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Les indemnités prud’homales en pratique : étude de 83 jugements de conseils de prud’hommes

Les Conseils des Prud'hommes font-ils peur aux PME ? (Dans une rue de Nantes). Manuel MC/Flickr, CC BY-SA

Comme le soulignent Gwenola Bargain et Tatiana Sachs dans un article récent, l’idée de plafonner les montants de l’indemnisation octroyée au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse revient de manière récurrente dans les projets de réforme du Code du travail.

Bien qu’ayant fait une apparition « éphémère » dans l’avant-projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, dit « projet de loi El Khomri », l’idée de contrôler les indemnités prud’homales a été présente dans l’avant-projet d’accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi de 2013, avant d’en être supprimée. Réintroduite en 2015, dans la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, elle a buté sur la censure du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-715 du 5 août 2015.

Les Conseils de Prud’hommes génèrent-ils de l’insécurité pour les PME ?

Les économistes spécialisés dans la production de rapports et d’analyse du droit du travail mettent au cœur des diagnostics nouveaux sur les effets de la protection de l’emploi en termes de performance du marché du travail l’enjeu de l’insécurité juridique.

Plus précisément, les conseils de prud’hommes seraient des institutions génératrices d’insécurité pour les employeurs, compte tenu de l’incertitude sur les coûts de la séparation que ces juridictions fixent in fine. Parmi les facteurs d’incertitude sur les coûts définitifs du licenciement, figure en bonne place le montant de l’indemnité prud’homale, c’est-à-dire le montant octroyé au salarié victime d’un licenciement abusif.

Juridiquement, cette indemnité est compensatrice d’un préjudice. Elle est fixée de manière souveraine par le juge, qui dispose d’un « pouvoir souverain d’appréciation », lequel n’est pas contrôlé par le juge du droit, c’est-à-dire la Cour de cassation. Peut-on, de ce principe important dans le droit français, déduire que le contentieux est en quelque sorte imprévisible, qu’il relève d’une roulette russe ? Et, en allant plus loin, que la viabilité des entreprises de petite taille serait mise en péril par leur condamnation à payer des montants déraisonnables ? Beaucoup de fantasmes s’expriment, qui ne s’appuient pas sur des données empiriques.

Une exploration empirique de 83 jugements

La présente note se propose de contribuer au débat sur la question des indemnités prud’homales, de manière raisonnée, à partir d’une exploration empirique menée sur 83 jugements de conseils de prud’hommes statuant sur des demandes formulées, par des salariés licenciés, d’obtenir une compensation monétaire du caractère abusif du licenciement. Ces jugements, rendus de 1998 à 2008, ont été recueillis sur la base de données juridique Lamyline.Reflex. Tous ont été publiés au Lamy-Prud’hommes.

Les jugements ont été analysés comme suit : quelle section du Conseil de prud’hommes a rendu le jugement ? quel a été le montant attribué au salarié ? Quel est le salaire mensuel du salarié ? Quelle était la qualification professionnelle du salarié ? Dans quel type d’entreprise travaillait-il ? Combien de mois de salaires l’indemnité représente-t-elle ?

Par souci de simplification, les salariés ont été classés en quatre catégories : cadres, employés, ouvriers de l’industrie ou de l’agriculture, et techniciens. Concernant les employeurs, il a été possible d’identifier leur type : entreprise publique, PME, groupe, association, et particulier. Les principaux résultats sont les suivants :

(1) La section « encadrement » des CPH accorde en moyenne plus de trois fois d’indemnités que la section « industrie » et plus de cinq fois que la section « commerce ». Le montant moyen décidé par la section « encadrement » est de 37 824€. Pour les sections « industrie » et « activités diverses », les montants moyens sont respectivement de 11 728€ et 10 408€. Pour les sections « commerce » et « agriculture » on constate des montants moyens de 7 377€ et 6 227€ (figure 1).

(2) En moyenne, les groupes sont condamnés à trois fois plus d’indemnités prud’homales que les PME (figure2). Les indemnités prud’homales allouées à des salariés de groupes s’élèvent en moyenne à 35 677€, alors que celles décidées en faveur de salariés de PME s’élèvent en moyenne à 8 039€.

(3) En moyenne, les cadres touchent trois fois plus d’indemnités que les ouvriers et techniciens, et six fois plus que les employés, qui représentent les principaux usagers salariés des conseils de prud’hommes. Le montant moyen d’indemnités prud’homales octroyées aux cadres est de 37 824 €. Pour les techniciens, ouvriers et emplois, les montants moyens s’établissent respectivement à 13 014€, 12 488€ et 6 379€ (figure 3). De ce point de vue, les employés sont en quelque sorte six fois moins bien protégés que les cadres (parmi lesquels certains sont cadres dirigeants…). Les différences en moyenne entre les cadres et les autres salariés s’expliquent naturellement par les différences de niveau de rémunération. Reste à préciser le nombre de mois de salaire auxquels correspond l’indemnité prud’homale.

(4) On n’observe pas, en moyenne, de différence significative entre les cadres et les autres salariés en termes d’équivalents en mois de salaire des indemnités prud’homales, du moins pour les 66 jugements qui permettent de saisir cette information (tableau 1). Pour les cadres, les employés et les techniciens, les indemnités pour licenciement abusif représentent en moyenne 6 mois de salaire. Par contre, on observe une nette différence selon que l’employeur est une PME ou un groupe : 5,1 mois de salaire en moyenne pour les PME, 8 mois pour les groupes.

(5) Le taux de refus d’octroi d’une indemnité pour licenciement abusif est nettement plus important pour les associations et les PME que pour les groupes (figure 4). Les conseils de prud’hommes ne font pas droit à toutes les demandes formées par les salariés. Dans certains cas, leur demande est totalement déboutée ; dans d’autres, la juridiction prud’homale fait droit à certaines demandes, mais refuse au salarié le bénéfice d’une indemnité pour licenciement abusif. Lorsque l’employeur est une association, la moitié seulement des demandes d’indemnités est acceptée. Pour les PME, 43 % des demandes d’indemnité sont rejetées, alors que pour les groupes ce taux s’élève à 31 %.

Les PME semblent traitées équitablement

En conclusion de cette brève note, l’analyse de 83 jugements prud’homaux menée ici ne permet pas de conclure à une contrainte forte qu’exerceraient les conseils de prud’hommes sur les PME, qui sont plus préservées, en montant moyen, en mois de salaire et en taux de rejet des demandes formées par les salariés, que les entreprises appartenant à des groupes. Sous réserve de confirmation de ce constat par d’autres analyses sur une base de jugements plus étendue, il semble réaliste de considérer que les juridictions prud’homales prennent en considération la situation économique des employeurs lorsqu’elles statuent sur les demandes d’indemnité pour licenciement abusif.

D’autre part, les montants moyens d’indemnités prud’homales varient selon la qualification et le niveau de salaire. Les cadres sont favorisés par le fait qu’ils sont beaucoup plus rémunérés que les techniciens, ouvriers et employés. Les conseils de prud’hommes évaluent en moyenne le montant des indemnités prud’homales à six mois pour les cadres, les techniciens et les employés.

Enfin, du point de la dispersion des montants d’indemnités, l’écart-type des montants moyens est nettement plus important pour les cadres que pour les employés, respectivement 40 732 € et 3 593 €. Cependant, la compréhension des raisons pour lesquelles les montants varient selon les jugements ne peut être assurée par une simple analyse de dispersion. Les jugements des conseils de prud’hommes sont décidés en fonction de la particularité du cas. Les cas ne sont pas naturellement comparables entre eux. Des études plus approfondies de cette question seraient du plus grand intérêt.

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