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Les banques de développement à l’avant-garde de la finance durable

Sanook.pic/shutterstock

Il faut aujourd’hui une bonne dose d’optimisme pour envisager sereinement l’avenir. Avec le puissant accélérateur d’inquiétude et d’anxiété que constitue la Covid-19, le sentiment de beaucoup est que l’époque s’installe dans la consternation, les regrets et la procrastination. Le virus nous oblige à retourner au confinement, la planète se réchauffe, la nature s’étiole, les espèces disparaissent, les inégalités croissent, où est la voie de sortie ? Qui peut nous convaincre qu’une transition sociétale fondamentale est possible, et où sont les balises qui marquent les étapes raisonnables de cette transition ?

Les faiblesses du système actuel

Pour penser le futur, il va falloir nous décider à tenir compte de ce que nous savons. Les montreurs de foire pourront bien pousser des coups de menton, le relativisme général pourra bien instiller le doute jusqu’à la rondeur de la Terre, la science et ses méthodes nous informent que la situation est préoccupante. Chacun prend conscience, jour après jour, que des inflexions profondes dans nos manières de produire et de consommer sont incontournables.

Il existe bien un chemin délétère, construit sur la peur de l’autre, les inégalités croissantes, la défiance vis-à-vis des élites, les craintes de la croissance démographique, le refus de l’évolution des rapports de forces mondiaux. Mais ce chemin ne fait qu’ouvrir le risque d’une conflictualité dévastatrice, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières, lesquelles seraient à nouveau érigées en remparts dérisoires, faisant fi des leçons de l’Histoire.

La force du système actuel, c’est sa capacité à gérer le court terme et à allouer les ressources financières à la vitesse des algorithmes des ordinateurs. Mais sa grande faiblesse, c’est que les marchés sont aveugles au long terme et aux externalités. Les tentatives visant à donner un prix au carbone, à la nature, aux paysages, pour créer des mécanismes de marchés permettant de réguler ces externalités, se sont soldées par des échecs. Et que dire de l’extrême pauvreté, de la question migratoire, de la démographie mondiale, du statut des femmes et de leurs droits ?

Une nouvelle finance pour un monde plus durable

Alors, comment construire un avenir positif comme une promesse réaliste ? Où est le chemin qui concilie le bien-être des gens avec les capacités de notre planète ? L’idée que nous pourrions avoir demain un monde vivable et durable peut-elle remplacer celle que la fin du monde est inéluctable ?

Notre proposition, c’est qu’il faut pour cela inventer une nouvelle finance, qui puisse être mobilisée au service de la construction d’un monde plus durable et plus équitable.

Une première étape est certainement que les banques de développement, peu connues du grand public, montent en puissance. Qu’elles soient internationales, nationales ou locales, qu’elles financent des projets publics ou privés, des infrastructures, des PME, de l’habitat social ou le secteur agricole, elles doivent se doter d’outils d’analyse crédibles pour qualifier la conformité de leurs activités avec les objectifs du développement durable. Elles doivent financer le basculement vers une économie bas-carbone et respectueuse des espaces naturels où s’épanouit la biodiversité. Le mythe de l’autorégulation des marchés a trouvé ses limites. Les banques de développement doivent intervenir au bénéfice des secteurs essentiels aux équilibres sociaux et environnementaux, même si ceux-ci sont jugés peu ou pas rentables par les investisseurs privés.

Les banques de développement dans le monde. AFD, Author provided

Il existe dans le monde plus de 450 banques publiques de développement, qui doivent être mobilisées pour agir et changer de cap. C’est tout l’objet du Sommet « Finance en Commun » qui se tiendra en visioconférence à Paris le 12 novembre, et qui réunira toutes ces banques de développement pour la première fois. Quelques jours auparavant, une grande conférence de recherche en ligne sera organisée par l’AFD du 3 au 10 novembre, avec les apports d’un réseau de chercheurs du monde entier qui, de New York à Pékin, de Paris à Bogota, travaillent sur ces questions.

Trois propositions pour l’action

Le dérèglement climatique nous permet de tirer une leçon des vingt dernières années : la multiplication des engagements de bonne foi et des obligations de moyens, quels qu’en soient les acteurs, ne parvient pas à infléchir la situation à l’échelle nécessaire. Un des défis du XXIe siècle est de réorienter l’ensemble de flux financiers pour qu’ils deviennent compatibles avec les objectifs du développement durable. Ce doit être l’une des missions explicites des banques publiques de développement.

Au-delà de leurs propres financements, qui atteignent environ 2,3 trillions de dollars par an, soit l’équivalent du PIB de l’Afrique, les banques publiques de développement doivent jouer un rôle catalytique sur les 20 trillions d’investissements mondiaux et sur les 300 trillions d’épargne mondiale. Il faut les outiller et les mobiliser pour cela, sur tous les continents.

ll revient enfin aux décideurs politiques d’adopter des stratégies explicites et déterminées afin que les banques de développement, comme les autres acteurs de la finance, se convainquent que le chemin du développement durable est sans alternative. Cette confiance dans l’irréversibilité des changements sera un vecteur puissant pour engager la transition.

La soutenabilité des sociétés humaines et de leur développement est une question qui nous concerne tous. Elle est devant nous. Comme le disait avec humour Alexandre Vialatte, « on suit toujours le sens de l’Histoire quand on la pousse devant soi ». Et pourquoi ne pas considérer que la prise en compte du long terme et des externalités de la croissance n’est pas une contrainte, mais qu’elle ouvre en fait d’immenses opportunités pour l’action ?


Régis Marodon est l'auteur de Financer notre futur commun au temps de la Covid-19, qui vient de paraître chez Lars Müller Publishers.

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