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Les banques tunisiennes après la révolution : un crucial besoin de gouvernance

Banque de Tunisie en février 2011.

« Emploi… Liberté… Dignité » tel était l’un des nombreux slogans scandés il y a six ans par le peuple tunisien pour clamer leur ras le bol. En cause, le gouvernement et le clan du président Ben Ali, accusés d’avoir pillé le pays pendant 23 ans.

La révolte de la rue a, en moins de quatre semaines provoqué la fuite du président et la chute de son régime.

À l’aube de leur révolution, les Tunisiens se sont réveillés avec un État toujours debout mais fragilisé par les dettes et une société pansant les blessures de ses jeunes chômeurs, en proie à une économie vacillante, fondée sur l’un des secteurs les plus volatiles : le tourisme et affaiblit par la corruption.

Ainsi, début mai 2017, les autorités tunisiennes ont annoncé le gel des avoirs de huit hommes d’affaires soupçonnés de corruption, tandis que l’état annonçait sa vaste opération « mains propres » lancée le 22 mai.

Ces initiatives témoignent de la fragilité du système économique tunisien qui s’apparente à celui du modèle dit continental (versus anglo-saxon) avec une dominance des banques qu’elles soient privées ou publiques et qui constituent à elles seules presque 50 % de la capitalisation du marché financier.

Cette prédominance de la banque sur le marché boursier peut être l’une des raisons qui poussent la Banque centrale de Tunisie (BCT) à examiner actuellement un ensemble de projets de lois visant à libéraliser davantage le compte capital pour stimuler les investissements étrangers et développer les investissements des résidents à l’étranger

Heurts et malheurs des banques tunisiennes

La faiblesse de gouvernance dans les établissements existait d’ailleurs déjà bien avant le bouleversement politique de 2011.

De nombreuses opérations de restructuration bancaire ont eu lieu depuis 1992 et en 1994 notamment avec une loi porte sur la réorganisation du marché boursier, sous les auspices des bailleurs de fonds FMI, Banque mondiale et Union européenne qui ont accompagné leurs prêts de clauses de conditionnalité. En 2005, la loi sur le renforcement de la sécurité financière était votée afin de réadapter le cadre législatif et améliorer la gouvernance de ses entreprises.

Malgré ces tentatives de relance, la gouvernance du secteur bancaire à pâti de problèmes structurels trop profonds.

En 2009, un rapport de Fitch ratings « Gouvernance d’entreprise : La perspective tunisienne » expliquait ainsi :

« Les pratiques de gouvernance d’entreprise en Tunisie sont encore immatures malgré les réformes institutionnelles successives… la principale contrainte en matière de diffusion de bonnes pratiques de gouvernance d’entreprise est la structure “familiale” de la plupart des entreprises tunisiennes avec leur “capital fermé” dans lesquelles les fondateurs et actionnaires majoritaires continuent de détenir les fonctions de gestionnaire. »

Promouvoir la gouvernance bancaire est d’une importance primordiale dans une économie marquée, comme la plupart des pays de la région, par des interventions d’ordre politique dans le fonctionnement du système bancaire. Cela s’illustre notamment par le nombre important de prêts non performants accordés par les banques publiques surtout, tout comme l’importance des membres des conseils d’administration qui sont aussi des dirigeants politiques.

Une révolution qui n’a pas amélioré l’économie

La révolution tunisienne avait pourtant ouvert des perspectives prometteuses. L’instauration de la démocratie, de la liberté et de la bonne gouvernance auraient dû permettre la libération des initiatives et l’incitation de l’investissement. Cependant, la croissance économique a connu une quasi-stagnation en 2011 qui s’est traduite par une aggravation du chômage et des besoins accrus de ressources extérieures à mobiliser pour combler le déficit du budget de l’État.

Ceci ne s’est pas amélioré avec les attentats qu’a connu le pays ces dernières années. L’instabilité politique du pays et l’insécurité des pays voisins (Algérie, Lybie) ont aussi affaibli le système. D’autres maux, existant avant 2011, se sont également amplifiés depuis, aggravant la situation, tels que l’essor de l’économie informelle, la contrebande, la démocratisation de la corruption et le terrorisme.

Seule la politique monétaire poursuivie par la BCT depuis la révolution a permis, d’une part, de fournir la liquidité nécessaire aux banques pour que ces dernières continuent à financer normalement l’activité économique et, d’autre part, de contenir les effets de la crise sur les entreprises tunisiennes, à travers l’allègement de leurs charges financières. Mais, si le système bancaire tunisien a réussi à rester fiable, les banques tunisiennes demeurent vulnérables et peu performantes.

Plusieurs facteurs accablent les banques tunisiennes

Le système bancaire traîne des taux importants de créances improductives avec des banques encore en phase de développement de nouveaux produits et services (accès à distance, application sur smartphone). Le système bancaire se heurte à des difficultés considérables en raison de la sous-capitalisation, la mauvaise qualité des actifs et l’insuffisance des provisions constituées pour couvrir le risque de défaut.

Il n’y a aucun doute aussi que le phénomène des créances douteuses est massif et central en Tunisie puisqu’il oscille selon les périodes et les sources entre 20 % et 40 % sachant que la norme internationale établit à 2 % les engagements bancaires.

Par ailleurs, les retraits de dépôts bancaires ont atteint un niveau élevé contraignant le secteur à assumer un gros besoin de liquidités. En effet, depuis la révolution, les particuliers tout comme les entreprises préfèrent garder du liquide au lieu d’investir ou de laisser l’argent sur leurs comptes courants.

Ce déficit structurel a nécessité l’intervention de la BCT à travers des opérations d’injections importantes qui ont, par ailleurs, nettement augmenté les engagements de crédit de la BCT et entraîné une importante diminution des réserves internationales.

La BCT a ainsi diminué le taux des réserves obligatoires de 12,5 % à 2 % pour les dépôts de durée inférieure à trois mois et de 1,5 % à 0 % pour les dépôts de durée compris entre 3 et 24 mois ce qui a permis de diminuer le compte courant ordinaire des banques tenu à la BCT.

Les particuliers en difficulté

Les banques se sont réfugiées dans le financement de l’immobilier et des crédits aux particuliers. Par ailleurs, elles ont commencé à exiger des primes de risque de plus en plus élevées, donc des taux d’intérêt élevés aussi. Les particuliers étouffent entre un pouvoir d’achat qui se dégringole et des intérêts bancaires à rembourser ahurissants. Selon l’Institut national de la statistique tunisien, l’inflation est remontée à 5 %, le prix des boissons et alimentations a augmenté de +5,2 % et +8,4 % pour l’habillement, depuis le début de l’année.

Devant cet état des lieux préoccupant, l’effort de réglementation adopté reste insuffisant.

Il est impératif d’avoir un conseil d’administration composé d’administrateurs, compétents, indépendants et responsables, qui peuvent avoir des visions stratégiques et qui ont le courage nécessaire pour prendre les décisions adéquates à des situations critiques. Les administrateurs seront tenus de fournir les conseils et le contrôle optimums afin de mener à bien la gestion de leurs banques tout en se conformant aux exigences réglementaires spécifiques au pays, dans lequel, elles opèrent.

Le pays a réussi à s’émanciper de ses gourous mais la route est longue pour ce petit pays aux ressources limitées de retrouver son équilibre : la fragilité politique et sécuritaire à l’intérieur du pays tout comme le danger terroriste qui le guette aux frontières rend la tâche encore plus épineuse.

This article was originally published in English

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