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Les dix façons de faire fuir les étudiants étrangers (2)

Comment faire en sorte que les étudiants étrangers se sentent chez eux… International students via Lucky Business/www.shutterstock.com

Tous les sites de The Conversation ont travaillé à une série d’articles sur la l’internationalisation de l’enseignement supérieur, afin d’examiner comment les universités s’adaptent à une nouvelle réalité. Voici le deuxième de trois articles sélectionnés.

L’ambition de la mobilité globale dans un monde divisé en nations présente un dilemme fondamental. Chaque fois que nous voyageons à l’étranger, nous passons d’un pays à l’autre sans même y penser. Pourtant, chaque nation a des lois pour déterminer qui peut ou pas entrer sur son territoire. Et cette opposition permanente entre la souveraineté d’un pays et le concept de mobilité handicape en premier lieu les étudiants internationaux.

Plus de 4,5 millions d’étudiants traversent les frontières chaque année à des fins éducatives, voyageant pour la plupart dans les pays anglophones, en Europe de l’Ouest, en Chine, au Japon ou encore en Russie. La grande majorité de ces étudiants repartent chez eux quand leurs études se terminent, même si certains décident quelquefois de rester pour prendre des emplois qualifiés ou de partir vers d’autres destinations. Tous les pays sont en concurrence pour attirer les étudiants internationaux – chaque nation veut récupérer les meilleurs étudiants, ce qui représente une manne financière considérable pour les élèves de premier cycle et de masters internationaux. Au Royaume-Uni, par exemple, la conférence des universités, Universities UK, a établi que les étudiants étrangers avaient dépensé 4,4 milliards de livres en frais de scolarité et hébergement en 2011-12.

Le problème toutefois est que les politiques migratoires entrent trop souvent en conflit avec les échanges internationaux. Les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni ont tous ralenti le flux d’étudiants étrangers en raison de préoccupations sécuritaires ou d’une forte opposition nationale à l’immigration. Dans chaque cas, le pourcentage d’étudiants étranger a fortement chuté, sans jamais remonter.

Les changements en terme d’accueil d’étudiants étrangers. UK All-Party Parliamentary Group on Migration

Ce qu’il faut ne pas faire

En terme d’échanges internationaux d’étudiants, les deux dernières décennies permettent même d’établir une liste des dix pires mesures que peut prendre une nation afin de faire fuir les étudiants étrangers, entraînant de facto une perte de compétitivité au nouvel international.

Nous avons pris le soin de les identifier :

  • Relever le prix des visas afin qu’ils soient plus chers que partout ailleurs. Actuellement, les visas britanniques sont parmi les plus chers. Il faut payer 322 livres pour postuler à un visa Tier 4 (général) quand on est un étudiant étranger qui veut venir étudier au Royaume-Uni.

  • Ralentir le temps de traitement des visas, ce qui signifie que les enseignants vont encourager les familles à envoyer leurs enfants vers des pays concurrents. C’est ce qui est arrivé en Australie en 2011 alors que la politique de visas a été renforcée à l’égard des étudiants chinois : ces derniers sont allés massivement vers les États-Unis. Quand les règles de visa ont été assouplies, le pourcentage d’étudiants chinois en Australie est reparti à la hausse.

  • Veiller à ce que les universités non seulement demandent des frais de scolarité élevés, mais obligent les familles à avoir sur leur compte en banque l’équivalent d’un an de soutien financier pour les étudiants, et cela plusieurs mois avant le début de la scolarisation. C’est ce que fait le Royaume-Uni actuellement.

  • Utiliser une politique discriminatoire à l’égard des étudiants venant de pays tels que l’Inde ou la Chine, ou même d’une région entière comme le Moyen-Orient. Soumettre ces étudiants, et pas les autres, à des contrôles et déclarations supplémentaires lors de l’entrée sur le territoire. Demander à leurs universités de les espionner et de faire des rapports réguliers aux autorités d’immigration – ce qui est stipulé par le Patriot Act passé par George W. Bush aux États-Unis en 2001, ou ce que le Royaume-Uni fait toujours aujourd’hui par rapport aux étudiants venant des pays hors Union européenne.

  • Autoriser les médias locaux à lancer des campagnes de désinformation contre les étudiants internationaux, en les accusant de mettre à mal la culture nationale, de déclencher une vague de criminalité urbaine, d’être de mauvais conducteurs ou encore de consommer des aliments avec des drôles d’odeurs… Toutes ces accusations ont été portées contre les étudiants chinois en Nouvelle-Zélande il y a douze ans et le gouvernement de Pékin a recommandé aux familles chinoises de ne pas envoyer leurs enfants étudier vers ce pays. Leur nombre a chuté en flèche.

  • Restreindre le droit de travailler durant les études et, pire encore, interdire aux étudiants internationaux de travailler pendant les vacances, afin qu’ils ne puissent pas gagner l’argent dont ils ont besoin pour couvrir leurs frais de scolarité et le coût de la vie. Actuellement, le Royaume-Uni et l’Australie limitent le temps de travail des étudiants internationaux. Et le Royaume-Uni n’écarte pas la possibilité d’interdire le travail aux étudiants hors Union européenne.

  • Faire des raids sur les lieux de travail quand les étudiants internationaux travaillent plus que le nombre d’heures auquel ils ont droit chaque semaine et les déporter aussitôt. L’Australie l’a fait par le passé.

  • Faire en sorte qu’il soit difficile pour les étudiants internationaux d’ouvrir un compte bancaire sans lieu de résidence et pratiquement impossible de louer un appartement sans un compte en banque – ce qui est le cas au Royaume-Uni. Faire de même avec les contrats de téléphonie mobile.

  • Avoir des tarifs prohibitifs pour les assurances médicales (comme en Australie), mais aussi pour la consultation d’un médecin, l’accès aux hôpitaux ou à d’autres services d’urgence.

  • Restreindre les droits des étudiants à rester dans le pays et à travailler une fois qu’ils ont obtenu leur diplôme. Ce point est crucial, car les étudiants qui sont allés à l’étranger ont besoin de bénéficier d’un travail pour renforcer le lien avec leur pays d’origine ou ont besoin de travailler pour rembourser leurs prêts. Le Royaume-Uni a longtemps encouragé les étudiants à travailler pendant deux ans après l’obtention de leur diplôme, mais en 2012, la politique a changé de sorte qu’un diplômé a désormais tout juste quatre mois pour trouver un emploi (payant 24 000 livres par an ou plus) dans son domaine de formation. Du coup, le nombre de visas de travail accordés aux étudiants étrangers au Royaume-Uni est passé de 43 319 en 2011 (un record) à 557 en 2013 !

Le pire moment possible

De fait, le Royaume-Uni envisage aujourd’hui d’obliger les diplômés étrangers à quitter le pays avant de postuler à un emploi, ce qui rendra leur séjour encore plus compliqué. Les plus qualifiés iront certainement ailleurs. En réalité, les étudiants internationaux sont les dommages collatéraux des politiques migratoires. Restreindre les migrations temporaires des étudiants est la façon la plus efficace de réduire les chiffres de l’immigration, même si la plupart des étudiants ne deviennent jamais des migrants permanents.

Au Royaume-Uni, la situation va probablement empirer avant que les choses ne s’améliorent. Dans le contexte actuel, la ministre de l’Intérieur, Theresa May, affirme que les migrations sont une grande menace pour la cohésion nationale et a averti que les établissements d’enseignement supérieur doivent s’attendre à une baisse de leur quota d’étudiants internationaux. Mais si le gouvernement suit sa ministre sur la route des attaques à tout va contre les phénomènes migratoires, et décide de restreindre l’entrée des étudiants étrangers tout en affaiblissant leurs droits au travail, cela aura des conséquences énormes sur notre capacité à attirer ce vivier international.

Les exemples des États-Unis après le vote du Patriot Act en 2001 et de l’Australie après ses restrictions sur les visas et les droits au travail en 2010-2011 suggèrent que lorsque l’influx d’étudiants étrangers diminue, alors il faut plusieurs années avant de pouvoir inverser la tendance, même si les politiques sont changées à nouveau.

Mais le problème majeur pour le Royaume-Uni est le timing. De nombreux pays doivent faire face à des résistances de l’opinion publique face au phénomène migratoire, mais pas forcément en même temps. Alors que le gouvernement britannique veut restreindre massivement les mouvements migratoires, les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Chine, le Japon et l’Allemagne intensifient tous leurs efforts pour attirer les étudiants étrangers. Les chiffres sont en pleine progression aux États-Unis et en Australie. Les deux pays ont appris des erreurs du passé et font particulièrement attention aux « dix choses à ne pas faire » répertoriées dans notre liste.

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

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