers onze pays, rédigeant des articles sur 30 entreprises qui les ont passionnés. L’année suivante, Hugo Chatel et François Force prennent la relève poursuivant cette quête de pratiques innovantes auprès de 50 entreprises dans 14 pays.

Un voyage en quête de l’humain en entreprise

En 2018, Cassandre Verriest et Matthieu Vandermersch reprennent le flambeau, avec une mission : prouver qu’il est possible de lier le bien-être des collaborateurs aux enjeux de croissance durable de l’entreprise. Pour atteindre cet objectif, ils décident d’aller sur le terrain, pour partir à la rencontre de ces hommes et femmes qui s’émancipent des schémas classiques de management pour inventer ceux de demain.

Pendant six mois, ils parcourent treize pays sur les cinq continents, des incontournables comme le Canada ou les Pays-Bas et d’autres, moins attendus, comme la Malaisie ou la Colombie. Au cours de ce voyage, ils rencontrent une soixantaine d’entreprises, de 10 à 200 000 salariés, des startups aux GAFA, en passant par des banques, des écoles, des communautés de freelance ou des laboratoires pharmaceutiques. Ils échangent sur leurs pratiques, leurs valeurs et leur vision pour le futur. Les nombreux témoignages recueillis prouvent que la responsabilisation, le bien-être et l’engagement des collaborateurs sont catalyseurs de productivité et de réussite pour l’entreprise.

Les Baroudeurs sont allés à la rencontre d’une soixantaine d’entreprises, des start-up aux GAFA. Auteur.

Cape Town et les chroniques du CEO

Première étape : Cape Town, en Afrique du Sud où nos Baroudeurs rencontrent Mike Scott, le CEO de NONA Creative. Fondée en 2012, il s’agit d’une entreprise de logiciels qui emploie 45 employés dont beaucoup de développeurs. On comprend l’intérêt de NONA pour le travail à distance : accéder à un vivier de talents plus grand et à des marchés de plus en plus lointains sans investir dans des locaux aux quatre coins de la planète.

Ce n’est pas si facile ! Comment faire pour inciter les salariés à travailler dans le respect des valeurs de l’entreprise, avec les bonnes méthodes ? Comment faire vivre et préserver la culture d’entreprise quand personne ne travaille au même endroit ? Comment encourager l’intelligence collective à distance ? Parmi les méthodes mises en place par Mike pour établir confiance et transparence figurent les chroniques. Chaque mois, il y partage par mail avec tous ses collaborateurs sa vie de PDG, les personnes qu’il rencontre, les articles et livres qui l’inspirent, les outils qu’il découvre et les décisions qu’il a prises.

En toute transparence, Mike partage sa vision et ses découvertes pour impliquer les collaborateurs et surtout leur donner un moyen de comprendre ses décisions stratégiques, sa façon d’agir et ses méthodes. En outre, les nombreux moments de rencontre permettent d’approfondir la relation de confiance tissée par les chroniques. Mike est aussi un adepte du co-walking qui lui permet de mieux connaitre les attentes de ses collaborateurs.

Le co-walking, la nouvelle façon de faire des réunions en marchant (BFMTV, 2018).

Kuala Lumpur et l’entreprise des super-héros

Et maintenant direction Kuala Lumpur en Malaisie, où Cassandre et Matthieu rencontrent Lu Xanne, Head of Culture chez Mindvalley. Cette entreprise de 200 collaborateurs propose une académie en ligne à destination des personnes qui souhaitent en savoir plus sur des thèmes comme le leadership, le développement personnel ou la méditation. Vishen Lakhiani, son fondateur, est parti du constat que trop de Malais partaient vers les États-Unis pour se révéler professionnellement. Il a donc décidé de créer l’entreprise la plus attractive possible en cherchant à comprendre les motivations des candidats.

Il a questionné les pratiques considérées comme habituelles et ordinaires, les a remises en cause pour créer une culture managériale totalement atypique et novatrice fondée sur les super-héros Marvel. Être leader chez Mindvalley, c’est réussir à révéler en chacun de ses collaborateurs le super-héros qui sommeille en lui. Quand Steve Jobs préconisait de s’entourer de personnes meilleures que soi dans tous les domaines, Mindvalley propose de révéler les talents en prônant son mantra « Hire for attitude, train for skills » (« recruter sur l’attitude, former pour les compétences »).

Carte des pays visités par les « French barouders ». Frenchbaroudeurs/site

Tous les collaborateurs ont accès à la plate-forme 1Up, une plate-forme créée en interne qui leur permet de se témoigner leur reconnaissance au travers de badges numériques sous forme de… super-héros bien sûr ! On peut envoyer un Flash à son collègue afin de lui dire combien il a été rapide et efficace ou bien lui témoigner de notre vif intérêt pour le projet qu’il vient de réaliser. Une façon ludique de favoriser les feedbacks positifs entre collègues et de créer dans son entreprise des lieux d’expression des émotions et de renforcement des liens. Petite anecdote : le badge Teddybear est particulièrement plébiscité pour remercier les collaborateurs de la bonne humeur qu’ils créent dans l’entreprise.

Buurtzorg et le self-management

Un dernier coup de cœur vient cette fois-ci des Pays-Bas : Buurtzorg. Rendue célèbre par le coach de dirigeants Frédéric Laloux dans son livre Reinventing Organizations, cette entreprise créée, par Jos de Blok en 2006, propose des soins à domicile pour personnes en perte d’autonomie. La structure de Buurtzorg est très atypique et repose sur l’auto-gouvernance.

Chiffres de « French Baroudeurs » depuis le début de l’initiative. FrenchBaroudeurs/site

Chez Buurtzorg il n’y a aucun manager, pour 14 000 employés. Pour autant, Buurtzorg est la plus performante des organisations médicales. Elle a réussi à diviser par trois le nombre d’admissions en urgence chez les personnes âgées et à réduire de 30 % les heures de soins prescrites par les médecins.

À la base de ce choix d’organisation, il y a la volonté de miser sur l’humain et de simplifier les procédures, les règles et la communication, pour se focaliser sur l’essentiel : délivrer le meilleur soin aux patients. Les infirmières sont organisées en équipe de six à 12 personnes et sont responsables d’une zone géographique bien définie. Elles se partagent sept rôles qui tournent tous les six mois. Ces rôles sont explicités dans le manuel que toutes les infirmières Buurtzorg reçoivent, Self-management, how it does work de Astrid Vermeer et Ben Wenting.

Pour accompagner les infirmières et réaliser les démarches administratives, 50 personnes assurent un suivi depuis le siège social. 21 coachs guident les équipes dans le développement du self-management et les aident à résoudre les problèmes internes ou conflits nécessitant l’intervention d’un tiers.

Madelon, une infirmière, explique que ce cadre est essentiel et participe à la responsabilisation du personnel soignant. On sort du modèle infantilisant des pyramides managériales pour donner libre cours aux initiatives et à la passion du métier.

Les 5 piliers de l’entreprise idéale

Ceci n’est qu’un aperçu de ce que les Baroudeurs ont pu découvrir lors de leur tour du monde. Depuis leur retour, ils ont à cœur de partager leurs découvertes avec le plus grand nombre et d’inspirer par ces trouvailles les managers désireux de transformer leurs pratiques et d’améliorer l’engagement de leurs collaborateurs. Cette aventure leur a permis de se découvrir autant que de découvrir la richesse des échanges humains. « Quand on croit en l’humain, tout est possible ! », disent-ils souvent lors des conférences en entreprise.

Du haut de leurs 21 ans, ils ont poussé cette conviction jusqu’à la présentation de ce que serait leur entreprise « idéale », celle qui réunit les atouts de leurs coups de cœur et dans laquelle ils se verraient bien travailler.

Elle peut inspirer les entreprises à partir de cinq piliers majeurs du management de l’entreprise de leurs rêves :

Les 5 piliers d’une entreprise idéale selon les « Frenchs Baroudeurs ». rawf8/Shutterstock
  • Be involved (soyez impliqués) : une entreprise à mission est une entreprise qui engage si tant est que ses valeurs sont partagées et se concrétisent au quotidien.

  • Be yourself (soyez vous-même) : la personnalité, les émotions et le développement des points forts des collaborateurs par la formation sont des catalyseurs de réussite pour les entreprises.

  • Be a team player (jouez en équipe) : jouer collectif et apprendre à collaborer efficacement.

  • Be a maker (soyez dans la réalisation concrète) : si je tape des rapports toute la journée sans jamais voir la concrétisation de mes actions, je me désengage vite.

  • Be better (cherchez à progresser) : les entreprises qui portent des œillères et se confortent dans la concurrence et la compétition sont perdantes. Celles qui gagnent mettent en place des organisations inclusives et s’ouvrent à leurs clients, leurs concurrents, les écoles… La démarche inventée par les baroudeurs représente en elle-même une vraie innovation managériale, issue de l’engagement des étudiants, auto-organisée, pérenne malgré des acteurs qui changent tous les ans, réflexive et visant à transmettre et à faire grandir… N’est-ce pas la leçon principale pour les entreprises : laisser émerger les initiatives et envies, autoriser de s’ouvrir et de sortir pour voir l’extérieur et changer son état d’esprit collectif ? Et si vous deveniez, à votre tour, des Baroudeurs ?

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,000 academics and researchers from 4,940 institutions.

Register now