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Les « gilets jaunes », le réseau et le réel

Les réseaux sociaux… relayés par les chaines d'informations en continu. BFM

Le mouvement actuel des « gilets jaunes » en France a été construit, on le sait, en grande partie par les médias sociaux et en particulier Facebook. Certains commentateurs, comme Frédéric Filloux, professeur de journalisme français à Sciences Po, ont même affirmé que Facebook a jeté de l’huile sur le feu du mécontentement

Tout est parti de là.

Tandis qu’il est vrai que les médias sociaux constituent un moyen facile d’organiser et de coordonner des manifestations et des actions de protestation, il est moins clair dans quelle mesure ils ont joué un rôle important dans la formulation des arguments et des idées structurant ce mouvement. On trouve un grand nombre de groupes et de pages sur Facebook se réclamant des « gilets jaunes »… et un grand nombre d’Internautes partageant des opinions et des points de vue différents sur ce que sont réellement leurs revendications. Celles-ci ont commencé à s’exprimer avec les Groupes Colères autour de la limitation de vitesse à 80 km/h sur certaines routes. Une pétition en ligne sur l’imposition d’une taxe sur le diesel et l’essence a pris la relève, conduisant les groupes Facebook à lancer les manifestations des « gilets jaunes » sur les ronds-points et ailleurs. Les appels en faveur de la pétition et de l’idée d’utiliser le gilet jaune comme symbole de la protestation viendraient de vidéos publiées sur Facebook Live.

En circuit (quasi) fermé

C’est la capacité des membres du mouvement de produire leurs propres reportages sur les manifestations en utilisant la vidéo en direct de Facebook qui leur a permis de contourner largement les médias pour communiquer, au moins entre eux, sur les manifestations et autres événements. La majorité des « gilets jaunes », on l’a vu, estiment que les médias n’ont pas fidèlement rendu compte du mouvement, et se méfient des médias en général. Le recours à des sources d’information internes au sein du mouvement a permis de durcir les opinions du groupe.

En outre, les algorithmes de Facebook oeuvrent de telle manière que les messages extérieurs provenant, par exemple, de sources médiatiques vérifiées, ne remontent jamais dans les fils d’actualités des membres des groupes des Gilets Jaunes. Les messages des membres du groupe, des amis, de la famille et des éditeurs locaux sont prioritaires par rapport aux publications externes. Cela signifie que les articles qui analysent les infox ont eu des difficultés à être vus. De toute façon, les membres de groupes de « gilets jaunes », comme tout membre de groupes fortement mobilisés, ne sont que peu perméables aux articles de « désintox ».

C’est tout le principe des biais cognitifs. Comme on a pu le constater aux États-Unis avec les partisans du président Donald Trump, et Trump lui-même, il est très facile de discréditer tout ce que les médias publient en les qualifiant de « fake news », surtout s’il s’agit de critiques.

Page Facebook « Gilets jaunes officiel d’Éric drouet,Priscillia et Fly rider » facebook capture d’écran

Réseaux sociaux et « puissances extérieures »

L’autre accusation à l’égard des plates-formes de médias sociaux dans cette affaire concerne la facilité avec laquelle des « groupes extérieurs » pourraient fomenter des troubles par des messages provocants, à partir de faux comptes. Comme lors d’autres turbulences civiles récentes, il n’a pas fallu longtemps avant que les médias occidentaux pointent du doigt l’action occulte de la Russie. Le Kremlin aurait utilisé Twitter pour faire de l’agitation, auprès de certains groupes. Les médias publics russes RT et Sputnik ont également été accusés d’influence indirecte au travers de leurs reportages favorables au mouvement.

À l’évidence de faux comptes ont oeuvré sur les pages et les groupes Facebook des « gilets jaunes ». Ils sont très faciles à identifier. Cependant, il y a tellement de groupes différents qui tentent d’influencer ce mouvement que les indentifier avec certitude est extrêmement difficile. Des groupes d’extrême-droite et d’extrême-gauche ont été fortement impliqués dans les manifestations et la violence des manifestations hebdomadaires organisées dans les grandes villes. Les faux comptes de ces groupes sur les pages Facebook du mouvement sont assez faciles à repérer – bien que là encore, l’attribution à un groupe en particulier soit très difficile.

Ce qui caractérise les médias sociaux, c’est la capacité de chacun de se filmer ou d’exprimer son opinion et de faire en sorte que cette communication atteigne des milliers d’autres personnes. L’une des caractéristiques des groupes des « gilets jaunes » sur Facebook a été leur perméabilité aux théories complotistes. L’attentat terroriste de Strasbourg, par exemple, a été rapidement considéré par commentateurs sur les pages Facebook des « gilets jaunes » comme une conspiration de la part du gouvernement ou, au moins, comme une situation dont le gouvernement peut profiter pour brider les manifestations. Un post sur Facebook faisait allusion au fait que Strasbourg ressemblait à l’attentat du 11 septembre… qui était lui-même une conspiration gouvernementale.

« Comme pour le 11 septembre ils sont prêts à tuer pour régner n’oubliez pas !

Ils ne reculeront devant rien, ça tombe bien le peuple français non plus !

Samedi il nous faut une marche jaune plus nombreuse ! »

Bien sûr, les administrateurs du groupe ont essayé d’arrêter ce type de messages mais ils étaient très nombreux dans ces pages.

« GJ » réels et « GJ » sur Facebook

Le mouvement des « gilets jaunes », et leur présence sur les médias sociaux est une collection de voix disparates revendiquant des objectifs disparates. Ce n’est pas nécessairement le reflet des groupes qui occupent les ronds-points, montent des barrages routiers et même de ceux qui manifestent dans les villes chaque samedi. Le facteur unificateur entre les réseaux et le réel est simplement leur colère, leur insatisfaction face à leur sort et leur aversion pour l’exécutif français actuel.

Les médias sociaux créent des environnements sociaux artificiels qui ne reflètent pas les normes sociales de la société civile. Il n’est pas possible de négocier avec des groupes sur les médias sociaux tout comme il n’est pas possible de négocier avec des manifestants dans la rue. Si les Gilets Jaunes veulent une réponse solide à leurs demandes, ils devront sans doute passer par le monde réel, en personne et dans le dialogue en face à face.

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