Menu Close

Les changements climatiques, une « préoccupation pour l’humanité »

En Pologne, une chaîne humaine pour renforcer des barrages anti-inondations. Agencja Gazeta/Reuters

En adoptant l’accord de Paris, « aux droits de l’homme, nous venons d’ajouter les droits de l’humanité », déclarait le président François Hollande le 12 décembre dernier lors de la clôture de la COP21. L’accord lui-même se fait l’écho de ce souci de protéger les intérêts communs puisqu’il qualifie, dans son préambule, les changements climatiques de « sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière ».

Cette affirmation n’est pas totalement nouvelle : elle figurait déjà dans la Convention-cadre sur les changements climatiques de 1992 ; on la retrouve également, avec quelques variantes, dans d’autres textes internationaux, en particulier celui de la Convention sur la diversité biologique qui qualifie la conservation de cette diversité de « préoccupation commune à l’humanité ».

Dans l’accord de Paris, un pas de plus a été franchi. Alors que dans les traités antérieurs, la notion de « préoccupation pour l’humanité » s’appliquait uniquement à des réalités factuelles (à savoir « les changements climatiques et leurs effets néfastes » ou « la conservation de la diversité biologique ») sans qu’aucune conséquence juridique précise n’en soit tirée, dans l’accord de Paris, elle déploie des effets normatifs.

Selon cet accord, elle induit, notamment, le respect de droits de l’homme et de l’équité entre les générations :

 Considérant que les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière, les Parties devraient, lorsqu’elles prennent des mesures pour faire face à ces changements, respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’homme, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes en situation vulnérable, et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations.  (Préambule de l’accord)

Une nouvelle catégorie juridique ?

Lorsqu’elle fait son entrée en droit international de l’environnement dans les années 1980-1990, la notion de « préoccupation pour l’humanité » a été considérée comme un « ersatz juridique du patrimoine commun de l’humanité » (voir la thèse de Véronique Labrot, Réflexions sur une « incarnation progressive » du droit : l’environnement marin, patrimoine commun de l’humanité, 1994). Il est vrai qu’en faisant appel à cette formule, il s’agissait d’éviter d’appliquer, à la biodiversité et au climat, le régime du « patrimoine commun de l’humanité » qui conduisait à soustraire ces champs à l’application des règles économiques néolibérales. Dans ce contexte, on a pu voir dans cette notion le triomphe de l’« idéologie utilitariste » et des « principes mercantiles » (Alexandre Kiss et Jean-Pierre Beurier).

Par la suite, un examen plus approfondi de la notion a conduit à nuancer cette analyse. La « préoccupation pour l’humanité », en effet, n’est pas qu’un pâle substitut du « patrimoine commun de l’humanité », mais présente un champ d’application spécifique et distinct.

Alors que le concept de « patrimoine commun de l’humanité » concerne la gestion des espaces internationaux, tels que les fonds marins, celui de « préoccupation pour l’humanité » s’applique aux problèmes environnementaux présentant une origine complexe et diffuse (changements climatiques, appauvrissement de la diversité biologique) ; il vise notamment la protection des ressources vitales qui se situent, bien souvent, sur les territoires étatiques.

À l’inverse du concept de « patrimoine commun de l’humanité », celui de « préoccupation pour l’humanité » est délesté des connotations de propriété : il n’implique pas l’appropriation par l’humanité d’un territoire et ne garantit pas, pour les membres de la communauté humaine, le libre accès aux ressources protégées. À cet égard, la « préoccupation pour l’humanité » se rapproche du « patrimoine mondial de l’humanité » – à ne pas confondre avec le « patrimoine commun de l’humanité » – qui vise, avec l’aide de l’Unesco, la protection des biens culturels et naturels (œuvres architecturales, monuments naturels, etc.).

La responsabilité commune pour socle

L’idée clé de la notion de « préoccupation pour l’humanité » est celle de responsabilité commune dans un contexte d’interdépendance planétaire. Alors que le « patrimoine commun de l’humanité » a pour finalité une répartition équitable des bénéfices issus de ce patrimoine, le but de la « préoccupation pour l’humanité » est la répartition équitable des charges.

Elle implique, à cet égard, l’action collective et renforce le devoir de coopération, coopération qui se veut non seulement interspatiale (entre tous les États du monde), mais aussi intertemporelle (entre les générations), comme le souligne l’accord de Paris qui se réfère explicitement à l’équité intergénérationnelle. De la notion de « préoccupation pour l’humanité » découlent des obligations qui lient tout État de la communauté internationale dans son ensemble (obligations dites « erga omnes »). Cette notion prend, dès lors, une signification particulière dans l’accord de Paris, universel.

Reste que la référence à la « préoccupation pour l’humanité » constitue davantage un point de départ qu’une finalité en soi : si elle conduit à des règles opposables à tous, ces règles doivent préalablement être formulées par la conférence des Parties au traité en cause ou par des organisations internationales. Autrement dit, cette notion doit être nourrie. Ce système peut mener à des impasses, comme à Copenhague en 2009, mais elle peut aussi être porteuse d’avancées, au moins partielles, comme à Paris lors de la récente COP21.

Un pont vers les droits de l’homme

L’apport principal de l’accord de Paris en la matière est d’établir, pour la première fois, un pont entre la notion de « préoccupation pour l’humanité » et celle des droits de l’homme ; non seulement les droits dits de la première et deuxième génération – droits civils et politiques ou droits économiques, sociaux et culturels tels que le droit à la santé –, mais aussi les droits de la troisième génération tels que le droit au développement, voire à l’équité entre les générations (qui n’est toutefois pas explicitement présenté comme un droit en tant que tel dans l’accord).

En reliant ainsi les changements climatiques qualifiés de « préoccupation pour l’humanité » et le respect des droits humains fondamentaux, ce traité apparaît comme un prélude à l’adoption d’une Déclaration des droits de l’humanité qui a été appelée de ses vœux par le président Hollande en 2014. Aux termes du projet de cette déclaration, qui a été rédigée par la mission dirigée par Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement (1995-1997), la situation actuelle, marquée par « les effets néfastes des changements climatiques, l’accélération de la perte de la biodiversité, la dégradation des terres et des océans », constitue « un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière » et impose, en conséquence, « la reconnaissance de nouveaux principes et de nouveaux droits et devoirs ».

Accéder à l’humanité suppose, en effet, un saut qualitatif : « Dès lors qu’il est franchi, l’humanité doit, elle-même, jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs », affirmait René-Jean Dupuy. Reste désormais à l’Assemblée générale de l’ONU de faire sienne cette déclaration.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 180,400 academics and researchers from 4,911 institutions.

Register now