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Les grandes coalitions ne sont plus dans l’air du temps en Allemagne et en Europe

Le parti social-démocrate allemand (SPD) est le plus grand perdant des élections européennes outre-Rhin. Sascha Schuermann / AFP

On peut résumer en quelques formules simples les résultats des élections européennes en Allemagne : nette augmentation de la participation, forte poussée des Verts, claque pour les deux partis de la Grande coalition au pouvoir, plafonnement de l’extrême droite. Quelques jours seulement après les élections du 26 mai, les premières leçons apparaissent pour tous les partis qui dressent les premiers bilans et préparent déjà l’avenir.

Les électeurs ont fait leur choix en donnant la priorité aux questions suivantes : protection du climat et de l’environnement, politique sociale, préservation de la paix, crise migratoire. Un ordre de priorités qui montre que les problèmes migratoires ont perdu de leur acuité et que l’Europe comme projet de défense de la paix n’est plus aussi porteur que dans le passé.

Comme dans d’autres pays de l’Union européenne, la participation a notoirement augmenté : avec un taux de 61,4 %, soit 13,3 points de plus qu’en 2014, l’augmentation a été particulièrement forte en Allemagne. En France, une augmentation de 7,7 points met le taux de participation à 50,12 %, soit quasiment au même niveau que celui de l’abstention.

L’AfD, toujours pas une alternative pour l’Allemagne

L’électorat allemand a, en un temps qui semblait dominé par l’euroscepticisme, réagi par un regain d’engagement pour l’Europe, ce que le plafonnement du seul parti allemand europhobe confirme : L’Alternative pour l’Allemagne (AfD) progresse certes de 3,9 points par rapport à 2014. Mais tous les analystes sont d’accord sur ce point : il convient plutôt de mesurer son évolution par rapport aux élections fédérales de septembre 2017, quand ce parti a progressé de 7,9 points par rapport au même type de scrutin en 2013 et obtenu 12,6 % des voix.

Avec 11 % des voix, lors de ce scrutin, il régresse. C’est particulièrement remarquable vu que ce parti s’est, dès l’origine, constitué contre l’Union européenne et l’euro. Sa progression globale apparaît de plus en plus résistible.

Pour l’AfD une progression de 3,9 % par rapport aux dernières européennes. Pas un grand score pour A. Gauland, une des têtes du parti. Tobias Schwarz/AFP

On notera que l’un de ses deux présidents, Jörg Meuthen, également tête de liste aux Européennes, ne propose plus de quitter l’Union mais seulement de la « réparer ». Cette évolution n’est pas sans rappeler celle de la Lega au pouvoir en Italie ou du RN en France.

Ces élections européennes en Allemagne confirment, par contre, le fort ancrage de l’AfD dans les Länder de l’est, où il est arrivé premier dans de nombreuses circonscriptions.

Le nouveau parti du peuple : la Vertspartei

La poussée des Verts était annoncée : avec 20,5 % des suffrages, ils doublent quasiment leur score de 2014 (10,7 %). Ils doivent leur succès à l’apport de voix venues principalement de l’électorat social-démocrate (1 240 000) et chrétien-démocrate (1 110 000) et, dans une moindre mesure, de l’électorat des Libéraux et de La Gauche (Die Linke). Ils sont ainsi devenus le deuxième parti d’Allemagne, avec près de 5 points d’avance sur le parti social-démocrate (SPD).

34 % des jeunes électeurs allemands (entre 18 et 24) ont voté pour Die Grünen.. Mika Baumeister/Unsplash, CC BY

Sur la base d’un socle déjà solide acquis ces dernières années, les Verts ont sans aucun doute bénéficié de la prise de conscience par l’électorat jeune de l’urgence climatique mise en avant lors des nombreuses manifestations de rue, ces dernières semaines en Allemagn et dans le monde. Les électeurs de 18-24 ans ont voté à 34 % pour eux, ceux de 25 à 34 ans encore à 25 %. Ces statistiques font inversement apparaître les deux partis CDU-CSU et SPD comme les mouvements des vieilles générations.

La tranche d’âge des 60-69 ans a voté à 33 % pour la CDU-CSU, les plus de 70 ans à 47 %, les chiffres correspondants étant pour le SPD de 20 et 24 %. L’âge moyen de leurs adhérents est de 60 ans, quand il est seulement de 50 ans pour les Verts. Les Verts sont devenus aujourd’hui pleinement ce qu’on appelle en Allemagne un Volkspartei : un parti de rassemblement touchant toutes les couches sociales. Il couvre mieux que les autres toutes les tranches d’âge. Les deux grands partis, en premier le SPD, peut se demander s’il répond encore à tous ces critères.

Victoire à la Pyrrhus pour la CDU

Pour ces partis de gouvernement, la pilule est amère. Avec 28,9 % des voix, la CDU-CSU reste certes le premier parti en Allemagne, mais elle enregistre son plus bas score historique. La CDU perd 7,5 points par rapport aux élections de 2014, quand la CSU enregistre un léger accroissement d’un point. Comme si le changement à sa tête lui avait donné un léger avantage sur la CDU auprès des électeurs.

Au moins la CDU a-t-elle eu la satisfaction, lors des élections régionales de Brème tenues le même jour, de damer le pion au SPD qui gouvernait depuis 73 ans cette ville État de moins de 700 000 habitants. Avec 26,2 % des voix contre 25,1 au SPD, elle croît de 3,8 points quand le SPD en perd 7,7. Il reviendra aux Verts de décider de la coalition qui gouvernera la ville à l’avenir, une coalition CDU-Verts-FDP (la fameuse coalition aux couleurs de la Jamaïque) ou une coalition SPD-Verts-La Gauche, l’enjeu n’étant pas que local.

En fin de campagne électorale, la CDU a accumulé les maladresses, apparaissant incapable de réagir aux vives critiques des réseaux sociaux, en particulier d’un YouTuber de 26 ans, Rezo, qui appelait, dans un réquisitoire vu par des millions de personnes, à ne pas voter CDU-CSU ou SPD.

La réputation de la nouvelle présidente de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, dont la vive réaction a été interprétée (non sans raison) comme une atteinte déplacée à la liberté d’expression, s’en trouve entachée.

Le SPD happé par le vide ?

Mais la claque est encore plus retentissante pour le SPD qui n’obtient que 15,8 % des suffrages, soit 11,4 points de moins qu’en 2014. Rien ne paraît pouvoir arrêter cette vertigineuse descente aux enfers commencée après les élections fédérales de l’automne 2017. La position de sa présidente, Andrea Nahles, qui est en même temps cheffe du groupe parlementaire SPD au Bundestag, s’en trouve de plus en plus contestée.

L’affaiblissement politique des partis de la Grande coalition risque d’accroître la confrontation entre eux et de compromettre le travail du gouvernement fédéral. En Allemagne, on vit désormais d’une élection à l’autre, en se demandant quelles en seront les conséquences pour ces anciens grands partis populaires.

La prochaine échéance sera celle des élections régionales de l’automne dans trois Länder de l’Est – le Brandebourg, la Saxe et la Thuringe – dans lesquels l’AfD menace de leur ravir la première place. Dans ces trois territoires, l’AfD a réalisé les scores respectifs de 19,9 %, 25,3 % et 22,5 %.

Le commissaire européen sur l’échiquier franco-allemand

Les élections européennes affaiblissent donc passablement la Grande coalition et la position de la chancelière dans la partie de poker qui a commencé à Bruxelles sur la répartition des postes à pourvoir, dont ceux de la présidence de la Commission européenne et du Parlement européen, et plus important encore celui de la Présidence de la Banque centrale européenne. Lors de leur première réunion après les élections, chefs d’État et de gouvernement ont établi une méthode de travail et un calendrier. Cela leur a permis d’éviter les questions qui fâchent et qui ont déjà donné lieu à des tensions franco-allemandes.

La succéssion de Manfred Weber à Jean‑Claude Juncker : soutien de l’Allemagne, méfiance de la France. Emmanuel Dunand/AFP

L’Allemagne défend le principe du « Spitzenkandidat » et ce faisant, au moins dans un premier temps, la candidature de Manfred Weber (CSU), à la présidence de la Commission en tant que tête de liste de la CDU-CSU et du PPE. Au nom de la France, Emmanuel Macron remet en cause le principe du « Spitzenkandidat » promu par le Parlement européen et favorisé par le traité de Lisbonne. Celui-ci prévoit pour la nomination d’un candidat à la présidence de la Commission européenne que les chefs d’État et de gouvernement tiennent « compte du résultat des élections ».

Emmanuel Macron cherche, inversement, à rendre leur pouvoir de décision aux chefs d’État et de gouvernement. Il espère ainsi rebattre les cartes à son avantage alors que le mouvement « Renaissance » qu’il a vigoureusement soutenu souhaite former l’alliance qui, au Parlement européen, au sein duquel les chrétiens-démocrates du PPE et le groupe des Socialistes et Démocrates (S&D) ont perdu leur majorité, lui permettra de favoriser le candidat de son choix. Il ne cache pas son hostilité à la candidature de Manfred Weber, tout « Spitzenkandidat » qu’il soit du premier groupe élu au Parlement européen, le PPE.

A Bruxelles, le 28 mai, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont affiché le plus grand sourire, mais en sous-main les désaccords sur les personnes qui dirigeront à l’avenir l’Union européenne montrent que France et Allemagne sont bien rivaux pour gagner en influence et en pouvoir. Ce n’est pas nouveau. Les bases de la relation franco-allemande dans la société et l’État resteront solides tant que les deux pays seront convaincus qu’il n’est pas nécessaire d’être d’accord sur tout pour bien coopérer.

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