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Les éléphants de forêts africains sont en voie d’extinction rapide. Si nous le protégeons, nous combattrons également le changement climatique. Shutterstock

Les éléphants sont nos alliés dans la lutte contre le changement climatique

L’extinction des éléphants de forêt d'Afrique pourrait aggraver le phénomène du réchauffement climatique. C’est ce qu’on peut apprendre d’une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Geoscience qui relie l’alimentation des éléphants à une augmentation de la capacité des forêts à stocker le carbone.

La mauvaise nouvelle, c’est que l'éléphant de forêt d'Afrique - plus petit et vulnérable que son cousin mieux connu, l’éléphant de brousse - est en voie d’extinction rapide. Si nous continuons à permettre son extermination, nous empirerons également le climat. La bonne nouvelle, c’est qui si nous le protégeons, nous combattrons également le changement climatique.

Ces pachydermes sont des animaux fascinants, et cela fait plus de 15 ans que je les observe. Ils sont intelligents, sensibles, et profondément sociables. Mais ce qu’il y a de plus remarquable chez eux, c’est assurément leur taille. C’est pour se protéger des prédateurs tels que lions et tigres qu’ils ont fait le pari d’évoluer jusqu’à atteindre cette taille dissuasive, même si elle reste plus petite que celle des éléphants de brousse.

En contrepartie, ils sont devenus esclaves de leur appétit. Les éléphants ont besoin d’une quantité massive de nourriture au quotidien, aux alentours de 5 10 pour cent de leur masse corporelle. Une femelle typique pesant trois tonnes peut manger 200 kg de matière végétale en une seule journée. Et pour une famille, le total peut dépasser une tonne par jour.

Les régions ou l’on trouve des éléphants de forêt d'Afrique sont indiquées en vert clair. Le Gabon, sur les côtes d’Afrique centrale, en compte le plus grand nombre. IUCN / u/DarreToBe, CC BY-SA

Ce n’est guère facile de trouver autant de nourriture, surtout dans la forêt tropicale humide, car les plantes qu’on y trouve contiennent de fortes teneurs en toxines afin d’éviter d’être mangées. Les éléphants passent leur vie à manger et à chercher à manger. Ce sont de véritables « estomacs sur pattes ». Les éléphants de forêt d'Afrique apprécient tout particulièrement les arbustes, les jeunes arbres, et les plantes qui poussent dans les nouvelles clairières en forêt. Ces nouvelles pousses croissent rapidement à la suite d’une perturbation et produisent moins de défenses chimiques. La densité de leur bois est également plus faible que celle des espèces d’arbres qui poussent plus lentement.

La façon dont les éléphants se nourrissent est tout aussi remarquable. Ils brisent d’abord les tiges et les branches, arrachent les lianes, déterrent entièrement les plantes, séparent les feuilles de leurs brindilles, etc. On remarque facilement leur passage car ils laissent un gros fouillis derrière eux.

L’impact des perturbations causées par les éléphants sur les réserves de carbone

Le nouvel élément clé de l’étude présentée par l’écologiste Fabio Berzaghi et ses collègues est l’inclusion de l’effet des perturbations causées par les habitudes alimentaires des éléphants dans un modèle informatique qui simule des processus démographiques dans l’écosystème des forêts. C’est une première. Les chercheurs ont découvert que les « perturbations des éléphants » - c’est à dire le fouillis qu’ils laissent derrière eux - a pour effet de laisser derrière eux moins d’arbres, mais de plus grande taille.

Les éléphants choisissent les arbres de densité faible, et de ce fait favorisent la dominance d’arbres matures, ce qui à terme résulte en une augmentation de la biomasse. Berzaghi et ses collègues ont réussi à valider les prévisions de leur modèle grâce aux données récoltées sur des parcelles forestières situées dans le bassin du Congo.

Les éléphants de forêt d'Afrique sont plus petits que leurs cousins vivant dans la savane, leurs défenses sont plus droites, et leurs oreilles de formes différentes. Sergey Uryadnikov / shutterstock

En évitant les arbres les plus grands et denses, les éléphants permettent à la forêt de capturer plus de carbone. Ces résultats sont lourds de conséquences, tant pour la préservation des éléphants que pour les politiques à adopter en matière de carbone. Les auteurs estiment que la disparition de ces pachydermes entraînerait une perte de l’ordre de 7 pour cent des stocks de carbone dans les forêts de l’Afrique centrale, soit un coût estimé de l’ordre de 43 milliards de dollars US en mesures de remédiation (sur la base d’un prix conservateur pour le carbone).

Bref, les éléphants de forêt sont nos amis dans la lutte contre le réchauffement climatique, et leur existence nous épargne des dizaines de milliards en remédiation.

Ils pourraient bientôt disparaître…

La situation des éléphants de forêt d'Afrique est particulièrement critique. Alors qu’on en dénombrait des millions, leur nombre se situe désormais à moins de 10 pour cent de leur potentiel. Durant la décennie 2002 à 2011, près de 62 pour cent des élépahnts auraient été abattus. Ceci serait principalement le résultat du braconnage afin de satisfaire à la demande asiatique pour l’ivoire, ainsi qu’à l’empiétement des humains sur leur habitat. Quelle tristesse que ce massacre qui est aussi un désastre écologique…

Action d’atténuation du changement climatique en République centrafricaine. GUDKOV ANDREY / shutterstock

La communauté scientifique reconnaît dans son ensemble que les éléphants de brousse (Loxodonta africana) et de forêt (L. cyclotis) sont des des espèces distinctes. Cependant, en raison de défis d’ordre pratique (comme par exemple une grande population hybridée), l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui suit les espèces menacées, les a groupés. Le problème, c’est que la grande population d’éléphants de brousse dissimule la diminution draconienne du nombre de leurs cousins de la forêt.

Berzaghi et ses collègues soulignent l’importance de reconnaître les éléphants de forêt en tant qu’espèce distincte. Cela leur donnerait une place séparée sur la liste rouge de l’UICN. Ils seraient probablement classifiés « espèce menacée » - ce qui déclencherait des interventions et une importante réglementation.

Protéger les éléphants aide à combattre le réchauffement climatique

Berzaghi et ses collègues nous ont montré que les éléphants de forêts sont au service de l’écosystème en contribuant à la stabilité du climat dont nous bénéficions tous, y compris vous et moi qui ne mettrons jamais les pieds en Afrique centrale. Si nous sommes bénéficiaires du travail de conservation des éléphants, nous devrions également être responsables de ce travail. Les sociétés les plus affluentes doivent assumer une plus grand part de responsabilité afin de protéger les éléphants et autres espèces de la biodiversité tropicale dont nous sommes les légataires.

Nous avons beaucoup appris durant cette dernière décennie sur l’importance des éléphants et autres gros animaux dans le fonctionnement des écosystèmes. Il est temps d’utiliser ces connaissances. Berzaghi et son équipe ont fait la preuve de la corrélation entre une seule espèce et son impact climatique à l’échelle mondiale.

Tel qu’indiqué précédemment, nous, êtres humains, assassinons les éléphants et détruisons notre planète. La bonne nouvelle est que nous pourrions coordonner nos efforts et combattre le changement climatique en protégeant et en repeuplant les éléphants de forêts et leur habitat. Il s’agit d’un choix à faire qui me paraît évident.

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This article was originally published in English

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